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Billet de blog 1 août 2012

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Quel équilibre pour les lycéens sans papiers?

On les appelle les jeunes majeurs étrangers scolarisés. C'est l'un des points aveugles de la loi réglant le droit au séjour des étrangers, mais une population présente dans nombre de lycées. Il/elles sont arrivés autour de 15-17 ans pour acquérir une formation inaccessible dans leur pays. Ils ont fait leur place dans leur classe. Un beau jour, ils/elles deviennent majeurs et là, ils apprenent qu'ils sont indésirables.

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On les appelle les jeunes majeurs étrangers scolarisés. C'est l'un des points aveugles de la loi réglant le droit au séjour des étrangers, mais une population présente dans nombre de lycées. Il/elles sont arrivés autour de 15-17 ans pour acquérir une formation inaccessible dans leur pays. Ils ont fait leur place dans leur classe. Un beau jour, ils/elles deviennent majeurs et là, ils apprenent qu'ils sont indésirables.

Selon la loi, une personne mineure peut vivre en France sans justificatif de séjour particulier. Parmi les mineurs étrangers, il y a ceux qui vivent avec leurs parents et qui recevront un titre de séjour dès leurs 18 ans. A condition, toutefois, d'être arrivés en France avant l'âge de 13 ans (10 ans pour les Algériens et les Tunisiens), d'avoir suivi une scolarité continue... et que l'un au moins des parents avec lesquels ils vivent soit le père ou la mère biologique. Pas question de tuteurs, même pour des orphelins, c'est ce que prévoit un perfectionnement récent de la loi. On a suivi le calvaire de deux jeunes Algériennes rendues orphelines par le séisme de Boumerdes et recueilllies à l'âge de 10 et 11 ans en 2003 par leur tante à Paris. Ayant demandé un titre de séjour à leur majorité, elles reçoivent une obligation de quitter le territoire (OQTF)! Il a fallu en passer par le tribunal administratif pour qu'enfin le bon sens triomphe.

Mais il y a tous les autres, ceux qui ont rejoint leurs parents après la mort de la grand-mère qui s'occupait d'eux pendant la phase d'installation des parents, ceux que leur famille envoie chercher une formation et, peut-être, un avenir qu'ils sont hors d'état de leur procurer au pays. La "France, mère des arts, des armes et des lois" de du Bellay continue à attirer ceux qui veulent progresser dans leur existence, même si son nouveau nom se prononce plutôt Françafrique, ancienne envahisseure qui se voulait un modèle, et qui le reste faute de mieux.

Une proximité tout à fait locale avec quelque 250 lycéennes et lycéens majeurs en quête de régularisation, rencontrés depuis 2006 dans une permanence du RESF permet de se faire une idée un peu plus concrète de leur destin, même s'il n'est pas question de généraliser. Ces lycéens sont là, seuls 90 ont réussi à obtenir le sésame de la préfecture. Qui sont-ils, et qui sont les 160 autres, qui continuent leur vie de grands ados avec ce fardeau d'angoisse en plus?

Ceux que nous rencontrons appartiennent à 49 nationalités différentes. Ils viennent principalement d'Afrique de l'Ouest et de Chine, puis du Maghreb et d'Amérique latine. Ils fréquentent environ 25 des lycées parisiens, placés là par le Rectorat après une vérification de leurs connaissances et une évaluation de leurs capacités. Dans leur grande majorité, ils ne sont pas isolés de toute famille. Ils ont auprès d'eux leurs parents, ou des oncles et tantes, plutôt en séjour régulier (sauf pour les chinois), parfois français (cas du Maghreb). Ceux qui étaient totalement isolés à leur arrivée avant 16 ans ont été pris en charge par l'Aide Sociale à l'Enfance; ils obtiennent en principe un titre de séjour à 18 ans.

La demande de régularisation doit être déposée dans l'année qui suit le 18ème anniversaire. La situation de certains des jeunes est directement conforme à la lettre de la loi et, dans ces cas, la régularisation prend quelques mois de démarches et d'attente de la décision. Au delà, les démarches peuvent prendre deux, trois ou quatre annnées occupées à refaire des demandes restées sans réponse de l'administration, ou jugées manquant de pièces justificatives, ou refusées avec une OQTF que l'on doit tenter de faire annuler par le tribunal administratif. Pendant ce temps, l'élève est censé continuer à progresser, passer ses examens, ce qu'ils font bien ou mal, comme tout le monde. Au risque réel de l'expulsion, drame que le RESF a souvent su éviter par sa capacité de mobilisation urbi et orbi.

Qui, parmi ceux qui sont arrivés trop vieux, obtiennent une régularisation?

- Prenons le cas des trois pays du Maghreb: sur 51 jeunes arrivés entre 10 et 18 ans, la moitié ont été régularisés. Parmi ces derniers, la moitié étaient arrivés avant 14 ans; parmi ceux qui attendent toujours, les trois-quarts avaient 14 ans ou plus à leur arrivée.

- A l'autre extrême on trouve les jeunes Chinois qui, disons-le en passant, ont appris dès leur arrivée une langue qui leur était totalement inconnue, ce qui ne les empêche pas de faire de bonnes études. Sur 53 jeunes connus, seulement un quart a été régularisé, et la répartition des âges à l'arrivée en France est proche de celle des jeunes maghrébins, pour les plus chanceux comme pour les refusés.

- Prenons l'ensemble des quatre pays d'Afrique de l'Ouest les mieux représentés (par ordre d'importance: Cameroun, Côte d'Ivoire, Mali, Sénégal). Sur 60 jeunes connus, un tiers ont été régularisés, avec toujours les mêmes répartitions des âges à l'arrivée en France.

- Quatrième région, l'Amérique latine et caraïbe (Colombie, Pérou, Equateur, Haïti, Brésil). Sur 28 jeunes connus, une petite moitié ont été régularisés, avec toujours les mêmes répartitions des âges à l'arrivée en France.

Ainsi, même si la régularisation est relativement plus facile dans le cadre des familles du Maghreb, qui concerne la génération des petits-enfants d'une immigration désormais ancienne, dans leur grande majorité, ces jeunes envoyés chercher une instruction pour construire un avenir plus ouvert, restent menacés d'expulsion, surtout s'ils sont arrivés après l'âge de 14 ans.

Comportement surprenant de la part d'un pays qui délivre libéralement à tous la connaissance dans ses établissements scolaires et qui, quelques années plus tard, refuse la sécurité minimale du droit de séjour.

Certes, ces jeunes ne représentent qu'une faible part des deux-cent à quatre-cent mille étrangers en manque de titre de séjour, mais le sort qui leur est fait apparaît particulièrement injuste. Si, dans la plupart des cas, la décision de départ pour la France n'est pas de leur fait, ils ont, eux, fourni l'effort d'intégration que l'on attendait d'eux. Pour quel résultat?

Le 31 août 2012, le Premier Ministre a tenu aux préfets un discours qui devrait ôter toute inquiétude: "Je préconise la même approche à la fois sobre et digne sur l’immigration dans un esprit de responsabilité et d’efficacité avec le même souci constant du respect des valeurs de la République, je sais pouvoir compter sur vous pour conduire cette politique équilibrée.". L'équilibre, serait-ce d'accepter la moitié de ces jeunes, et de briser l'avenir des autres en les enfermant dans la peur?

Martine et Jean-Claude Vernier

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