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Billet de blog 5 septembre 2013

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L'immigration, "une question de merde"?

"La politique migratoire ne fait pas partie des débats de cette rentrée", c'est le Président de la République qui le dit. Ah bon! Pourtant les migrants maltraités par cette politique sont toujours là, et toujours maltraités. Alors comment faire pour les effacer? C'est ce à quoi s'emploie l'administration.

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"La politique migratoire ne fait pas partie des débats de cette rentrée", c'est le Président de la République qui le dit. Ah bon! Pourtant les migrants maltraités par cette politique sont toujours là, et toujours maltraités. Alors comment faire pour les effacer? C'est ce à quoi s'emploie l'administration.

C'est un membre de la majorité qui le dit: "Valls peut s’engouffrer dans les silences gênés de ses camarades sur la sécurité et l’immigration. « Des questions de merde, impossibles ou presque à régler », souffle un responsable socialiste". La participation des étrangers à la vie nationale, une "question", "impossible à régler"?

Puisqu'une politique humaine normale, qui reconnaîtrait la contribution sociale de ces résidents volontaires et n'entraverait pas leur installation par des interdictions incessantes, n'est pas à l'ordre du jour, le pouvoir et l'administration inventent à tout va.

Il y a la bonne vieille méthode: nous raconter des histoires (storytelling dans les salons), faire tourner le moulin de la communication.

On a vu sortir en novembre 2012 une circulaire de régularisation partielle dont le pouvoir tarde à tirer les leçons, et pour cause: ses dispositions sont trop éloignées des conditions réelles de vie des étrangers en mal de papiers pour produire leur effet sauf, exception importante, pour les familles qui ont réussi à se maintenir depuis cinq ans et ont pu scolariser leurs enfants depuis trois ans.

La naturalisation devait devenir plus facile, nous a-t-on dit - pour tenter de faire oublier le refus de reconnaître aux étrangers résidents le droit de voter aux élections locales. L'amélioration annoncée de longue date est cependant peu visible: il y a eu encore moins de naturalisations en 2012 qu'en 2011 (-30%). Une remontée présentée comme significative est affichée pour le premier semestre de 2013: +14% par rapport au premier semestre de 2012. On reste loin en dessous du niveau de 2011, lui-même en retrait de 30% sur le chiffre de 2010! La cartouche "facilitation des naturalisations" de la panoplie de communication, tirée une nouvelle fois par le ministre de l'Intérieur, ressemble surtout à un pétard mouillé. La répétition d'annonces fallacieuses, une forme de lavage de cerveau.

On ne reviendra pas sur le pseudo effacement des groupes de Rroms et autres pauvres, histoire sans fin.

Une autre idée: faire en sorte que les demandes de régularisation s'éteignent d'elles-mêmes. La sous-préfecture de Seine Saint Denis au Raincy a innové cet été. Ayant un retard de neuf mois dans le traitement des demandes (le délai légal de réponse est de quatre mois), elle s'apprêtait à attaquer en septembre 2013 les dossiers déposés en janvier, dossiers attestant pour la plupart d'une présence en France depuis une dizaine d'années. Selon l'administration, les éléments nouveaux concernant les neuf derniers mois, ajoutés à ceux des dix années déjà déposés, pourraient "faire pencher la balance du bon côté". Nombre de personnes en attente d'une réponse à leur demande ont reçu une lettre standard de relance (voir ici) qui, sous couvert d'une demande d'actualisation du dossier dans le délai d'un mois, évoque sa fermeture, et même sa récupération par l'intéressé. L'envoi de cette relance est une bonne idée pour faire maigrir la pile en retard: on y réclame toutes sortes de documents, dont personne ne peut fournir la totalité, et dans des termes d'une inquiétante ambiguïté. La rédaction de la dernière ligne est particulièrement soignée: on y demande des preuves de présence explicitement depuis la date d'arrivée en France, donc déjà fournies, et non depuis le dépôt du dossier en début d'année - un discret et peu visible "et/ou" relativise la demande. On a pu constater l'incompréhension et l'inquiétude provoquées par cette lettre inédite. Combien ne répondront pas?... Il est bien précisé que dans ce cas, le dossier sera clos et, élégance administrative suprême, à l'initiative du demandeur!

L'expression "faire pencher la balance" évoque irrésistiblement l'image de la justice, un bandeau sur les yeux, tenant une balance devant elle. Mais l'administration n'est pas la justice. Par contre, aveugle à l'humain, elle l'est.

On retrouve ici l'alerte du Défenseur des droits dans son Rapport pour 2012: "Mettant à mal certains des principes de cohésion sur lesquels elle se fonde, la société peut être perçue au mieux comme indifférente ou pire, comme brutale avec les plus vulnérables : ses rouages administratifs, ses normes, ses modalités de fonctionnement perçues comme difficilement accessibles, ne remplissent pas aussi souvent qu’ils le devraient leur rôle de protection auprès de nos concitoyens, en particulier les plus démunis.

Ces hommes, ces femmes, ces adultes, ces enfants, ces Français, ces étrangers, tous sont victimes de cette violence institutionnelle qui crispe les relations, exacerbe les conflits et pousse ceux qui sont dans la précarité à des actes de révolte ou de détresse. « Mettre à la porte, exclure, quitter, expulser, écarter… » sont des mots qui me frappent chaque jour quand je prends connaissance des réclamations que nous recevons. Ils témoignent d’une société qui croit se protéger de la crise par des mécanismes d’exclusion. Masquer les difficultés ne veut pas dire qu’on les règle. Au contraire, en les cachant, on les laisse s’aggraver. Une société du déni s’installe, nourrie de renoncements et de découragements.".

Les étrangers sans titre de séjour ne sont pas les seuls à être maltraîtés par l'administration. Ils rejoignent dans le mépris les petits, les pauvres, les fragiles.

Martine et Jean-Claude Vernier

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