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Billet de blog 8 février 2013

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Chéri! Je rapporte un titre de tolérance à la maison!

Un rapport sur les questions d'intégration a été préparé à la demande du premier ministre. Imaginatif dans bien de ses propositions, il introduit un concept innovant: la transformation en assistés de troisième zone, sous contrôle social, des étrangers indésirables qu'on ne peut expulser.

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Un rapport sur les questions d'intégration a été préparé à la demande du premier ministre. Imaginatif dans bien de ses propositions, il introduit un concept innovant: la transformation en assistés de troisième zone, sous contrôle social, des étrangers indésirables qu'on ne peut expulser.

Cette réflexion "sur la refondation des politiques d'intégration" à été commandée en août 2012, avec les objectifs suivants.

- analyser l'état de la politique d'intégration, son organisation, ses moyens, ses acteurs;

- proposer de nouveaux concepts et axes d'action pour en assurer un nouveau départ;

- rechercher les méthodes, moyens et organisations (...) susceptibles de restaurer les ambitions, le dynamisme et l'efficacité de cette politique, en garantissant notamment sa cohérence territoriale.

Un article de Carine Fouteau ici même souligne le caractère iconoclaste des constats et des propositions.

Dès le titre, La grande nation pour une société inclusive, Thierry Tuot, Conseiller d'Etat, assume le choix d'un certain lyrisme. Il pratique aussi une liberté de parole inhabituelle, affirmant tranquillement: "bien que l’État soit le principal créateur de clandestins par son comportement, on en a fait la base des politiques d’immigration et, hélas, d’intégration. Reconduire les clandestins à la frontière est devenue une obsession, et l’on a fini par faire croire à la population que des milliers de policiers gardaient les frontières, et réexpédiaient manu militari ceux qui étaient passés au travers des mailles du filet."

Il décrit une situationt dont les conséquences sont aussi dommageables pour le personnel de l'Etat que pour les étrangers qui ont affaire à eux: "Les multiples restructurations qui ont affecté le secteur de l’intégration ont conduit à une perte des compétences et à un déclassement statutaire des personnels dans un domaine où le capital humain est la plus précieuse des ressources. Loin d’être porteur, le secteur de l’intégration apparaît aujourd’hui comme une impasse dont il est quasiment impossible de valoriser la fréquentation dans un parcours professionnel."

Les propositions qui concluent le rapport abordent de nombreux aspects de la vie ensemble entre immigrés et autochtones: connaissance du terrain et des situations réelles, urbanisme, logement, partage des cultures, respect des vieux travailleurs étrangers, réforme d'un certain nombre d'organismes et formation des agents de l'Etat pour mieux servir un public spécifique et lutter contre les discriminations de fait, soutien aux associations qui travaillent à l'intégration sociale, honneur à rendre aux anciens colonisés venus au secours de la France quand elle était menacée, accueil dans la nationalité française.

Pas un mot, cependant, sur l'actuel regroupement des fonctions sous l'autorité du ministère de l'Intérieur, qui amène inévitablement à considérer que tout ce qui est étrangers est affaire d'ordre public. Ni sur l'impact économique et social d'un travail au noir contraint par les refus de séjour.

La surprise vient de la proposition concernant "les clandestins", c'est-à-dire les étrangers sans titre de séjour qu'on n'expulse pas - expulser entre deux-cent et quatre-cent-mille personnes, c'est difficile et ça coûte cher. Rappelons que ces "clandestins" ne le sont pas tant que cela, construisant nos bâtiments, au fourneau et à la plonge dans nos cantines et nos restaurants, nettoyant nos bureaux et nos hôtels, gardant nos petits et nos vieux, cultivant nos fruits et nos légumes, pour nourrir leur famille, ici ou au pays. La peur au ventre, risquant à tout moment l'interpellation et la tentative d'expulsion, tandis que leurs enfants, s'ils en ont, travaillent à l'intégration de la famille entière avec le soutien actif de l'Education Nationale. Travaillant au noir, ou avec la carte d'un copain, payant des cotisations dont ils ne verront pas le retour, trouvant à se loger, même si c'est à l'étroit. Au cours des 10 années de quarantaine que leur impose la loi avant de permettre leur régularisation (5 ans s'ils ont la chance d'être "dans les clous" de la circulaire de novembre 2012), ils construisent toute une vie. On les croise dans la rue sans se douter de leurs difficultés.

L'auteur du rapport ne les voit pas exactement comme cela. "Le clandestin qu’on ne renvoie pas vit dans la misère. Il n’a droit à rien, ni compte en banque, ni prestations, ni travail régulier, ni logement décent. Il offre le spectacle lamentable d’une population étrangère maintenue de force dans un état de clochardisation qui détruit les êtres, les rend vulnérables aux intégrismes, mais surtout en fait la proie des mafias, des employeurs sansscrupule, et des logeurs sans morale. L’image qu’il donne, bien plus visible que celle des autres immigrés, dégrade évidemment profondément l’idée que nous pouvons avoir de ce que sont les immigrés : nous ne les voyons plus que pouilleux, miséreux, traînant dans la rue,cherchant à survivre dans l’illégalité".

"Le réalisme commande qu’on affronte cette situation en cessant de raconter des histoires au grand public. Les mesures de police ne sont pas faites pour être mises en scène, et le traitement de la personne humaine demande autre chose que des déclarations brutales et catégoriques. ".

Voici donc la solution.

Les personnes entrées sur le territoire qui n’ont pas de titre à y séjourner doivent être classées en deux catégories. La première est faite de ceux qu’on parvient à reconduire à la frontière, avec dignité, si possible en se demandant quel sort va leur être réservé une fois rentrés, les aidant à y assumer ce qui est l’échec d’un parcours d’émigrants. (...)

L’autre catégorie est faite des clandestins que nous ne pouvons expulser. Lorsqu’on a échoué une fois, on n’y arrive jamais. Reconnaissons-leur donc un titre constatant le fait qu’ils séjournent en France, titre qu’on pourrait, à l’instar des Allemands qui en sont les inventeurs et s’en trouvent bien, nommer titre de tolérance. Il aurait le premier avantage, que contrôlé dans la rue, son porteur ne fera pas l’objet d’une mise en rétention pour quarante-cinq jours mobilisant des fonctionnaires et des capacités d’hébergement pour une expulsion impossible.

Ce titre ne donnera que des droits extrêmement réduits au moment de sa délivrance. Droit d’échapper au contrôle par sa présentation, droit d’accéder à la couverture maladie universelle (CMU), droit d’accéder pour une durée maximale à fixer à un logement d’urgence. Sa délivrance sera assortie d’une journée d’entretien avec le service public de l’accueil et de l’intégration. On signifiera à l’intéressé qu’il dispose de cinq ans pour montrer que sa présence, bien qu’initialement irrégulière, peut lui donner un droit au séjour. Cinq ans est la durée au terme de laquelle aujourd’hui nous régularisons les clandestins. [ndlr. c'est plutôt 10 ans, sauf circonstances particulières]

Plaçons alors sur ce trajet vers la délivrance d’un titre de droit commun une série de bornes automatiques que le détenteur devra franchir. Du jour de la délivrance, il disposera de trois mois pour trouver une autre adresse que dans l’hébergement d’urgence ; la produisant, avec l’aide d’associations financées à cette fin, il aura droit à un tiers d’aide personnalisée au logement (APL), et celui de suivre une formation de base au français ; revenant au terme de trois autres mois avec l’attestation de suivi de cette formation, il aura droit à la moitié de l’allocationd’attente des réfugiés [ndlr. soit 150€ par mois].

De borne en borne, son insertion progressive dans la société, non pas par un contrat d’intégration, mais par une ordonnance d’intégration, son cheminement vers la régularisation sera un processus social contraint – pour lui, comme pour nous, mais qui permet une sortie digne, efficace. "Intégration dans la société" sans autorisation de travail explicite...

Tout manquement à l’une des bornes, qui ne pourrait être justifié au moins par la démonstration des efforts faits, entraînera immédiatement le retrait du titre de tolérance, le placement en rétention, qui pourrait alors par la loi être porté à une durée plus importante, des moyens plus intenses pouvant être concentrés pour la reconduite à la frontière dans un pays qui peut d’ailleurs être un autre que celui d’origine"

Martine et Jean-Claude Vernier

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