Nathalie a aujourd'hui 21 ans. Elle a été au collège puis au lycée. Elle vient de se marier. Elle a trouvé un employeur pour préparer un BTS en alternance. La Direction du Travail refuse de valider son contrat de professionnalisation. Du coup, son inscription est annulée. Pourquoi? Elle est étrangère, en panne de titre de séjour. Un destin façonné par la Loi.
Le CESEDA (Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et Demandeurs d'Asile) est un “livre saint” d'un genre particulier. Au lieu de viser à sauver ceux qui y sont soumis, il cherche à les ligoter avant de les rejeter. Ainsi du destin de Nathalie, tombée à 13 ans et quelques mois du mauvais côté de la ligne jaune.
Embûche n°1. Sa mère, remariée avec un français qu'elle a rejoint, la fait venir en France un peu après ses 13 ans. Si seulement elle était arrivée avant ses 13 ans, à 18 ans et cinq ans de scolarisation derrière elle, elle obtenait assez facilement un titre de séjour “Vie privée et familiale” (VPF) lui permettant de poursuivre une vie normale – autorisation soumise à renouvellement annuel, quand même.
Embûche n°2. Le deuxième mari de sa mère chasse cette dernière du domicile conjugual. La mère perd son droit au séjour. En effet, la protection des femmes étrangères victimes de violences n'est pas encore une spécialité locale. Sur ces situations dramatiques et injustes, La Cimade anime auprès des élu-e-s locaux et des parlementaires une Manifestation virtuelle contre la double violence du 10 février au 28 mars, pour que la loi change.
Embûche n°3. A 18 ans Nathalie demande à le préfecture un titre de séjour. La préfecture ne lui oppose d'abord aucun refus, mais l'alimente en récépissés de demande pendant plus d'un an. Et finalement, en plein mois d'août, elle lui refuse le titre et lui délivre une OQTF (Obligation de quitter le territoire avant un mois).
Soutenue par une mobilisation importante de ses voisins, de ses professeurs, d'élus, d'associations (les droitsdel'hommistes ne dorment jamais que d'un oeil, même au coeur de l'été), elle attaque cette décision en justice. Avec succès. Le Tribunal Administratif (TA) donne injonction au préfet de lui délivrer un titre de séjour “Vie privée et familiale”.
Embûche n°4. La Préfecture obéit à l'injonction du Tribunal – enfin, presque, puisque le titre de séjour qu'elle lui délivre est une titre “Etudiant”. Titre encore moins solide que le titre VPF, puisqu'il est suspendu à la poursuite sans heurts des études, à l'issue desquelles la personne est censée quitter la France. C'est le “rayonnement universitaire”.
Embûche n°5. Mais la Préfecture a fait appel de la décision du Tribunal Administratif. Et, après une quinzaine de mois d'attente anxieuse, la Cour Administrative d'Appel vient d'annuler l'annulation par le TA. La carte “Etudiant” de Nathalie est nulle.
Embûche n°6. Entre temps, Nathalie avait entamé la préparation d'un BTS en alternance. Intervient ici une autre subtilité de la Loi: les étudiants étrangers ont droit aux petits boulots, pour un maximum de 964 heures par an (60% du temps de travail annuel). Le contrat trouvé par Nathalie en demandait plus. Le contrat de professionnalisation d'un étranger doit être validé par la DDTEFP (Direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle). Plus de 964 heures par an avec une carte “Etudiant”, c'est NON. L'annulation de son inscription scolaire en découle. Si encore le diplôme visé avait été du niveau Master (bac+5), elle aurait peut-être pu obtenir une carte "Etudiant en apprentisage". Une "mesure d'attractivité en faveur des étudiants de haut niveau".
Embûche n°7. Nathalie tente donc de faire transformer sa carte “Etudiant” (annulée entre temps) en carte “Salarié”. Opération peu favorisée par les préfectures, le rayonnement universitaire de la France nécessitant le passage à l'aéroport à l'issue des études. La carte “Salarié” est à peu près aussi précaire que la carte “Etudiant”, puisque son renouvellement est soumise à la continuation du travail, plus encore: chez le même patron pour le premier renouvellement. Le séjour du salarié dure autant que son contrat de travail. C'est “l'immigration choisie”. Ensuite, c'est l'avion, le bateau, le train, ou le séjour illégal.
Embûche n°8. Mais la vie continue et Nathalie s'est mariée. Son époux est étranger et il est en séjour régulier. La Loi a aussi prévu ce cas: madame doit retourner dans son pays de naissance et monsieur doit engager une procédure de “regroupement familial”. Opération qui conduira, dans le meilleur des cas, au retour de madame dans 18 mois à deux ans. Autre option: continuer à vivre dans l'angoisse du séjour illégal jusqu'à ce qu'ils puissent prouver, par des traces aussi administratives que possible, qu'ils vivent ensemble depuis cinq ans.
Enfin un bon point pour la Loi: elle contribue à la stabilité des couples d'étrangers.
Martine et Jean-Claude Vernier
En post scriptum, deux nouvelles du jour:
- Najlae va revenir à Orléans, c'est le Président de la République qui l'a dit. La mobilisation a payé et Najlae n'en croit pas ses oreilles. Ce n'est qu'un début!
- Une avancée sur le front de la grève des travailleurs étrangers, qui dure depuis près de cinq mois. Un texte commun élaboré entre des dirigeants patronaux et les syndicats a été soumis aujourd'hui au ministre du Travail en vue de définir les critères permettant aux salariés sans papiers d'obtenir un titre de séjour. Une première dans le monde du travail et un autre début!...
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