Reportages: une tentative d'expulsion par avion d'un étranger auquel le droit au séjour a été refusé, la vie quotidienne dans un centre de rétention administrative sous la menace de l'expulsion, des audiences du Juge des Libertés et de la Détention, qui peut vous faire échapper à la rétention, ou vous y renvoyer pour vingt jours de plus.
La séquence standard de l'expulsion d'un étranger, dont le pouvoir juge que la présence trouble l'ordre public parce que non autorisée, se déroule comme suit: contrôle d'identité, interpellation, souvent lors d'un déplacement dans les transports en commun, passage par le commissariat (sans garde à vue, interdite depuis juillet 2012), délivrance par le préfet d'un ordre d'expulsion, placement dans un centre de rétention administrative (CRA), organisation du départ (passeport, billet d'avion, escorte), embarquement, reconduite à la frontière du pays d'origine.
On ne peut pas toujours être sûr que tout se passe "bien", même quand on est parvenu à embarquer l'indésirable, comme l'illustrent ces trois petites vidéos: [27 s] - [4 min 21 s] - [13 s]. Les passagers d'un vol Lyon-Tunis du 10 novembre 2012 ont protesté avec tant d'insistance contre la violence dont était l'objet la personne expulsée que son escorte l'a finalement débarqué. Pour une fois, l'escorte n'a pas réussi l'opération si bien analysée dans le manuel de la police aux frontières (PAF).
Selon le site par African Manager, "le Tunisien aurait été maintenu pendant une quinzaine de minutes au sol, avant d’être finalement sorti de l’avion. (...) Il avait été placé en détention pendant 45 jours au centre de rétention de l’aéroport, avant d'être embarqué dans un avion pour Tunis. (...) La préfecture explique que le sans-papiers refusait de monter dans l’avion et s’était montré agressif, insultant même les policiers. Après cet incident, l’homme a été placé en garde à vue puis jugé par le tribunal de grande instance de Lyon. Il a été condamné le 13 novembre à 10 mois de prison ferme et 3 ans d’interdiction de territoire français". 45 jours, c'est la durée légale maximum de l'enfermement en CRA. Alors qu'il s'attendait à être enfin libéré, ce monsieur s'est retrouvé sur le tarmac; il y avait de quoi s'emporter contre son mauvais sort...
Le héros involontaire de ce drame aurait tout aussi bien pu se retrouver ficelé et scotché pour faciliter la prochaine tentative d'"éloignement", comme en témoignent des personnes retenues au CRA de Vincennes: "Tu peux refuser la première fois l'expulsion, vous avez le droit, la deuxième fois peut-être et c'est pas sûr, après en force, hein. On vous scratche avec le scratche là comme le genre de scotch, attaché, on vous bouche la bouche, et les yeux bandés." (Source: Paroles de retenus depuis la prison pour étrangers de Vincennes, janvier-octobre 2012).
A moins qu'entre temps soit venu le moment du passage devant le Juge des Libertés et de la Détention (JLD), qui a le pouvoir de refuser au préfet la prolongation de la rétention de l'étranger. Les deux dates obligatoires: 5 jours après l'arrivée en rétention, puis 20 jours plus tard. Deux occasions pour le JLD de libérer la personne, ou de prolonger sa rétention de 20 jours. Au delà de 45 jours (5+20+20 jours), si l'expulsion n'a toujours pas réalisée, il y a obligation de libérer la personne. La police a tout ce temps pour parvenir à ses fins. Si elle a réussi à se saisir de la personne avec son passeport, la tâche est relativement aisée. Mais la moindre erreur de procédure peut permettre au JLD de la faire libérer. Dans le cas contraire, il faut s'assurer que la personne reconduite sera acceptée par le pays de destination, au moyen d'un laissez-passer délivré par son consulat. Une démarche pas si aisée que cela, car les consulats ne sont pas toujours coopératifs. Sans compter les cas où la police ne peut déterminer la nationalité de la personne...
Il existe autour des centres de rétention des avocats, et dans les centres des associations mandatées pour l'aide juridique, qui sont experts dans l'art de trouver la faille libératrice: au 5ème jour, les erreurs de procédures lors de l'interpellation ou du transfert de la personne, au 20ème jour les défauts de diligences, par exemple le retard à présenter la personne devant son consulat ou à un médecin. Cependant, le passage devant le JLD reste un espoir souvent déçu, comme en témoigne le sobriquet "Bonjour, vingt jours!" qui le désigne dans les CRA.
Croquis d'audiences publiques du JLD au Palais de Justice de Paris, qui abrite aussi la Sainte Chapelle, lieu très fréquenté par les touristes.
"Au tribunal ce jour (29 octobre 2012)
Il y avait de subtiles différences dans l'air ce jour de vacances:
Dès l'entrée, le passage séparé entre touristes et justiciables n'était pas respecté, vingt minutes pour entrer en passant devant, au risque de pugilat.
Les gendarmes étaient plutôt nouveaux (le gros des troupes de surveillance change toutes les trois semaines).
Donc, on nous demandait notre identité à l'entrée, ce qui est bien sûr illégal, et un chef, au demeurant fort aimable sur d'autres sujets, a voulu m'interdire la prise de notes en CAJLD. "Madame, seuls les journalistes ont le droit d'écrire ici", ce qui bien sûr est faux. Mais faudrait bien être journaliste pour raconter ce qu'on voit, parce qu'on voit parfois des trucs qui ne devraient pas être tolérés.
La juge est tout de même l'une des titulaires.
Les gendarmes et les PAFs (des habitués, eux) racontent que samedi on était revenu à l'ancien temps (d'avant les arrêts El Dridi et Achughbabian qui auraient réduit le nombre de retenus), audience jusqu'à 22h.
Aujourd'hui, à nouveau, c'est une journée plus lourde qu'à l'habitude qui se profile, mais un escorte me rassure: "vous voyez bien, il n'y a que deux vrais avocats, et un qu'on ne connaît pas. Il reste 13 personnes pour les avocats de permanence, vous allez voir ils vont aller vite".
Effectivement.
Deuxième prolongation, l'avocat commis d'office, pour son premier client "au JLD de samedi, on avait conclu que les diligences avaient été faites". Sans surprise, il reste en rétention. 3 mn.
Encore une deuxième prolongation. Une belle avocate commise d'office aux longs cheveux qui s'affale sur sa table. C'est la juge qui lit la requête préparée pas l'association. Monsieur aurait la gale et n'aurait pas vu le médecin, entre autres.
Votre conseil a la parole ... "Moi quand je l'ai vu, j'ai eu peur d'attraper la gale. Comment ça se soigne?"
L'avocate ne dira rien d'autre, c'est la juge qui fait tenir l'audience. 10mn.
La juge explique que le samedi précédent, une autre personne du même petit centre de région parisienne avait dit avoir la gale.
Elle a appelé dimanche, l'infirmière a répondu "il n'y a pas de gale, il n'a pas vu le docteur, je lui donne des pilules matin et soir".
Le retenu explique à son tour, via son interprète, qu'il a la gale.
Un avocat de la préfecture d'un autre département glisse perfidement tout haut "ça se voit bien qu'ils mentent, ils sont deux maintenant".
La juge espère avoir enfin l'infirmation qu'elle recherche "et comment on vous la soigne, votre gale?"
"L'infirmière me donne une gélule le matin, une gélule le soir".
Pilule rose, en fait, qui "soigne le stress" depuis 25 jours, qui n'a pas été prescrite par un médecin.
Sans qu'on l'avertisse que sa dépression ne sera pas soignée, mais masquée, qu'entre autres effets secondaires de cette benzodiazépine bien connue, il souffrira sans le savoir de son sevrage, et que les irritations, fourmillements, tremblements qu'il ressent peuvent venir de ce psychotrope plutôt que de la gale. Mais gale ou abus de médocs n'ont jamais été un prétexte de libération.
Et l'abus de médocs n'achète visiblement pas non plus la paix sociale.
Sylvie Brod
Obsenfer77, RESF Paris 1234"
Martine et Jean-Claude Vernier
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