Fini de rire

Abonné·e de Mediapart

487 Billets

3 Éditions

Billet de blog 16 juillet 2013

Fini de rire

Abonné·e de Mediapart

Continuons à expulser les étrangers, mais à moindre coût

La politique de l'immigration (sic) du gouvernement, c'est d'abord le maintien d'un important courant de "reconduites à la frontière": en moyenne, plus de 100 personnes ont été expulsées chaque jour en 2012 depuis la métropole, et presque autant depuis les outre-mer. Coût: plus de 20000 euros pièce. Il faut donc rechercher par tous les moyens à réduire cette dépense, sans changer les objectifs.

Fini de rire

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La politique de l'immigration (sic) du gouvernement, c'est d'abord le maintien d'un important courant de "reconduites à la frontière": en moyenne, plus de 100 personnes ont été expulsées chaque jour en 2012 depuis la métropole, et presque autant depuis les outre-mer. Coût: plus de 20000 euros pièce. Il faut donc rechercher par tous les moyens à réduire cette dépense, sans changer les objectifs.

Le ministre de l'Intérieur le répète à toute occasion, "il y aura des reconduites à la frontière - et elles seront nombreuses - et il faut assumer cette politique quand on gouverne", par exemple ici. Avec respect des personnes, humanité, etc, mais aussi avec économie. D'où de multiples initiatives pour améliorer la productivité. Comme, par exemple, cette circulaire du 11 mars 2013 pour encourager les préfets à "assurer l'effectivité des éloignements des étrangers dépourvus te tout droit au séjour au terme d'une procédure respectueuse de leurs droits", en optimisant toutes les étapes de la procédure légale, qui est pourtant destinée à protéger les droits des gens. Sur le terrain, il semblerait qu'il peut être recommandé aux policiers d'interpeller des étrangers "si possible parlant français pour éviter de longues procédures et ainsi rentabiliser l’opération"; en effet, la loi prévoit la présence d'un interprète dans le cas contraire, ce qui ralentit tout... Le ministre l'a bien précisé: "il n’y a pas de politique du chiffre, ni en matière de sécurité, ni en matière de personnes en situation irrégulière, mais il y a des résultats à obtenir". Limpide...

Il est un domaine où la réduction des frais peut (doit) être plus substancielle: la rétention administrative, qui voit passer chaque année environ 20000 personnes, retenues là jusqu'à leur libération ou à leur expulsion (rendement: 47% en 2012), pour une durée maximum de 45 jours, mais le plus souvent deux à trois semaines. Logés, nourris, blanchis, soignés, accompagnés dans l'exercice de leurs droits, surveillés, escortés dans leurs déplacements au consulat, au tribunal administratif, devant le juge des libertés et de la détention...

Une innovation peu onéreuse (financièrement... mais du point de vue de la séparation des pouvoirs?): loger une annexe du tribunal dans des locaux contigus aux lieux d'enfermement sous surveillance policière. Déjà, en 2011, le ministre de l'Intérieur de l'époque voulait faire sièger le juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de grande instance (TGI) de Meaux dans les locaux mêmes du CRA (centre de rétention administrative) du Mesnil Amelot à l'aéroport Roissy Charles De Gaulle pour les étrangers retenus en vue de leur expulsion. Mieux encore, l'inaugurattion d'une annexe du TGI de Bobigny y est annoncée pour septembre 2013, qui permettra de juger sur le tarmac. "Salle d'audience, greffe, bureaux des interprètes et avocats seront ainsi installés au rez-de-chaussée même du bâtiment dans lequel sont enfermés, à l’étage, les étrangers auxquels l’entrée sur le territoire français est refusée", souligne un collectif d'associations. Dans les deux cas il s'agit pour le ministère de l'Intérieur que le respect de la loi auquel il est contraint lui coûte moins cher. Au prix de la publicité du rendu de la justice, et même de son indépendance, puisque les locaux de justice se trouvent englobés dans un territoire entouré de barbelés et dont l'accès est très incommode.

L'accès à la protection de la justice des personnes enfermées dans les CRA, voilà aussi qui coûte cher. C'est en 1984 que le gouvernement a décidé de confier à une association la mission de mettre du droit dans un espace où il n’y en avait pas. C'est aujourd'hui devenu un marché de plusieurs millions d'euros, attribué sur appel d'offre. Pour le prochain marché, courant de 2014 à 2016, se profilent des conditions dégradées pour l'assistance juridique auprès de personnes retenues et son indépendance vis à vis des autorités de police. Moins de personnel, cela veut dire moins de formation permanente pour les intervenants. Une assitance juridique moins pugnace par manque de temps et de moyens, cela veut aussi dire une meilleure rentabilité de la machine à expulser.

Les CRA sont des lieux de vie, qu'il faut entretenir, nettoyer; il faut aussi nourrir les "invités". C'est du travail pour un certain nombre de femmes de ménage et de cuisinlères, souvent elles-mêmes de famille immigrée. Au CRA du Mesnil Amelot, ils et elles étaient jusqu'ici 24, certaines y travaillent depuis plus de 15 ans. Le 24 juin 2013, elles apprennent abruptement leur licenciement pour la semaine suivante, suite à un changement de prestataire.

Selon les dispositions du nouveau marché, le personnel chargé de l’entretien et de la restauration a été considérablement réduit, passant de 24 à 15 salariés pour une charge de travail qui devrait demeurer identique. Comme dans le cas de l'assistance juridique aux personnes retenues, nouveau marché public à un prix moindre que le précédent avec, cerise sur le gâteau, une redéfinition des tâches qui place le personnel sous la " protection" d'une convention collective différente. D'où aucune obligation pour le nouveau prestataire de reprendre les travailleuses, aucune prise en compte de leur ancienneté (jusqu'à 18 ans pour certaines). La manoeuvre est malheureusement trop bien connue dans le monde de la sous-traitance à Roissy.

Le jour même, elles se sont mises en grève, perturbant gravement le fonctionnement du centre. Avec le soutien de la CGT, elles préparent unz contre-attaque juridique. Une partie des retenus a été déplacée vers les CRA de Rouen et de Lille, loin de leur famille et de leurs soutiens.

La Cimade, présente dans le CRA pour assister les retenus dans l'exercice de leurs droits, témoigne: "Dans l’immédiat, les personnes enfermées paient déjà les conséquences de ce changement de prestataire à la hussarde, sans considérations suffisantes de l’impact sur leurs conditions d’enfermement. Ainsi, plus de soixante-dix personnes sont retenues depuis plusieurs jours dans des conditions d’hygiène et de restauration particulièrement dégradées.

Le transfert d’une partie d’entre elles vers les centres de rétention de Lille ou Rouen les éloignent en outre de leurs proches ou de leurs avocats. Leur possibilité de faire valoir leurs droits s’en trouvent réduites.

A long terme, c’est la politique du gouvernement qui est en question. Après une réduction des budgets du marché public de l’aide à l’exercice des droits dans les centres de rétention, celui de la propreté et de l’alimentation des personnes enfermées semble suivre la même pente descendante."

Martine et Jean-Claude Vernier

--

Deux clics: si vous avez raté les billets récents de Fini de rire et le sommaire complet du blog.

Et un troisième pour être informé par courriel de la mise en ligne des nouveaux billets.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.