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Billet de blog 24 janvier 2012

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Grande offensive d'hiver contre les étrangers

En 2012 on pourra célébrer le deuxième centenaire de la calamiteuse déroute de la Bérézina, aboutissement d'une Campagne de Russie absurde.

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En 2012 on pourra célébrer le deuxième centenaire de la calamiteuse déroute de la Bérézina, aboutissement d'une Campagne de Russie absurde. Est-ce par fidélité napoléonienne que le ministre de l'Intérieur a, dit-on, réuni ses préfets fin décembre pour les encourager à le débarrasser dès cet hiver de tous ces étrangers menteurs, fraudeurs, profiteurs? On assiste en effet en ce début d'année à une offensive massive contre les étrangers auxquels on a refusé le droit d'être là. 

Pour s'en rendre compte, il suffit de suivre le fil des nouvelles qui circulent par internet. Encore n'est-ce qu'une vue partielle de l'offensive.

19 janvier 2012. Nous sommes à Aubervilliers (Seine Saint Denis), où vivait monsieur Mo jusqu'à son expulsion début janvier. "Nous étions plus de 80 ce matin à 8h 30 au rassemblement pour la famille Mo devant l'école M. Bloch. Le maire Jacques Salvator et Daniel Garnier, chargé des affaires scolaires étaient présents aussi. Madame Mo avait l'air émue de voir tout ce monde autour d'elle, un peu perdue aussi car on devine que c'est une femme discrète et qui n'aime sans doute pas se faire remarquer. Ce rassemblement matinal lui a montré qu'elle n'était pas seule et est une étape réussie vers celui de mardi.

Un article du Parisien (93) est sorti hier, long, avec une belle photo de Madame Mo. E. Guigou a mis un "coup de gueule" sur son blog. Jean Lafont élu régional (EELV), qui a signé la pétition, a écrit un lettre au préfet de police de Paris. Nous en sommes à 1448 signatures pour la pétition en ligne. "

On assiste en particulier à une application fourbe de l'un des derniers perfectionnnements de la loi contre le étrangers: l'obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai de départ volontaire, qui doit être contestée dans les 48 heures pile s'il on veut faire valoir ses droits devant le tribunal administratif (TA). La procédure est très au point: le vendredi dans l'après-midi on ramasse dans les gares de banlieue des travailleurs sur le chemin du boulot. Les quatre heures légales de vérification d'identité suffisent pour obtenir du préfet cet OQTF, remis à l'intéressé à l'heure du thé. Ensuite, soit on le relâche dans la nature et c'est à lui de trouver de l'aide pour rédiger et faxer un recours avant le dimanche, même heure, soit – encore mieux – on l'envoie en centre de rétention administrative (CRA) d'où les association d'aide juridique en contrat avec le ministère sont absentes jusqu'au lundi matin,

20 janvier 2012. Cela se passe à Paris et en Seine Saint Denis. "Plusieurs opérations policières hier dans Paris et alentours... A Paris il s'agissait essentiellement de contrôles au faciès couplés avec des contrôle de tickets. Le quart nord ouest du métro était essentiellement touché : Stalingrad, la Chapelle, porte de Clignancourt. Police et ratp sureté travaillaient, fort nombreux à chaque fois, main dans la main.

A Pantin nous avons vu cinq personnes qui ont été interpellées, quatre étaient visiblement des sans papiers et un autre, un adolescent, parce que trop jeune, trop casquette, trop coupable de regards insistants sur les policiers et leur travail. Avant ces cinq personnes, la camionnette qui transfère les gens arrêtés du carrefour Quatre-Chemins au commissariat avait déjà effectué un aller-retour."

Les mobilisations et les mouvements de protestation sont incessants, eux aussi, mais pas avec les mêmes armes.

23 janvier 2012, à Paris. "Nous étions nombreux à nous être mobilisés pour demander la libération de Mr L., papa de deux enfants scolarisés dans le 10ème. Notre mobilisation était passée par l'organisation de tintamarres devant les écoles, pendant une semaine quasiment tous les matins à 8h15. Un appel avait aussi été lancé à tintamarre généralisé pour mardi 24 janvier, devant toutes les écoles parisiennes partantes. De nombreux élus avaient promis de participer. Autant de bruit et de promesses de bruit ont été entendus par la préfecture de Paris qui a libéré Mr L. Il n'y aura donc pas de tintamarre mardi 24 janvier matin. Merci à tous et toutes pour cette magnifique mobilisation."

14 janvier 2012. Cela se passe à Vincennes (94), "environ 150 personnes se sont retrouvées pour aller manifester contre les centres de rétention. La veille, six personnes sans-papiers avaient été condamnées en appel à des peines allant de 6 à 30 mois de prison ferme suite à la révolte, qui, le 22 juin 2008, a abouti à la destruction du centre de rétention de Vincennes. Au-delà du verdict, cette manifestation voulait une nouvelle fois crier sa solidarité avec les enfermés.

Malgré les tentatives des policiers pour nous empêcher de nous approcher du centre, nous avons réussi à arriver suffisamment près, à deux endroits différents, pour que les retenus entendent nos cris et nos pétards. Ils nous ont répondu en criant et en sifflant."

Au moment de partir, nous nous sommes retrouvés encerclés par les flics, leurs matraques et leurs gazeuses alors que des slogans contre les centres de rétention continuaient à résonner. A ce moment-là, la tactique policière a été de repérer plusieurs d’entre nous à l’intérieur de la nasse. Nous nous sommes alors resserrés pour que les personnes ciblées ne soient pas prises. En dépit de nos efforts, des civils armés de matraque télescopique sont entrés à trois reprises dans la nasse.

Trois personnes ont été isolées. Elles ont été placées en garde-à-vue. Les premiers chefs d’inculpation sont "participation à un attroupement armé, violences sur agents et dégradations de biens privés." Le reste du groupe, 99 personnes, a été embarqué dans deux cars et emmené dans le nouveau commissariat, rue de l’Évangile dans le XVIIIe arrondissement. Tout au long du transfert nous avons discuté collectivement pour imposer aux policiers de sortir ensemble et de ne donner qu’oralement nos identités. Nous avons ensuite été parqués dans une cour entourée de barbelés. Ce commissariat, qui abrite la direction de la police ferroviaire, a déjà servi pour des opérations de contrôle d’identité massives (rafles, manifestation...).

Après cinq heures aux mains de la police, nous avons été libérés. Les trois personnes placées en garde-à-vue ont été déférées et passeront peut-être en comparution immédiate au TGI de Paris, lundi 16 janvier à 13h30. Si c’est le cas, un appel sera publié en fin de matinée.

Malgré la volonté de l’État d’isoler ces lieux et ceux qui y sont enfermés, le nombre et la détermination des manifestants ont permis de faire exister notre solidarité."

Il est aussi plutôt facile d'aller cueillir dès le matin de ces jeunes familles qui n'ont pu obtenir l'asile, familles mixtes de géorgiens et d'abkhazes, d'arméniens et d'azéris, familles albano-serbes, familles tchétchènes. Pour eux, il n'est pas question de repartir vers l'enfer qu'ils ont fui. Ils reconstruisent leur vie là où les a trouvés le refus, souvent dans des lieux écartés des grandes villes, avec les enfants à l'école et le soutien de leurs voisins. Eux, ils ont du mal à suivre la pensée du président de l'OFFI (Office français de l’immigration et de l’intégration), selon lequel la société française est devenue « une société apaisée » qui, lorsque la demande d’asile est refusée, offre « 2 000 € à un adulte, 3 500 € à un couple, auxquels s’ajoutent 1 000 € par enfant » pour un retour au pays. (déclaration du 20 janvier 2012 à Strasbourg. Comme si les persécutions politiques, religieuses ou ethniques étaient solubles dans l'euro...

24 janvier 2012. Chronologie des cinq derniers jours à Tours.

"Mercredi 18 janvier, arrestation d’un couple russe-khirgiz, monsieur et madame K., retenu au local de rétention administrative de Tours, et dont le recours contre cette arrestation a abouti à leur libération sur ordre du Tribunal administratif d’Orléans.

Samedi 22 janvier, à l’hôtel Liberté,une tentative d’arrestation d’un grand-père dont les deux petits enfants avaient été parrainés à Tours le 14 novembre tourne court, mais les résidents de l’hôtel ont dû se réfugier dans les chambres pour échapper aux policiers qui arpentaient les couloirs.

Lundi 23 janvier, au milieu de la matinée, la police est de nouveau aux abords de l’appartement de la famille Ho., dont un des enfants de 19 ans, H., a déjà été mis en rétention, puis libéré. Son frère et lui ont été parrainés le 30 décembre à la mairie de Tours. Ce même jour, les contrôles de police aux abords du CADA (Centre d'accueil pour demandeurs d'asile) Adoma ont repris, et monsieur H. a été arrêté et mis en rétention.

Le 20 janvier, le RESF37 a lancé une « Adresse aux élus » leur demandant de réagir publiquement face aux arrestations et au harcèlement policier de novembre et décembre derniers. Plus que jamais, nous demandons à toutes celles et tous ceux que cette chasse aux « Indésirables » révolte de manifester leur indignation."

19 janvier 2012. De Châlons en Champagne au CRA de Metz, direction la Hongrie. "Nous avons eu confirmation ce matin de l'embarquement de la famille G., kosovare, et de son départ dans l'avion de 8 h 30 pour le Kosovo, après avoir été emmenée par une escorte du CRA de Metz, très tôt ce matin.

L'OMF (Ordre de Malte France, présente dans le CRA) avait fait hier pour eux un référé liberté et un recours contre le placement en rétention, aucune de ces deux procédures n'étant suspensive de l'expulsion. Ils auront passé moins de 24 h au CRA de Metz. Selon l'OMF, madame G.était très angoissée et stressée hier soir, mais très déterminée à ne pas partir."

Peut-être a-t-elle été "convaincue" de monter dans l'avion par l'une des stratégies à l’œuvre pour réussir les embarquements malgré les résistances :

- l'embarquement dans un premier temps des enfants dans l'avion, et ensuite, l'invitation faite aux parents à les rejoindre, pour que les enfants ne partent pas sans eux.

- plus classique, les tranquilisants, ou peut-être même les euphorisants qu'on leur fait boire.

On a appris aussi ce matin que, non pas une mais deux autres familles devaient être interpellées hier matin mercredi en même temps que les G. Dans les deux cas, les mamans, après cette annonce, avaient fait une telle crise qu'on avait dû les conduire aux urgences psychiatriques, où elles se trouvent encore."

23 janvier 2012. Cela se passe dans l'Ain. "Ce matin à 8 heures, la petite S., 9 ans, pousse la porte pour partir à l’école d’Hauteville, où elle se plaît et apprend le français à toute allure. Mais de chaque côté de la porte, il y a un homme ; elle est immobilisée, et d’autres hommes apparaissent aux alentours.

Au même moment, le président de la communauté de communes, qui est médecin, se rend à une visite et passe devant la maison mise à la disposition de la famille. Il observe une présence inhabituelle, et prévient les citoyens du collectif « Plateau Solidaire ». Quelques minutes plus tard, plusieurs voitures sont garées sur l’unique chemin qui mène à la maison.

Les gens assistent à l’arrestation. Les policiers de la PAF (police aux frontières) emmènent le fils, qui a été menotté parce qu’il se débattait, et S. est au sol, immobilisée parce qu’elle fait une crise de nerfs. Tous les membres de la famille sont placés dans des voitures, sans bagages. Mais les citoyens refusent de déplacer leurs véhicules. Il faut dire que sur le plateau d’Hauteville, il y a une longue tradition de résistance. Un garagiste a été appelé pour enlever les voitures, mais il refuse.

Beaucoup de tension, de pression, de mouvements. Et il fait froid dehors. Les gens organisent un petit déjeuner, et obtiennent que la famille retourne dans la maison pendant les négociations. S. explique à un journaliste comment les demandeurs d’asile sont traités en Hongrie, parfois sans nourriture. Elle ne veut pas y retourner. Des élus, le maire de la ville obtiennent l’assurance qu’on va les emmener au CRA et non directement dans un avion. L’avocate est prévenue.

S. n’a pas connu le CRA l’été dernier, mais elle en a entendu parler. Elle répète qu’elle préfère mourir. Elle dit aux policiers : « tuez-moi, mais je n’irai pas. » Certains policiers sont mal à l’aise, d’autres disent que la Hongrie est un pays qui respecte les droits de l’homme (!) Selina menace de mettre fin à ses jours au CRA.

C’est sans issue, les amis les plus proches de la famille aident la mère et le père à calmer leur fille, préviennent la préfecture et le CRA pour que Selina soit suivie. La police fait comprendre aux citoyens mal garés qu’ils seront poursuivis. Un autre garagiste est arrivé et va enlever les véhicules. Finalement, la mort dans le cœur, on laisse faire, impuissants, dégoûtés, incrédules que des scènes déchirantes comme celle-là puissent se passer aujourd’hui, en France.

La famille M. fait partie de la vie de cette petite ville. Ils sont acceptés par les habitants, soutenus par la commune, ils participent aux jardins collectifs, sont en bons termes avec tout le monde. Et si c’était précisément cette solidarité toute simple que le Préfet de l’Ain voulait punir ?

A 14 h 30, les voitures partent. Tout le monde est atterré. Qu’aurait-il fallu faire ? Au début, la famille n’était jamais réunie la nuit, il en manquait toujours un. Mais les habitudes d’une vie familiale normale ont été les plus fortes. A 16 h 30, le CRA appelle et nous les passe : ils sont arrivés."

Commentaire d'une membre du comité de soutien : "Une expulsion qui ressemble à une rafle. Ce qui se passe aujourd'hui m'inspire un dégoût profond. C'est parfaitement inhumain et indigne d'un pays qui prétend être une terre d'asile. Il n'y a que 80 familles dans cette situation dans l'Ain, bien loin du flot d'immigration qu'on tente de nous faire gober. Cette famille était exemplaire. Jamais un souci, l'appartement était tenu de façon impeccable et le père de famille avait même trouvé un contrat de travail dans l'entreprise de travaux publics Vincent, mis le Préfet n'a jamais voulu accorder les papiers nécessaires. Ce que j'ai vu ressemble à une rafle. Pourtant ce n'est pas un crime que de demander le droit d'asile ! Les Mahmuti ne coûtaient rien à l'état car nous les soutenions avec la commune. Je pense aux enfants, comment vont-ils pouvoir se reconstruire après un tel drame ? C'est une d'injustice, d'une brutalité morale absolue."

Le 24 janvier 2012, en début d'après-midi, la famille M. a été expulsée, avant même que le recours en référé déposé par leur avocate ait pu être jugé en leur présence.

18 janvier 2012. A Mayotte, 101ème département français, on ne perd pas tant de temps: "Je viens d'avoir confirmation d'un naufrage hier au nord Ouest de Mayotte près de la ville d'Acoua qui aurait coûté la vie à trois personnes et blessé dix autres, il y aurait 32 rescapés selon la presse locale. Ce drame serait survenu après le chavirage de l'embarcation lundi 16 janvier au large d'Acoua au Nord Ouest de l'île. Selon la Cimade les survivants ont aussitôt été placés en rétention pour ce qui n'était pas blessé. Ils auraient ensuite fait l'objet d'une reconduite à la frontière express dès le mardi 17 janvier à destination d'Anjouan aux Comores."

Martine et Jean-Claude Vernier

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