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Billet de blog 9 mars 2009

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Le SIPHON – (traduit de l’aléatoire septentrional)

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1ère année de licence Fac de Citoyenneté – option histoire post moderne 

Mesdemoiselles, Messieurs bonsoir, nous poursuivons notre étude de l’évolution institutionnelle à travers les âges qui sera au programme de votre examen en fin d’année.

Nous en étions donc restés la semaine dernière au 20ème siècle : les causes du grand basculement. Je poursuis.

Au début du 3ème millénaire après Jésus-Christ, soudain le peuple des français, au bout de la péninsule européenne, s’agita à nouveau. Nous avons vu précédemment qu’au cours des siècles antérieurs, cette nation s’était déjà distinguée par des sautes d’humeur un peu extravagantes ; d’autant plus extravagantes qu’à proprement parler durant cette longue période qui débute avec l’empire romain le territoire qui deviendra peu à peu la France n’était pas, et de loin, le plus misérable de la région. Il bénéficiait, en gros depuis l’époque gallo-romaine d’une certaine prospérité, et mis à part quelques famines passagères dont souffrirent également mais avec bien plus d’ampleur les autres peuples d’Europe, rien ne semblait le prédisposer aux initiatives révolutionnaires qui pourtant le caractérisent à partir de la deuxième moitié du second millénaire. Donc une longue période de prospérité, d’amélioration continue des conditions de vie, et pourtant, une nation qui s’inscrit soudainement dans une agitation récurrente.

La semaine dernière, je vous avais parlé des deux grands types de mouvements révolutionnaires des 19ème et 20ème siècles ; fondés généralement sur de très grandes inégalités entre les différentes classes sociales des peuples considérés, ils sont en général déclenchés par une soudaine dégradation des conditions de vie qui rendent ces différences insupportables pour les plus défavorisés ; ils se sont répartis, nous l’avons vu, en deux grandes catégories, les mouvements de type national, et les mouvement de type social à tendance internationale.

Aujourd’hui, à travers le cas particulier de la France illustré par l'épisode de la fin des années 2000, juste avant 2010 et le grand basculement dont nous vivons encore, plus de 500 ans après les répercussions, je voudrais traiter d’un cas atypique, il ne rentre ni dans l’une, ni dans l’autre de ces catégories, tout en étant pourtant et à maints égard leur prototype. Outre qu’il procède d’une certaine forme de tradition singulière, nous allons voir que ces facteurs déclenchant révèlent une complexité et une grande part d’aléas qui nous permettent aujourd’hui de comprendre en quoi il nous faut aller au-delà des catégories de l’histoire pour comprendre la longue genèse de notre système contemporain et de notre règle constitutionnelle suprême de « l’instabilité aléatoire ».

Je vais donc vous parler de l’affaire dite « du siphon », il faudrait dire en fait « des siphons » car il y en eut au moins trois dont nous avons gardé la trace.

Cette affaire se déroula en trois temps.

Une première phase s’instaure dès 2005 :

Les pays de la région sont alors confrontés à la difficulté de faire valider par leurs peuples l’abandon progressif des anciennes institutions étatiques pour définir un espace de citoyenneté à l’échelle raisonnable du continent. Il faut comprendre qu’à cette époque nous sortons à peine des grands conflits du 20ème siècle et que le nationalisme est encore très vivace. Mais nous sommes déjà dans un monde économiquement unifié et culturellement en passe de l’être, dominé par le modèle du capitalisme mercantile dont les excès commençaient à diminuer sa capacité à faire profiter tout le monde ou presque de la prospérité.

La décision est alors prise en France de soumettre l’adoption des nouvelles institutions européennes à l’approbation populaire par référendum alors que la plupart des autres pays ratifient ce passage par la voie parlementaire. Contre toute attente, une majorité de français refusent ce passage en accusant le projet européen d’accentuer les dérives du capitalisme et de les priver de leur liberté de décision. Cette victoire bloque le processus d’intégration européenne, mais surtout elle prive alors un petit parti de la tradition nationaliste locale, petit mais électoralement influent, de l’un des arguments essentiels de sa propagande et en grande partie de sa raison d’être.

Insidieusement, un premier siphon se met alors en route, purgeant insensiblement le petit parti nationaliste d’une grande partie de son électorat.

La deuxième phase eut lieu en 2007 : Election à la présidence de la république.

La question européenne ayant été mise hors jeu 2 ans plus tôt, la campagne électorale ne prend en considérations que les thèmes traditionnels de politique nationale. Elle oppose 4 candidats essentiels par les résultats antérieurs de leurs partis. Les 3 plus importants, dont un représentant la gauche modérée, un la droite modérée et le 3ème la droite classique, sont issus de partis qui étaient favorable au projet européen, le 4ème porte parole du parti nationaliste est le seul vainqueur du référendum de 2005 parmi eux. Ayant gagné cette bataille, il ne dispose plus du thème de campagne qui lui permettait de se distinguer des autres, en particulier de celui qui représentait le parti de droite, idéologiquement le plus proche de lui. Au soir du premier tour de l’élection, celui-ci triomphe en réalisant un score bien supérieur à ce que lui permettait d’espérer l’audience habituelle de son parti, tandis que le candidat nationaliste connaît la situation exactement inverse et se fait éliminer. Le premier siphon a donc parfaitement fonctionné. Au deuxième tour le candidat de la droite classique l’emportera haut la main sur la lancée de cette dynamique du 1er tour.

Il faudrait pour être complet vous expliquer également comment le parti de gauche en se divisant dès le référendum de 2005 sur l’Europe avait lui-même préparé sa déconvenue de 2007 et contribué à la victoire de son adversaire, mais ce serait rentrer dans des détails qui n’ont aujourd’hui plus de sens. L’histoire n’étant pas à refaire.

Le troisième temps de l’affaire des siphons se déroule en 2009 :

C’est lui qui donnera son nom à cet épisode de l’histoire française qui commence comme je viens de vous l’exposer en 2005. La dernière affaire débute en réalité en 2008. Comme vous le savez cette année là, le capitalisme s’effondre soudain, miné par son excroissance financière incontrôlée. Vous avez étudié en cours d’économie ancienne le phénomène dit des « bulles financières », je n’y reviens pas, nous avons à faire à l’époque à une véritable montgolfière, l’ensemble du système est boursouflé, un œdème géant. En quelques semaines, les actifs des grands organismes financiers (banques et assurances) américains perdent la quasi-totalité de leurs valeurs adossées à des emprunts hypothécaires consentis à une clientèle insolvable. Dans leur chute, ces organismes entraînent, par le jeu des reventes d’actif et des prises de participations, les banques européennes qui s’effondrent à leur tour. La conséquence directe est une réelle pénurie d’argent disponible qui paralyse progressivement l’ensemble des circuits économiques par asphyxie, le poumon de l’investissement ne pouvant plus fonctionner. Le chômage explose partout et les premières tensions sociales qui provoqueront le grand basculement de 2010 se mettent en place.

C’est dans ce contexte que le président français élu en 2007 décida début 2009 de mettre en place deux nouveaux siphons, d’une tout autre nature.

Il s’agit en quelque sorte d’un double stratagème.

1) L’économie étant tombée en panne par la faute d’organismes financiers de droit privé imprudents à force de cupidité, incapables d’honorer leurs engagements et de jouer leur rôle de drainage de la ressource financière vers l’investissement, le premier de ces stratagèmes consista à mobiliser la ressource publique autrement dit la contribution de l’ensemble des citoyens, pour renflouer ces organismes financiers et réamorcer la pompe. Le stratagème consista en l’occurrence à réaliser cette opération sans contre partie, c'est-à-dire sans prendre les garanties que l’argent ainsi fourni serait bien utilisé selon l’objectif voulu, en instaurant un contrôle public de ces organismes, soit en prenant le contrôle de leurs organes directeurs par exemple soit par voies règlementaires imposant un certains nombre de normes et d’obligations justificatives. C’est ainsi qu’est mis en place le deuxième siphon permettant de faire passer l’usage de l’argent public sous contrôle privé. Autrement dit de siphonner le trésor public pour remplir des caisses privées. C’était une pratique déjà ancienne, mais qui se limitait généralement aux marges, et souvent dissimulée. Elle avait été jusqu’alors essentiellement expérimentée à travers les politiques fiscales (en fin de cours, je vous donnerai l’adresse du site sur lequel vous pourrez télécharger la publication de l’un de mes confrères en conclusion de sa recherche sur les « niches fiscales en Europe, étude comparative des modèles Italiens et Français de 1945 à 2010 », elle vous éclairera sur l’un des aspects de cette question). A partir de Janvier 2009, on passe donc de pratiques expérimentales et limitées à une pratique véritablement industrielle du siphonage, on sort de l’empirique pour entrer de plein pied dans la période du siphon qui ne durera que quelque mois mais sera ultérieurement et magnifiquement illustré par la « Théorie du siphon » ouvrage publié à titre repentant par le célèbre siphoneur Théoric WER, pendant sa captivité. (je vous signale au passage qu’un exemplaire de l’unique édition figure dans la collection des néo-incunables confiée à la bibliothèque de notre université de Tarnac)

2) Deuxième stratagème qui vient parachever l’œuvre novatrice et abattre définitivement les règles archaïques de l’ancienne tradition dite de « la grande dichotomie », la nomination au sein des organes de direction des organismes financiers privés, parfois même directement au poste de directeur ou à celui de président, de membres des services du pouvoir politique exécutif en exercice, qui avaient participé à la mise au point du deuxième siphon. C’est ainsi, que fut nommé l’un des plus grands siphoneurs qui resta célèbre pour la postérité sous le nom de Franky, suite au piratage d’une non moins célèbre conversation téléphonique dont le nom fut tiré de l’une des répliques enregistrées « Non, non, je te dis que ça risque de pas durer ! ». Vous pourrez retrouver cet enregistrement à la médiathèque : http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/jean-claude-charrie/070309/non-non-je-te-dis-que-ca-risque-de-pas-durer. Cette nomination est effectivement remarquable, car comme je vous le disais, elle vient parachever le chef d’œuvre par la mise en route du troisième siphon autorisant la maîtrise privée par l’autorité publique d’argent public privatisé. Par incidence; c'est ainsi également que fut à l'époque mise définitivement à jour la signification du concept audacieux de "la bouteille d'encre".

Il faut pour conclure noter enfin que c'est à cette occasion que les premières bases de la théorie de "la dynamique des complexes instables aléatoires" furent posées à travers la publication d'un petit opuscule intitulé "de la rationalité des fuites aléatoires en circuit fermé" dont on ignore hélas qui fut l'auteur.

Voilà, chers étudiants j’en ai fini pour aujourd’hui, vous savez que quelques mois plus tard survint le grand basculement, on ne peut pas exclure bien évidemment que la courte période française du siphon soit totalement étrangère à cet évènement majeur de notre histoire, mais il y a tout lieu de penser qu’elle joua son rôle, c’est en tout cas ce que je crois personnellement et j’aurais peut-être la possibilité de vous le démontrer ultérieurement.

Merci pour votre attention, je vous souhaite une bonne semaine instable et aléatoire.

(accès à la deuxième conférence)

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