Petite note personnelle rédigée en 2004 et proposée en complément de mon billet précédent "La régression du repli territorial"
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On nous présente la mondialisation économique comme la nouveauté (à y regarder de plus près il me semble qu’il s’agit en fait de mondialisation culturelle et il faudra y revenir, s’est beaucoup plus intéressant et beaucoup moins inquiétant qu’il n’y paraît), nouveauté cause de tous nos malheurs présents et à venir, à base de concurrence déloyale, de contrefaçons, de dumping social et autres plaies contre lesquelles il n’y aurait d’autre réponse que la bagarre à mener dans le cadre des négociations pour les accords internationaux ( GATT, OMC et autre AGCS) d’une part, et la constitution de solidarités territoriales élargies (à l’échelle européenne pour ce qui nous concerne) d’autre part.
A la marge certaines voix discordantes et minoritaires pour l’instant, voudraient nous faire croire que le réflexe protectionniste implicite et simpliste qui va avec, quoiqu’on puisse en dire, pourrait ouvrir des perspectives de réponse positives ; c’est il me semble un danger réel et non négligeable.
Simultanément, on nous abreuve ces derniers temps de « développement durable », d’ « agenda 21 », et de « protocole de Kyoto » pendant que les grandes sociétés étalent « à la une » leurs profits records, que les inégalités sociales atteignent l’indécence, et que les 4x4 de luxe pullulent jusque dans nos bourgs de province.
Quelle synthèse faire de tout ce fatras, sans parler du tsunami en Asie, du CO² dans l’air, ni de la courbe du chômage, quelle synthèse faire de tous ces messages, des manipulations dont ils peuvent être porteurs par leurs formes ou sur le fond, comment distinguer informations et opinions, et quelle opinion se faire pour soi-même ?
L’exercice est difficile, et nous sommes tous confrontés à cette difficulté.
A la dérive, l’immense majorité, désorientée, ballottée, malmenée, prête à succomber à toutes les démagogies même les pires, à force d’être déçue alternativement par les uns et par les autres, n’en pouvant plus surtout de n’avoir aucune perspective crédible ne serait-ce qu’à moyen terme à se mettre sous la dent, n’en pouvant plus de se sentir sacrifiée en vain. Et ce n’est pas le sentiment discutable du sacrifice qui est déterminant, c’est celui indiscutable de sa vanité.(A ce petit jeu là, il ne faudra pas s’étonner si monsieur Sarkozy parvient assez rapidement au prix de quelques manipulations même grossières à se poser comme l’homme providentiel, l’homme du recours, le sauveur de la nation, le garant d’une paix sociale qu’il pourra se targuer de rétablir après l’avoir si pernicieusement démolie. C’est le comble où nous mènent il y a fort à le parier ces temps de renversement des valeurs.)
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Alors, dans ce brouillard, dans ce fourre-tout disparate, cette véritable pétaudière généralisée des faits et des idées, le citoyen moderne se repli, ramène l’exercice de ses compétences (civiles mais aussi intellectuelles) dans les limites de son espace vécu, de son territoire grégaire.
Là, il lui semble possible de comprendre, de participer, de contribuer, d’exercer le principe de citoyenneté, de s’exercer au principe de solidarité avec une réelle capacité de contrôle.
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Peu ou prou, nous en sommes tous là, en proie à ce curieux paradoxe:
donner la préférence (généralement en dehors de toute stratégie politique collective) à l'engagement au local donc à l'inefficace face au poids des déterminants macro-économiques et se faisant refuser l'engagement au service des joutes politiques nationales stériles, inexorablement disqualifiées chaque jour un peu plus, par la désuétude évidente des enjeux de pouvoir marginaux qu’elles recouvrent elles aussi face au poids des mêmes facteurs macro-économiques planétaires.
Penser globalement – agir localement tel est pourtant le mot d'ordre, le nouveau modèle issu de la mobilisation altermondialiste selon lequel il n'y aurait d'autre alternative pour le citoyen en quête d'efficacité militante que de consacrer la mobilisation de son énergie et de ses compétences à l'action directe sur son lieu de vie. Nouveau modèle en vertu duquel la somme planétaire des transformations locales ainsi obtenues serait susceptible d'infléchir le cours de l'histoire en enrayant la machine infernale néo-libérale. Le micro-économique parviendrait par voie de contagion à contraindre le macro-économique.
Le concept est alléchant, il restitue implicitement sa souveraineté au citoyen en réhabilitant sa capacité à être acteur du changement; le citoyen ne subit plus, il agit.
Mais comment ce concept pourrait-il se suffire, son efficacité repose sur le présupposé d'une prise de conscience massive?
Pourquoi pas… tous les jours nous voyons en effet se développer des initiatives locales innovantes et intéressantes, souvent spontanées, nous voyons des élus locaux (tous bords politiques confondus) leur prêter de plus en plus nombreux une oreille attentive voire bienveillante.
Mais alors, ne manque-t-il pas une deuxième proposition pour valider ce nouveau modèle de l'engagement? Penser globalement – agir localement certes, mais pourquoi faire ?
Pour quoi faire si ce n'est traduire en actes cette prise de conscience présupposée ?
Prise de conscience en référence à quelles valeurs, quelles aspirations, quelles analyses, quelles utopies, en résumé quel projet politique?
Le paradoxe est bien là, refuser le politique au nom du politique, la question du modèle reste entière. »