L’audience a été bonne, c’est cela qui compte ! Vendredi soir (10 octobre) l’émission de Frédéric Taddéï, Ce soir où jamais, se résumait pour le spectacle à un débat Attali-Zemmour. La télé poubelle (la vie) à toute heure, quand les idées sont des billes poussées par des enfants agiles dopés à la grimace circonstanciée d’un alter ego !
Au discours d’un Éric Zemmour tellement à l’aise dans son rôle bien rodé d’intellectuel maudit très à la mode – on sait que Marine Le Pen a pu profiter de ce même créneau dans l’arène politicienne (si maudite soit-elle qu’on la réinvite, qu’on en redemande, qu’on l’attend !) – dans un décor de pensée unique qui depuis longtemps déjà sème le malaise chez tout le monde sauf chez ceux qui font le monde. Pas besoin d’un Soral ou d’un Zemmour pour savoir que le bourgeois type Jacques Attali, négateur du sentiment tragique de la vie (Cf. Unamuno), ignorera toujours une certaine vérité des faits. Pas besoin des sombres fantasmes d’un sentimental frileux tel que Zemmour pour savoir que les fantasmes rayonnants d’un premier de la classe gâté par son époque ne sont que des leurres où seuls se laissent prendre les profiteurs et les béats. L’esprit d’entreprise qu’il ne cesse de vanter, faisant croire qu’il est possible à tout un chacun de s’épanouir à condition d’être moderne, ne pourrait à la rigueur valoir que dans une société en bonne santé, il oublie que nombre des personnes qu’il appelle résignés-réclamant sont abattus par l’existence qu’on les oblige à subir, et le micro-crédit chargé de les remettre au sein du tout économique ne saurait suffire à donner du sens à leur vie, car l’horizon n’est pas en soi. Se rend-il compte de ce qu’il exprime quand il assimile tout refus du changement, de la nouveauté au refus de l’autre, à la xénophobie ? Son regard, le regard d’Attali, est définitivement condescendant, il ne le sait pas, il faut le lui dire. Le gouvernement mondial auquel aspire celui qui a pour manie symptomatique de traiter d’imbéciles la plupart de ses contradicteurs, persuadé sans doute qu’il est de son propre génie, risque fort de n’être à terme sinon déjà qu’un stigmate décalé du chaos en cours. La bureaucratie bruxelloise s’étant mise à dos les peuples, il faudrait étendre ce jeu de réglementations inspirées par les lobbies les plus puissants à la terre entière ! Dans un monde sans ailleurs point d’échappatoire, n’est-ce pas cela le totalitarisme ! Attali en rêve. La vielle idée d’une société finalement sans classe a peut-être vécu, le vieil espoir judéo-chrétien d’une parousie paraît lui-même assez usé, à la place on nous vendrait un État mondial ! Le FMI, l’OMC n’étant alors que des esquisses jugées probantes de ce nouvel ordre qui aurait vocation à durer mille ans ou plus, qui sait ! Le massacre des peuples par la mondialisation ne suffit pas ! Resterait certes comme utopie le développement personnel pour chacun des masturbés que nous sommes, syndrome névrotique d’une société atomisée pressée par le consumérisme et incapable de vivre collectivement, une chimère nouvelle, formule parfaitement intégrée au système marchand tel qu’il est. L’apolitisme dans toute sa splendeur ! Les mafias se frottent les mains ! Dans un monde où le bien est à ce point admis et général (Cf. à ce propos les écrits de Philippe Murray ou de Jean Baudrillard), il est sûrement voluptueux d’enfiler le masque du mal, Zemmour y excelle, et il en jouit sûrement. Attali, économiste new age, ridicule évangéliste médiatique, laisse le champ libre à son contradicteur, lequel n’a plus qu’à dérouler ses éléments de langage renaudcamusiens (le « grand remplacement »), à nous réhabituer au pétainisme, à faire comme si le peuple était naturellement en danger génétique, comme si la peur économique était la peur du métissage, car ces gens-là, de la vraie droite, n’ont que le sang, la hiérarchie et la race à la bouche ! La démagogie de Zemmour est malheureusement la plus efficace, frappant au cœur de la confusion des peurs et s’appuyant dans nombre de cas sur des faits indéniables qu’il lui suffit de potentialiser.
Si les espaces publics, pas seulement les espaces de débat, s’ouvraient à la critique radicale, celle qui est menée par exemple par le MAUSS, les décroissants, le groupe Pièces et main d’œuvre, des penseurs tels que Jean-Claude Michéa (bêtement pris à parti par Lordon et Boltanski), Dany-Robert Dufour, Jacques Rancière, etc. on peut penser que peut-être les considérations de tel ou tel intellectuel chéri des médias apparaîtraient pour ce qu’elles sont, insignifiantes. J’évoque là des penseurs capables de parler des valeurs et de ne pas se contenter de rejouer indéfiniment une rivalité gauche-droite ou bien-mal complètement corrompue. Il est évident toutefois que le plateau télévisé ne peut être l’espace qui convient à la formation d’une critique quelle qu’elle soit. Le lien essentiel et initialement formateur ne peut être que le lien personnel (être vivant à condition d’avoir une vie), il existe dans le rapport au texte, au livre, dans la formation en présence, dans le combat, la vie et le devenir collectif. [Cf. le billet Derrida sur Modiano, de Thierry Briault : Parce qu'écrire ou parler ce n'est pas simplement entrer dans un ensemble de conditions déjà programmées (Benjamin disait qu'il fallait changer ça, que la parole révolutionnaire consite à transformer les conditions de sa production et de sa réception)] Des territoires sont à défendre, d’autres à conquérir, à inventer. La rue est à prendre. Elle n’attend que nous. S’il est trop tard, tant pis. Pour elle.
Cependant que les émules politiques d’Attali sont les mêmes qui pratiquent une politique souventefois inspirée de Zemmour and Co, la xénophobie se porte bien de toute part, et, chez ceux qui surplombent la populace, chacun bien installé dans son rôle, le confort intellectuel reste la pire insanité. Mais l’audience du débat de vendredi a été bonne, c’est cela qui conte !