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Billet de blog 1 août 2014

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L'amende de BNP Paribas [partie VI]

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

BNP Paribas vient de publier le 31 juillet ses comptes du 2ème trimestre 2014, où suite à la sanction américaine, son bilan est déficitaire de plus de 4 milliards d'euros.

Cette publication, reprise par tous les médias, nous donne l’occasion de revenir à tête reposée sur les tenants et les aboutissants de cette fameuse pénalité de 9 milliards de dollars (6,5 milliards d'euros).

[NB : dans le texte, l'abréviation M€ (ou M$) signifie "million(s) d'euros" (ou de dollars), et Md€ (ou Md$) signifie "milliard(s) d'euros" (ou de dollars)].

 [SUITE DE LA PARTIE V]
 [Sommaire des 6 parties]

 3. FRANÇOIS HOLLANDE ET LES BANQUES

Ces transactions frauduleuses ont été opérées dans le cadre de la BNP en tant que "banque d'affaires" (c'est d'ailleurs ainsi que se définit sa filiale suisse).
Or, depuis la crise financière de 2007-2008, un débat récurrent est celui de la séparation entre d'une part les banques de dépôt (ou commerciales, ou de détail) et d'autre part les banques d'affaires (ou d'investissement, ou de marché). Débat complexe tant sur le plan théorique (ces deux activités peuvent être complémentaires) que sur le plan technique.

Illustration 1

Rappelons que cette question faisait partie du 7ème des 60 engagements pour la France du candidat François Hollande :
« Je veux mettre les banques au service de l’économie.
Je séparerai les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives. 
J’interdirai aux banques françaises d’exercer dans les paradis fiscaux. 
Il sera mis fin aux produits financiers toxiques qui enrichissent les spéculateurs et menacent l’économie. 
Je supprimerai les stock-options, sauf pour les entreprises naissantes, et j’encadrerai les bonus. 
Je taxerai les bénéfices des banques en augmentant leur imposition de 15 %. 
Je proposerai la création d’une taxe sur toutes les transactions financières
ainsi que d’une agence publique européenne de notation. »
 
Que reste-t-il des promesses de notre président anaphorique et oxymorique ?

  3-1. Je séparerai les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives

La loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires précise dans son article 2, long et complexe, les opérations devant être effectuées par l'intermédiaire de filiales dédiées à ces activités. Les critiques ont notamment porté sur le fait que la filialisation de ces activités spéculatives ne concerne qu’une très faible partie des activités bancaires.
Notons que le gouvernement socialiste est si sensible au lobbying de ses "banques universelles" françaises que socialistes et banquiers sont montés au créneau pour protester d’une même voix lorsqu’en janvier 2014, le commissaire européen au marché intérieur et aux services financiers a présenté un projet de loi de réformes structurelles des banques plus ambitieux que la loi française !

Illustration 2

   3-2. J’interdirai aux banques françaises d’exercer dans les paradis fiscaux

L'article 7 de la loi bancaire du 26  juillet 2013 comporte une réelle avancée : l’introduction d’une obligation pour les banques françaises de publier des informations sur leurs activités dans les différents pays où elles opèrent. A savoir, pour l'exercice 2013, le PNB (produit net bancaire : différence entre les produits bancaires et les charges bancaires) et les effectifs en personnel, et pour l'exercice 2014, les impôts payés, les bénéfices, et les subventions publiques reçues.
En revanche, la "liste des États et territoires non coopératifs" du Code Général des Impôts reste risible (dix en 2013, huit en 2014) !

Profitons-en pour une petite digression sur la BNP et les paradis fiscaux.

Les ONG font un gros travail de rencensement.
Le rapport de juillet 2012 du Comité catholique contre la faim et pour le développement-Terre Solidaire (membre de la "Plate-forme paradis fiscaux et judiciaires") notait que depuis 2010 BNP-Paribas était passé de 347 à 360 filiales dans les paradis fiscaux.
Précisons que la liste des paradis fiscaux est celle des 60 pays listés en 2009 dans le "financial secrecy index", le classement du réseau Tax Justice Network, dont les critères sont plus larges que ceux des institutions officielles.
Bien entendu ces conclusions ont été contestées par la BNP en mars 2014 (et les arguments de la BNP ont été eux-mêmes contestés…)
Dans son rapport de juin 2013, le CCFD-Terre solidaire notait que le nombre de filiales de BNP dans les "paradis fiscaux" était tombé à 214.

Les ONG ne sont pas les seules à constater que la BNP est la championne des paradis fiscaux.
Le rapport Bocquet, publié en 2012 au nom de la Commission sénatoriale d'enquête Evasion des capitaux, constate aussi que sur les 5 principales banques françaises, c'est la BNP qui arrive en tête. Il se base sur l'enquête IBE (Implantations Bancaires à l'Étranger) de l'ACP (Autorité de Contrôle Prudentiel).
Et le rapport particulier n°3 du rapport de janvier 2013 du Conseil des prélèvements obligatoires, organe placé auprès de la Cour des comptes, consacré aux prélèvements obligatoires et les entreprises du secteur financier, le constate aussi. Le pourcentage de filiales étrangères de BNP Paribas domiciliées dans les centres financiers offshore est de 12 à 17% (selon la liste de centres offshore retenue), soit de 87 à 118 filiales de premier rang et de 256 à 334 si l’on tient compte des filiales jusqu’au dixième rang. BNP Paribas est ainsi la banque française qui a le plus de filiales dans les centres financiers offshore, notamment au Luxembourg, à Hong Kong, aux Caïmans ou en Irlande.

Grâce à l'article 7 de la loi bancaire de juillet 2013, le Document de référence pour l'exercice 2013 publié par la BNP mentionne les paradis fiscaux où elle est implantée (p 442). Il n'y en a que 2 : Brunéi et les Iles Vierges. On aura compris que la BNP se réfère (elle aurait tort de s'en priver), à notre fameuse "liste des États et territoires non coopératifs" du CGI !

En ce qui concerne les Îles Caïmans, chères aux requins de la finance mais non répertoriées par le CGI, Baudouin Prot, Président de BNP Paribas, les évoquait lors de son audition par la Commission d'enquête Evasion des capitaux du Sénat, en avril 2012. Sur les 22 entités de BNP Paribas implantées aux îles Caïmans, il arguait que 9 de ces entités étaient "non matérielles ou en cours de liquidation", et que 10 autres étaient "situées aux îles Caïmans" mais "taxées au Royaume-Uni".
Le Document de référence pour l'exercice 2013 précise quant à lui "Le résultat des entités implantées aux Îles Cayman est taxé aux États-Unis et leurs effectifs sont situés également aux États-Unis." Les État-Unis ou le Royaume-Uni, on n'est pas à un détail près (on notera en passant l'orthographe phe à l'anglaise "Cayman", comme pour dérouter les recherches par mot…)
Et dans sa réponse en mars 2014 au rapport du CCFD-Terre solidaire, la BNP faisait savoir que "6 des 7 entités du groupe sont domiciliées fiscalement aux Etats-Unis". Tiens, on est passé de 22 entités à 7 entités en deux ans. C'est sans doute un hasard si entretemps la loi de séparation et de régulation des activités bancaires a été examinée et votée. La BNP précise que "la principale raison de la localisation de ces entités tient à la gestion de notre liquidité" (rien de tel que les îles pour la liquidité, c'est bien connu).

Baudouin Prot, lors de l'audition par la Commission d'enquête de Sénat, déclarait : "En matière d'imposition, nos principes nous font interdiction de procéder à quelque déplacement d'activité que ce soit vers des pays à fiscalité privilégiée."
Il semble pourtant que le Conseil d'État, par exemple dans des décisions en date de juillet ou de décembre 2013, ait laissé entendre que des succursales de BNP Paribas (indirectes, via la filiale suisse, no comment) s'étaient localisées naguère à Guernesey ou aux Bahamas pour des raisons fiscales plutôt que pour l'air marin (mais la BNP n'entend pas payer d'impôts à ce titre à l'État français).
Enfin bon, ce qui compte c'est que M Prot, comme on peut le constater en début de compte-rendu, a levé la main droite et prêté serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Illustration 3

   3-3. Il sera mis fin aux produits financiers toxiques qui enrichissent les spéculateurs et menacent l’économie. 

C'est en fait l'Union Européenne qui a fait un pas. Deux techniques spéculatives sont désormais mieux encadrées, avec l'entrée en vigueur depuis novembre 2012 d'un règlement européen qui interdit les CDS à nu portant sur la dette des États, et impose plus de transparence pour les ventes à découvert.

  3-4. Je supprimerai les stock-options, sauf pour les entreprises naissantes, et j’encadrerai les bonus. 

Le président n'a plus à légiférer, puisqu'en juin 2013 a été instauré un code de bonne gouvernance… établi par le patronat. On ne rit pas.

  3-5. Je taxerai les bénéfices des banques en augmentant leur imposition de 15 %. 

Ah bon ?

  3-6. Je proposerai la création d’une taxe sur toutes les transactions financières

Une taxe sur les transactions financières (TTF) est entrée en vigueur en France en août 2012. En fait non seulement elle ne doit rien à François Hollande (elle a été introduite dans le Code général des impôts par la loi de finance rectificative de mars 2012, avant les élections présidentielles), mais en outre elle ne concerne qu'un périmètre d'opérations fort modeste.
 
Au niveau européen, suite à la crise financière, le projet d'une TTF est en route depuis 2010. La dernière étape en date a été sa discussion lors de la session de l'Ecofin en mai dernier. Mais l'état actuel de l'accord sur la coopération renforcée entre onze États membres dans ce domaine est très décevant. Il est loin du projet initial de 2011 (cf par exemple ici ou ). Le président Hollande n'y est pour rien, me direz-vous ? A ceci près que son ministre de l'Économie et des Finances de l'époque, Pierre Moscovici, s'était finalement rallié au lobby bancaire dès juillet 2013.

Cet émiettement n'empêche pas, bien entendu, la place financière de Paris de continuer à pousser des cris d'orfraie en agitant sa perte de compétitivité par rapport aux places financières non signataires de l'accord de coopération renforcée, avec le relais du grand patronat français et allemand.

  3-7. …ainsi que d’une agence publique européenne de notation.

En juin 2013, l'UE a mis en œuvre des règles plus strictes concernant les agences de notation de crédit, en vue de diminuer leur influence et d'accroître leur rigueur.
Mais on n'entend pas parler d'une agence de notation européenne.

Illustration 4

  3-8. EN CONCLUSION

Le livre Mon amie c’est la finance ! Comment François Hollande a plié devant les banquiers, dont on peut lire un compte-rendu ici ou ou encore , est sûrement instructif. 
Comme je le rappelais dans un autre article, on attribue l'aphorisme "Les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent." à Henri Queuille, président du Conseil sous la IVème République, qui partage avec l'actuel président d'avoir fait une carrière locale en Corrèze avant d’accéder aux hautes fonctions de l’État.

 [FIN]

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