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Billet de blog 1 août 2014

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L'amende de BNP Paribas [Partie V]

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

BNP Paribas vient de publier le 31 juillet ses comptes du 2ème trimestre 2014, où suite à la sanction américaine, son bilan est déficitaire de plus de 4 milliards d'euros.

Cette publication, reprise par tous les médias, nous donne l’occasion de revenir à tête reposée sur les tenants et les aboutissants de cette fameuse pénalité de 9 milliards de dollars (6,5 milliards d'euros).

[NB : dans le texte, l'abréviation M€ (ou M$) signifie "million(s) d'euros" (ou de dollars), et Md€ (ou Md$) signifie "milliard(s) d'euros" (ou de dollars)].

  [SUITE DE LA PARTIE IV]
 [Sommaire des 6 parties

    3-3-4 - UNE SANCTION PÉCUNIAIRE PEUT-ELLE ÊTRE DÉDUITE DU BÉNÉFICE IMPOSABLE ?

Quel que soit le montant de l'IS acquitté par la BNP, une question vient ensuite : dans quelle mesure la BNP peut-elle déduire de ses résultats la sanction imposée par les USA ?

Illustration 1

      3-3-4-1. En France ?

Le point 2 de l'article 39 du CGI stipule :
"Les sanctions pécuniaires et pénalités de toute nature mises à la charge des contrevenants à des obligations légales ne sont pas admises en déduction des bénéfices soumis à l'impôt."
Cette disposition est inscrite dans la section consacrée aux bénéfices industriels et commerciaux (concernant les personnes physiques), mais le Bulletin Officiel des Finances Publiques précise dans une instruction du 12/09/2012 qu'elle s'applique aussi aux entreprises "passibles de l’impôt sur les sociétés".
Donc, les sanctions pécuniaires doivent faire l'objet d'une réintégration extra-comptable pour le calcul de l'IS.

Concernant la nature des sanctions, cette instruction précise: "En d’autres termes, ne peuvent être déduites du bénéfice imposable les sanctions pécuniaires et pénalités infligées sur le fondement de dispositions légales c’est-à-dire de dispositions de droit international ou communautaire, législatives et réglementaires relevant du droit interne français. Il en est de même des sanctions infligées à des contrevenants à des dispositions légales d'États étrangers et liées à des opérations imposables en France."
La question se pose donc de savoir si les sanctions pécuniaires américaines sont concernées, dans la mesure où la BNP n'a pas contrevenu à des dispositions inscrites dans le droit français, communautaire ou international, et que les opérations concernées, réalisées par des filiales, n'étaient pas imposables en France.
Il faut reconnaître que le cas est inédit. Lors des condamnations du Crédit lyonnais pour l'affaire Executive Life, c'est le Consortium de réalisation (CDR), structure de défaisance ad hoc, qui avait géré.

On peut imaginer que François Hollande, Michel Sapin et Arnaud Montebourg ayant gesticulé en chœur contre le caractère "disproportionné" de l'amende, ils aient à présent du mal à exiger de la pauvre petite BNP qu'elle assume toute seule cette sanction inique !
D'un autre côté les finances publiques sont en difficulté. Alors ?
Le secret fiscal étant ce qu'il est, on risque de ne pas vraiment savoir s'il y aura arrangement entre la BNP et Bercy, quelles que soient les déclarations des uns et des autres. On sait qu'entre le milieu bancaire et Bercy, c'est une longue histoire d'amour, notamment analysée dans un récent ouvrage.

Illustration 2

       3-3-4-2. En Suisse ?

Par ailleurs, sur les 8,8 Md$ de transactions délibérément frauduleuses imputées à la BNP, la plus grande partie (6,4 Md$) concerne le Soudan et a été effectuée dans les bureaux de Genève de la filiale suisse historique de BNP Paribas. Or, cette filiale suisse de BNP Paribas paie ses impôts en Suisse.
L'éventualité d'un transfert de tout ou partie de l'amende de BNPP SA vers sa filiale suisse BNPP Suisse SA a été évoquée, afin de bénéficier de la déductibilité fiscale. Ceci tant par de grands médias généralistes que par des médias spécialisés.

Sans entrer dans la possibilité juridique d'un tel transfert, il ne serait pas forcément pertinent pour deux raisons :

        3-3-4-2-1. D'abord, la déductibilité d'une telle sanction pécuniaire n'est pas évidente

S'il semble qu'en Suisse certaines amendes ou pénalités puissent être considérées comme une charge commerciale, et donc déduites, c'est une affaire de cas par cas. De plus, pour ce qui est des impôts à l'échelle cantonale, la doctrine varie d'un canton à l'autre de la Confédération helvétique.

En ce qui concerne les instances judiciaires, la doctrine juridique n'est pas unanime sur ce point. Tous les verdicts ont conclu que les sanctions n'avaient pas le caractère de charges justifiées par l'usage commercial, mais ils concernaient des personnes physiques, pas des personnes morales. Le Tribunal fédéral (l'organe juridique suprême) ne s'est pas encore prononcé concernant des personnes morales.

En ce qui concerne les instances exécutives, le Conseil fédéral (l'organe exécutif de la Suisse) partage l'opinion de l'Administration fédérale des contributions (AFC), selon laquelle les amendes fiscales à but pénal ne sont pas déductibles des impôts.

En ce qui concerne les instances législatives, en septembre 2013, le Conseil national (l'Assemblée nationale suisse) avait rejeté de justesse (91 voix contre 89) une motion du Conseil des États (le Sénat suisse, représentant les cantons) qui proposait que les amendes dues par les banques suisses aux Etats-Unis ne puissent pas être déduites fiscalement. Rappelons qu'UBS, l'une des deux grandes banques suisses, avait fait l'objet de plusieurs sanctions par les USA ces dernières années, la plus importante étant celle d'1,53 Md$, en décembre 2012, suite à des manipulations du taux interbancaire "Libor". Suite à ce rejet, une conseillère nationale (députée) socialiste avait déposé un "postulat" demandant un rapport sur le régime fiscal applicable par la Confédération et les cantons aux sanctions pénales et administratives.

Puis, en mai 2014, c'était le Crédit Suisse, la seconde grande banque suisse, qui était sanctionnée à hauteur 2,6 Md$, pour avoir aidé des citoyens américains fortunés à frauder le fisc. Cette affaire avait relancé le débat : les pouvoirs publics, donc les citoyens, doivent-ils participer aux amendes des banques via des déductions fiscales ?

En juin 2014, le Conseil national a rejeté  la "motion" d'un conseiller (député) Vert réclamant un projet de loi répercutant sur les établissements financiers tous les coûts résultant du règlement du différend fiscal avec les Etats-Unis (116 non contre 68 oui et 1 abstention. Mais il a accepté le "postulat" de la conseillère socialiste cité plus haut (99 oui contre 81 non et 6 absentions), qui devrait déboucher sur une harmonisation du traitement au niveau fédéral et cantonal.
(NB : le "postulat" et la "motion" sont des initiatives parlementaires propres à la Suisse.)

Bref, le débat est vif, et la droite helvétique commence à se sentir gênée aux entournures.

L'affaire ne serait donc pas gagnée pour BNP Paribas Suisse, d'autant qu'elle s'est fait taper sur les doigts pour ces opérations par la FINMA, l'autorité de surveillance des marchés financiers suisses.

Illustration 3

        3-3-4-2-2. Ensuite, l'impôt sur les bénéfices de cette filiale suisse de BNP est faible

* D'abord, la moyenne annuelle de son bénéfice sur les 3 dernières années est "seulement" de 248 M€.

* Ensuite, le taux nominal d'impôt sur les bénéfices est de 7,8 % au niveau fédéral, et les taux au niveau cantonal et communal étant variables, le taux global est évalué entre 11,5 % et 24,2 % (BNP Paribas Suisse est établie dans 4 cantons). Et le taux effectif, une fois toutes les déductions effectuées, est bien sûr encore beaucoup plus faible.

 [SUITE : PARTIE VI]

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