Bien sûr, je peux vous raconter comment cela a commencé ! Mais si vous avez d'autres informations, je les intégrerai en citant vos messages. Il faut dire que l'année 2011 a été une sacrée année, annus horribilis comme aurait dit la Reine d'Angleterre. La crise financière n'en finissait pas, le climat changeait plus vite qu'on ne s'y attendait, la Terre convulsait de plus en plus, cyclones, plaques tectoniques qui valsent, tremblements de terre, tsunamis et le niveau de la mer qui monte, ravageant les zones côtières les plus peuplées. À peine avait-on réparé grosso modo les dégâts de l'une qu'il fallait donner son écot pour la catastrophe suivante. Et voilà soudain que tremblement de terre, tsunami, accident nucléaire s'enchaînent comme à la parade. Les Japonais, malgré leur habitude du dragon qui s'agite, en sont tout hébétés, oublient d'appeler tout de suite à l'aide, ils ont leur fierté, mal placée pour le coup, car la catastrophe prend une mauvaise tournure. Personne n'aime savoir que des radiations vous traversent le corps sans crier gare et que des particules contaminées se promènent dans les airs, les eaux ou les aliments, prêtes à être ingérées et à se fixer dans votre corps pour y faire des lésions dont on ne se rend compte de la malignité que bien trop tard.
Et tout ça n'était que le début de l'année, la suite a été à la hauteur ! L'économie nippone pour une part à genoux entraîne les autres pays qui ont été, grâce à la division globale du travail, rendus dépendants du flux tendu des composants de toutes sortes qui faisaient trois fois le tour de la planète pour des raisons d'économie. La contrepartie de ces voyages étant la libre circulation des capitaux avec leurs arrêts lucratifs dans les paradis fiscaux, lieux privilégiés de rencontre avec les mafias internationales. Les bourses dévissent, pas grave c'étaient pour une fois les spéculateurs charognards qui perdaient leur argent de poche, mais les États qui avaient déjà mis la main à la poche de leurs contribuables n'avaient plus les moyens de boucher les trous faits par les spéculateurs, les catastrophes et la désorganisation de l'économie réelle, comme ils disaient.
Alors les frappes chirurgicales pour freiner l'ardeur guerrière de Kadhafi contre son peuple en révolte et sans armes ce n'étaient que de la routine qui malheureusement s'est sérieusement aggravée quand l'Arabie saoudite eut la bonne idée d'aller mettre de l'ordre dans quelques émirats arabes désunis. Là, les déboires de l'Arabie saoudite dans ses tentatives d'imiter l'ONU, l'OTAN et leurs supporteurs favoris, se sont soudain répercutés sur le prix du pétrole et donc sur les prix alimentaires, en conjonction avec une sécheresse dévastatrice suivant un printemps très humide pourrissant les plantations… Cette fois, il n'y avait plus de nourriture suffisante en dehors de l'huile de palme, du soja ou du maïs transgéniques à partager avec les bêtes et les moteurs. Il faudrait encore dire comment la tournure mauvaise des événements s'est aggravée avec les révoltes du Yémen et surtout de la Syrie qui paraissait prendre le chemin de la Libye. Sans parler de la Côte d'Ivoire et de ses deux présidents. Tout ça avec un nuage radioactif qui s'épaississait à chaque révolution autour de l'hémisphère nord.
L'incendie monstre, avant des inondations monstres, qui avait ravagé les plaines d'Australie comme les plaines de Russie quelques mois après, laissait imaginer que la température générale augmentant nous aurions encore quelques territoires agricoles ou forestiers réduits en cendres. Ce qui n'a pas manqué, malheureusement si le pire n'est pas toujours certain, il se produit régulièrement.
Je passe sur les déséquilibres économiques, comme ils disaient, en fait les planches à billets, pour ceux qui en avaient, devenaient blanches à tourner si vite. Ce qui devait arriver arriva : ces monnaies soufflées au vide se sont effondrées. L'accident systémique qui nous pendait au nez depuis des années était là, prévisible puisque toutes les mesures prises, au mieux en retardaient l'échéance, au pire en accéléraient le processus. L'oligarchie ploutocrate qui dirigeait la finance mondiale était enfin parvenue à l'extrême limite de son projet : tout rafler tant qu'il en restait. Mais là il ne restait plus rien désormais, elle n'avait plus que du papier sans valeur ou des chiffres dans des mémoires magnétiques qui ne valaient que le courant électrique nécessaire pour les lire. Chacun était revenu à la case de départ, à sa caisse vide.
Je sais que tout cela est tristement résumé en quelques mots dans les livres d'histoire de la grande crise, la Crise tout court, celle qui a commencé en 2007 quand le premier étatsunien n'a pas pu payer l'échéance mensuelle de son emprunt dont les taux avaient explosé en quelques semaines, et de ses conséquences pour l'ensemble de l'humanité. Premières conséquences dont nous devons à jamais nous souvenir, ainsi que des souffrances qu'elles ont apportées et issues de la dérive folle dans laquelle l'humanité s'était engagée en méprisant totalement les conséquences à long terme de ses actions.
Imaginez donc ces mois terribles où tout semblait basculer, où les dirigeants ne savaient que faire et où les peuples n'avaient plus aucune confiance en leurs représentants. Les contraintes économiques, la quantité d'humains à nourrir, loger, soigner, la disparition du capital fictif entraînant celle des épargnes et survalorisant la nourriture, les matières premières et les outils de production encore fonctionnels, semblaient insolubles, les dictatures ou les révolutions paraissant les seules réponses possibles.
C'est ce qui serait arrivé si ne s'était pas produit un curieux événement, au Japon précisément, endetté, frappé par des catastrophes, obligé de secourir des millions de personnes réfugiées à l'intérieur de ses îles qui tremblaient entre deux cyclones, en attendant une éruption d'un de ses quarante volcans. Cet événement s'est produit tout près d'une usine sidérurgique, dans la petite ville où se logeaient les ouvriers et leurs familles. Au bout sud de Honshu, loin de Tokyo, elle n'avait eu à subir que les effets indirects des catastrophes de l'année 2011. Mais c'était déjà beaucoup, réfugiés à héberger et à nourrir, radioactivité des aliments à contrôler, sans compter le ralentissement de la demande d'acier aussi bien pour la reconstruction que dans le monde avec la Crise.
Malgré toutes les difficultés, les bonnes habitudes perduraient ! Les bilans devaient être faits, les bons ouvriers être récompensés si les actionnaires pouvaient recueillir des dividendes en hausse. Ainsi le repas de la brigade 11 était déjà bien engagé, le saké avait coulé vigoureusement et le dessert annonçait d'autres libations généreuses. C'était l'usine qui payait les festivités à la meilleure brigade de l'année. Ils en avaient fait couler des tonnes de fer et d'acier. Le récit de ce qui suit est tiré du film qui a fait le tour de la planète par internet et du récit tel que M. Yamamoto l'a raconté bien après.