jeanNimes

Abonné·e de Mediapart

18 Billets

1 Éditions

Billet de blog 11 novembre 2012

jeanNimes

Abonné·e de Mediapart

Interview de M. Yamamoto (Première partie, le fonctionnement des C31)

jeanNimes

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J'ai trouvé une autre interview de Sakura Yamamoto, je vous la transcrirai une prochaine fois. Toutefois vous remarquerez que dans sa première interview (voir la première saison) beaucoup de questions concrètes ne sont pas abordées quand elle parle de la construction d'un nouveau quartier organisé pour accueillir les réfugiés, des choix des plans, des matériaux, la nature des entreprises qui l'ont réalisé, des rapports avec le travail de construction des futurs locataires, son évaluation, etc. Pour cela, il faudra fouiller dans les décisions des C31 de l'époque (pour les explications sur les cercles 31, voir aussi la première saison) et encore nous n'aurons pas tout. Beaucoup d'informations sur ces premiers temps se sont perdues, recouvertes par d'autres récits transmis et déformés.

 Plus je recherche des informations sur cette période passionnante, plus je me heurte aux effets de l'informatisation de notre mémoire historique. D'un côté, il semble que tout soit enregistré, mais on ne parvient pas à trouver les bons documents originaux, fiables, dans la masse des textes, images ou vidéos qui s'est accumulée au cours des décennies. D'un autre côté, des pièces essentielles que nous souhaiterions consulter ne sont pas accessibles, effacées au hasard des déplacements de sites, des renommages de pages ou des destructions accidentelles. Tout n'était pas redondant à cette époque comme cela l'est devenu dans le "nuage", ce qui maintenant ne fait qu'accroître le travail de tri qu'il faut pratiquer devant toute page ou tout lien !

 Je vous propose de rassembler des informations qui sont des compléments et aussi des remises en perspective de ce que les acteurs pouvaient comprendre et dire des premiers moments de la grande transformation à cette époque. Tout d'abord, il semble que les inquiétudes majeures concernant la contamination radioactive se soient atténuées, même si les conséquences du tsunami sur les centrales nucléaires et l'interdiction du retour dans la zone contaminée obligeaient à considérer l'accueil des réfugiés comme définitif. L'arrêt de la plupart des centrales nucléaires et la décision de sortir de l'énergie nucléaire paraissent avoir rassuré la population qui a pu considérer d'un œil plus objectif la réalité de la transition énergétique à réaliser. Toutefois, les mesures régulières de la radioactivité des aliments ou des bâtiments restaient à l'ordre du jour car les effets à long terme étaient toujours présents et craints.

 Les sidérurgistes de l'usine de M. Yamamoto qui, pour d'autres raisons, avaient réduit le volume de la production se réjouissaient de leur décision : la centrale nucléaire qui alimentait l'usine ayant fermé (trop près de la mer), les solutions de cogénération devenaient indispensables si l'on ne voulait pas être obligé de pratiquer des coupures de courant dans les villes voisines. Dès ce moment, il apparaît qu'ils ont commencé à réfléchir sur comment l'usine pourrait alimenter le réseau, certaines des réactions qu'ils manipulaient produisant de la chaleur.

 J'ai pu trouver une interview de M. Yamamoto. Elle est assez longue et détaillée, huit mois environ après les événements dans l'usine sidérurgique. Je vous en résume les informations principales puisque M. Yamamoto était interrogé sur le fonctionnement des C31 et leur origine dans l'usine ainsi que sur les événements qui se sont enchaînés ensuite. Les journalistes revenaient souvent dans leurs questions sur l'organisation des C31, comme s'il était le dirigeant de ce mouvement. Il répondait tranquillement que les C31 évoluaient certainement et que c'était nécessaire mais que lui ne dirigeait rien, il participait comme tous les autres citoyens aux décisions et à leur application.

 Les journalistes insistaient surtout pour savoir s'il ne fallait pas introduire une vraie organisation, avec des chefs de cercle, un bureau de cercle, des cercles hiérarchisés, des votes, des élections… c'était quand même difficile de croire que n'importe qui pouvait discuter de n'importe quoi n'importe quand et participer à prendre des décisions qui seraient appliquées alors que peut-être des membres du C31 n'étaient pas des experts voire pas instruits, tout simplement. Cela choquait beaucoup de voir que ceux qui avaient des diplômes devaient discuter et s'expliquer avec des gens du peuple moins instruits et que leur voix était aussi importante que celle des experts ! Que les citoyens soient tous considérés a priori comme dignes et légitimes pour discuter de tout ce qui concernait leur vie heurtait leurs convictions profondes mêmes s'ils n'osaient pas le dire directement et s'ils trouvaient des formulations tordues pour l'exprimer.

 M. Yamamoto répétait que les C31 avaient commencé "comme ça" et qu'ils avaient montré qu'ils étaient productifs, donc qu'il fallait continuer "comme ça" ! En particulier, il était très content que le rythme du travail et de la production ait changé pour le mieux-être de tous les salariés de l'usine, de leurs familles et même du voisinage car les magasins n'étaient plus obligés de suivre le rythme des équipes à l'usine. Que la production réduite pesait moins sur les ressources énergétiques et que maintenant ils discutaient avec des peuples qui les sollicitaient quand ils avaient besoin d'acier parce qu'ils ne pouvaient pas construire dans l'immédiat d'usine sidérurgique sur leur propre territoire. De même, le personnel de l'usine entrait en contact avec les autres usines du Japon pour se répartir un surplus urgent de production afin d'aider ces pays et aussi ils étudiaient ensemble comment ils pouvaient construire ailleurs des usines performantes, adaptées aux ressources de ces pays. Les temps avaient bien changé, ceux où l'on baissait les prix pour les ruiner paraissaient maintenant une époque sombre, incroyable de bêtise.

 Des principes avaient été déjà bien établis par les C31 : donner la priorité aux économies de ressources à long terme, réduire les transports de marchandises ou de matières premières autant que possible, améliorer les processus de production pour réduire les extrants polluants, etc. Les C31 en tenaient compte dans leurs délibérations et chaque fois qu'un C31 s'en écartait, il y avait toujours quelqu'un pour contester et proposer dans un autre C31 de corriger la décision prise. Cela paraissait à certains du temps perdu mais ce n'en était pas parce que de plus en plus de citoyens devenaient capables de prendre de bonnes décisions en respectant ces principes. Les changements décidés étaient transmis à tous ceux qui devaient en tenir compte dans leurs activités. Si quelqu'un trouvait cela inadéquat, il pouvait réunir un C31 pour en discuter et modifier éventuellement la décision, mais il lui fallait de bons arguments pour convaincre de la changer.

 M. Yamamoto s'amusait à mettre dans l'embarras ses interlocuteurs en leur rappelant le nombre incalculable de mauvaises décisions, conduisant parfois à des catastrophes, qui avaient été prises par des experts… De fait pour le moment, il considérait que les C31 n'en avaient pas provoqué davantage et même en avaient évité pas mal, de toutes façons les confrontations des décisions et des résultats effectuées par une multitude de citoyens d'un pays ou de plusieurs pays, réduisait très vite la probabilité de faire une grosse erreur. C'est devenu un partage incessant de propositions, d'essais, d'analyses de résultats dans tous les domaines, dans toutes les langues. Cela nous le savons bien maintenant.

 Je vous raconterai la prochaine fois la suite de son interview qui concerne les événements qui se sont produits à partir de ces actions.

Suite

Retour à la 1e saison

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.