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Billet de blog 14 avril 2011

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Les 31 : Par où commencer ?

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En effet, comme l'a raconté M. Yamamoto, si changer se réduisait à constituer des cercles qualité, quel intérêt ? Cela avait déjà été exploré et cela n'avait pas changé grand-chose dans la vie des ouvriers… Et si leurs femmes leur avaient demandé de changer ce n'était pas seulement pour que l'usine tourne mieux ! Encore que, l'un n'allait pas vraiment sans l'autre, à son idée. Il rumina quelques heures sur la question avant de faire un appel à la cantonade dans la cafétéria. Cette fois le cercle 31 rassemblait des personnes d'un peu tous les services qui étaient là pendant leur pause. Il lance alors son pavé, il imaginait que cela en était un : "Nous produisons 4 millions de tonnes de fonte chaque année, mais nous en exportons 2 millions qui partent en Corée, en Chine et plus loin encore. Pour le profit de qui ? Je propose que nous réduisions la production à ce qui est nécessaire pour l'activité intérieure du pays." C'est bien ce qu'il avait anticipé, tout le monde parle en même temps et les arguments fusent dans tous les sens… une fois la surprise et les premières réactions passées, les arguments commencèrent à s'articuler clairement.

Il reprend la parole pour demander que soient analysées les difficultés provoquées par les ruptures de courant ou d'approvisionnement du fait de la catastrophe nucléaire et les conséquences pour maintenir à tout prix les hauts-fourneaux en fonction au maximum de leurs capacités. Jusqu'alors la direction impose de répondre instantanément à des variations de la demande : variations très difficiles à compenser, dispendieuses en ressources avec au final des installations qui s'usent plus vite. Les hommes aussi.

Ils en viennent à l'idée de réduire la quantité traitée par jour pour établir un régime permanent beaucoup moins coûteux en énergie et en coke. Avec cette nouvelle organisation, si l'électricité du secteur était coupée, les générateurs pourraient prendre le relais et assurer la continuité plus longtemps.

La discussion fait le tour des possibilités, des conséquences prévisibles et des réactions de l'encadrement ou de la direction. Mais surtout les arguments positifs s'accumulent : moins de pression sur les achats à faire quels que soient les prix, moins de frais de transports, des économies diverses sur le stockage, le flux tendu des approvisionnements qui obligent à des rythmes de travail imprévisibles. Moins de batailles pour vendre, parfois à perte à l'export pour écouler toute la fonte produite. Une baisse des prix intérieurs pourrait aussi s'établir si les pertes externes ne sont plus à équilibrer.

Le service des ventes donne ses statistiques de prévision des commandes pour l'année ainsi que les marges de fluctuations prévisibles. A partir de là, les calculs étaient simples pour établir la production quotidienne, sachant qu'aucun arrêt n'était prévu pour reconstruire un haut-fourneau d'ici plusieurs années. Pour mettre en œuvre cette décision, il leur fallait obtenir une modélisation par les ingénieurs qui pilotaient le chargement des hauts-fourneaux en fonction de ces nouvelles quantités à produire. Et ensuite ? Appuyer sur le bouton ? Tous se rendaient compte que l'affrontement avec la direction allait commencer là.

Pendant que certains suivaient la modélisation pour avoir la confirmation que cela était réaliste, M. Yamamoto réfléchissait encore. Cette fois on touchait à la finalité même de la production, mais rien n'était fait directement pour le personnel. Et si l'on réduisait la quantité produite que pourrait-il arriver au personnel ? Réduction des effectifs, comme classiquement ou bien changements dans les roulements et temps libre pour d'autres activités… Cette fois on touchait aux questions critiques. D'où son nouvel appel au rassemblement d'un autre cercle 31 pour traiter cette question et préparer des contre-propositions à ce que ne manquerait pas de demander la direction… Les syndicats allaient aussi entrer dans la danse ! Sur quelles bases ? Allaient-ils suivre les demandes des cercles 31 ?

Quelques uns s'étonnent de ces cercles qui paraissent se disperser, traiter des questions qui se chevauchent et sont en relation les unes avec les autres. M. Yamamoto persiste et dit "Avançons, nous verrons bien s'il y a des contradictions qui émergent." D'autres lui disent que ces cercles ne sont pas représentatifs, que n'importe qui peut y participer, même des personnes qui ne connaissent rien aux questions posées ! Il répond paisiblement qu'effectivement cela ne marche pas comme la démocratie représentative, que ceux qui veulent participer le peuvent et que les décisions prises peuvent être rediscutées si certains s'y opposent, ils n'ont qu'à former un cercle et en discuter. Il ajoute que tous ceux qui travaillent dans l'usine sont quand même concernés et que même pour certaines questions, il faudrait aussi solliciter des personnes extérieures à l'usine. C'est ainsi qu'il enclencha en quelques réponses un processus dont il n'imaginait pas les suites.

Petit à petit, les murs de la cafétéria se couvrent de panneaux, de grandes feuilles de papier donnant les résultats des discussions, les questions nouvelles, les indications pour la réunion de tel ou tel cercle, horaire de début mais pas de désignation de participants. Chacun sait qu'il ne démarrera que si les 31 chaises sont occupées ! C'est ainsi que les premières règles de fonctionnement se sont élaborées, sans savoir ce qu'elles allaient provoquer mais en respectant les habitudes qui se dégageaient de la pratique nouvelle. En deux jours, des questions aussi importantes que la production quotidienne à assurer, la protection des ouvriers gérant la coulée, la mise en place d'une autre marche des hauts-fourneaux, d'un autre rythme de travail continu étaient posées, défrichées et au seuil d'une mise en œuvre avec la participation de quasiment tous les services. La position de la direction restait une menace évoquée de temps en temps : "Et si le directeur refuse ce qu'on propose ?"

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