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Billet de blog 18 avril 2011

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Les 31 : A la ville aussi

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Pendant ce temps, à l'extérieur de l'usine, les choses se passèrent différemment, le nombre des réfugiés du nord avait presque doublé la population de la ville. Les conditions d'accueil étaient très précaires dans un gymnase réquisitionné et au camping municipal… mais cela ne pouvait durer dans ces conditions, or le retour dans les zones évacuées ne serait possible que dans très longtemps, au mieux. L'organisation de l'accueil provisoire avait été faite par la municipalité. Mais une multitude de problèmes restaient à résoudre, à commencer par permettre aux arrivants de travailler. Les besoins ne manquaient pas mais la structure d'entreprise n'était pas facile à créer (administration, financement, etc.).

C'est Sakura Yamamoto, bien informée de ce qui commençait à s'organiser dans l'usine voisine, qui impulsa une solution : réunir des cercles 31 pour discuter et résoudre les problèmes. Elle mit en cercle 31 chaises dans le gymnase et invita à s'asseoir des réfugiés volontaires et des bénévoles qui apportaient de l'aide spontanément. La question évidente était comment installer confortablement ces personnes et leur trouver du travail ? Il fallait évaluer la quantité de logements nécessaires, recenser les appartements et les maisons disponibles, tracer des plans pour étendre des quartiers et définir des équipements collectifs… et construire tous les logements et les bâtiments publics. Il y aurait du travail donc pour beaucoup avec ces tâches, mais qui allaient les payer ?

Les murs du gymnase servirent à afficher les questions, les plans, les listes, les propositions écrites en romaji, pour que tous puissent participer. D'autres cercles se mirent en place simultanément et un bouillonnement joyeux pris la place de la morosité déprimée qui prévalait jusqu'alors. Les ouvriers qui participaient aux cercles de l'usine, se joignirent à eux sur leur temps libre et importèrent les habitudes de fonctionnement qu'ils avaient déjà mises en pratique. Les adolescents s'asseyaient sans complexe pour former les cercles et les enfants eux aimaient s'installer au centre pour écouter les débats. Plus tard, en imitant les adultes, ils ont constitué leurs propres cercles dans les écoles pour changer l'organisation des enseignements. Il faudra que je vous raconte les changements qui se sont progressivement introduits là.

Et nous savons maintenant comment tous ont appris à vivre avec les nuages de particules radioactives qui passaient au-dessus d'eux au gré des vents et de la pluie : comment s'en protéger, comment mesurer en continu les taux de radioactivité pour l'eau, l'air, les aliments ? Comment alerter quand les taux devenaient anormaux ? Comment se laver, laver les vêtements et surtout les faire sécher sans les contaminer ? Des emplois permanents devaient être créés et pris en charge par la collectivité : tous furent d'accord pour considérer que c'était un service public. Gratuit pour le public, il serait payant pour les besoins des entreprises qui voulaient garantir le taux de radioactivité de leurs produits avant la vente. Un étiquetage fut inventé pour signaler les taux de radioactivité de chaque produit. Cela permettait un contrôle permanent de ces taux à travers toute la chaîne de distribution. Les marchés ouverts furent couverts et fermés pour éviter toute contamination au moment de la vente, les transports étant désormais en camions fermés, régulièrement décontaminés.

La contamination de l'eau était le point le plus délicat, chaque pluie devenait un risque pour l'agriculture qui devait se transformer en agriculture sous serre, mais aussi pour les nappes phréatiques, des bassins de rétention et de décontamination des eaux pluviales ont été construits. Contrôler toutes les arrivées d'eau et tenter de créer un circuit fermé d'eau potable et sanitaire, agricole et industriel… La tâche était énorme et devait mobiliser de multiples ressources. Découvrir peu à peu l'ampleur du problème était accablant pour toute la population et d'autant plus qu'elle était proche de la centrale.

Ainsi les japonais après avoir appris à vivre avec les tremblements de terre apprirent à vivre avec la radioactivité, ils ne se faisaient plus beaucoup d'illusion sur le caractère temporaire de cette contamination. La centrale ne serait dans son sarcophage que dans plusieurs années. Toutefois dans la ville des Yamamoto, l'abattement cédait peu à peu, au fur et à mesure que des solutions mêmes partielles étaient trouvées, laissant penser que d'autres réflexions et propositions donneraient des réponses et du travail à tous. Régulièrement des émissaires de la population allaient porter des demandes et proposer des solutions aux autorités municipales. Celles-ci les relayaient vers la préfecture ou l'état, mais les réponses n'étaient pas à la hauteur des besoins et des attentes. Les débats se durcissaient. Les habitants étaient sûrs, et le démontraient, que des solutions existaient mais que pour des raisons obscures, financières ou bureaucratiques, elles étaient bloquées.

Que ce soit à l'usine ou dans la ville, une tension se manifestait entre les pouvoirs en place et l'irruption de la volonté d'un changement limité mais considérable porté par salariés ou les citoyens. Les cercles 31 affrontaient leur première crise, des débats s'engageaient sur ce thème, quelle représentativité des uns et des autres, quels droits des uns et des autres ?

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