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Billet de blog 20 mai 2011

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Les 31 : Une règle paradoxale

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Dans l'usine, l'argumentation était maintenant au point : la réduction de la production permettait selon les modélisations d'obtenir un optimum de rendement tout en réduisant l'usure des installations et de doubler quasiment la durée de vie d'un haut-fourneau. Et même si le minerai était de moins bonne qualité, l'acier produit resterait aux normes. Comme tout le personnel venait à la cafétéria selon les pauses ou même après le travail, les avis des divers services purent se croiser, les cercles n'étaient plus seulement constitués par les ouvriers. Ainsi des agents du service des achats découvrant les conséquences de ce nouveau fonctionnement prévoient de commander des minerais moins chers et faire des économies qui pourraient être investies dans les travaux nécessaires pour tenir compte des retombées radioactives sur les stocks de matières premières qui étaient à l'air libre. Il était impossible de les laisser se contaminer et de produire ensuite de l'acier radioactif ! Les ingénieurs obtenaient, avec la modélisation de la production avec ces nouvelles données, des résultats qui n'étaient pas conformes à ceux qu'ils attendaient ! L'école de sidérurgie et son laboratoire de recherche ont été sollicités pour aider à comprendre ces écarts.

Ce foisonnement de questions se combinait avec la réflexion sur le temps de travail. La proposition qui consolidait l'ensemble des changements était de passer à une semaine de quatre jours, plus un jour réservé à la formation, à la recherche et aux cercles 31 qui prenaient du temps. Il serait possible à l'usage de voir comment réduire encore le temps de production, mais déjà il était possible de modifier le rythme du travail pour assurer la permanence de la production tout en supprimant le plus gros des effets perturbateurs de la vie des ouvriers. Étalement des cycles, nuits de travail complètes et moins nombreuses sur des périodes plus courtes, etc. C'est-à-dire, à peu près tout ce que les ergonomes recommandaient et que les ouvriers n'avaient jamais pu obtenir malgré l'action des syndicats.

La délégation bien préparée demanda un rendez-vous avec la direction pour mettre en place ce nouveau plan. La rencontre, on l'imagine sans peine, fut chaude et musclée ! La direction refusait d'une part toute réduction de production, cela compromettrait la rentabilité de l'usine, et d'autre part tout changement dans les horaires de travail, la production diminuant il faudrait licencier pour retrouver de la rentabilité et si la production restait la même, les emplois seraient garantis. La direction acceptait le projet de couverture de la coulée, si son service technique était d'accord sur la faisabilité. Insuffisant pour la délégation et la suite du dialogue, tout le monde la connaît, la vidéo captée avec une caméra cachée d'un des membres a tourné pendant des semaines et des mois sur internet. Le directeur s'exclame : "Mais c'est une révolution !" "Non Monsieur, nous ne souhaitons effectuer que les changements que nous vous avons présentés, tout le reste demeure inchangé."

Cette réplique devint culte et donna naissance à une des premières règles des cercles 31 : "Tout continue de fonctionner comme d'habitude, sauf ce qui est modifié par les décisions des cercles 31." Le directeur n'avait pas beaucoup d'arguments techniques à opposer aux demandes et poussé dans ses derniers retranchements, il est obligé d'admettre qu'il serait personnellement favorable à ces changements mais qu'il est sûr que le conseil d'administration ne les acceptera pas. "Parce que cela réduirait les dividendes des actionnaires ? Monsieur le directeur, vous avez le pouvoir d'effectuer des modifications importantes sans en référer au conseil d'administration, surtout si cela ne change rien dans le niveau des bénéfices…Nous vous demandons de nous laisser modifier le plan de production et les horaires du personnel dès maintenant. Nos calculs montrent que les bénéfices ne diminueraient pas malgré la réduction de la production."

Le directeur essaya de gagner du temps : "Je fais étudier les impacts de ces changements et je vous tiens au courant." Alors la délégation a brandi l'arme syndicale : "Nous nous mettrons en grève si dans 15 jours vous ne nous autorisez pas ces changements." Une intersyndicale dépose le lendemain un préavis de grève, les personnels en accord avec la démarche portent un serre-tête avec "-15" écrit en rouge et chaque jour le nombre diminuait d'un. L'action devint de plus en plus populaire au fur et à mesure que l'échéance approchait. Le directeur se rendait bien compte qu'il ne pourrait pas lutter contre un mouvement devenu majoritaire et pour lequel il ne pouvait trouver d'objection sérieuse. Alors pour ne pas perdre la face, il accepta la plupart des changements avant l'échéance, il mit seulement une condition de durée : après une période de trois mois, chaque modification serait évaluée et ne serait maintenue que s'il était prouvé qu'elle était positive.

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