Une nouvelle Grèce est née au lendemain du 6 mai 2012. La période de transition démocratique entamée depuis la chute de la dictature s'est subitement achevée, ouvrant une nouvelle ère dont on peut partiellement identifier les contours.
Une classe politique décrédibilisée
Beaucoup d'espoirs avaient été placés dans les élections du 6 mai. C'était pour l'ensemble de la population un moment fort, l'occasion de changer par les urnes un système illégitime, après deux ans passés à lutter sans le moindre succès. Quiconque vit en Grèce peut constater un scepticisme envers la démocratie, ou du moins envers le système démocratique tel qu'il existe actuellement. Ce scepticisme n'a fait qu'empirer ces deux dernières années.
Cette aggravation provient tout d'abord des actes du PASOK, qui lors du dernier moment électoral, en 2009, avait mis en avant un programme ambitieux, promettant, selon la phrase de Georgos Papandréou maintenant tristement célébre qu'il y (avait) de l'argent ("Λεφτά υπάρχουν"). Assez largement élu, le PASOK avait alors fait tout le contraire de ce qu'il avait promis, appliquant des plans d'austérité aux conséquences immenses sur l'ensemble de la population.
Le peuple ne s'est pas laissé faire pour autant. Il y a maintenant un an commençait l'occupation des places ou mouvement des indignés. A Athènes, c'est face au parlement, sur la place de la Constitution (Syntagma) qu'étaient présents en continu de nombreux grecs, tous révoltés contre les décisions prises par leur gouvernement qui avait déjà perdu toute légitimité. On discutait, on débattait, on s'engueulait sur toutes les places de Grèce. Mais ce qui était un moment fort pour les personnes alors présentes n'était qu'un générateur de trouble pour les dirigeants, qui, un matin d’août délogèrent les perturbateurs de l'ordre public.
Epuisés, déçus, les "indignés" quittèrent alors peu à peu les places, et le mouvement fut mis en sourdine. En novembre, l'annonce d’un référendum par Georgos Papandréou qui porterait sur l’accord décidé fin octobre provoquera la chute de son gouvernement. C’est alors un gouvernement de coalition qui sera formé, autour de Loukas Papadémos. Alors que ce nouveau gouvernement avait pour mission la tenue de nouvelles élections le 19 février, le vote de nouvelles mesures d’austérité reporta les élections à fin avril-début mai.
L’annonce de la tenue d’élections, même retardée, fit entrer le pays dans une phase de "transition" durant laquelle les Grecs attendaient le moment durant lequel ils pourraient enfin exprimer leur opinion, et, cette fois-ci, être entendus.
Vint alors le 6 mai 2012, date maintenant incontournable dans l'histoire grecque contemporaine. Le 6 mai restera le jour où les Grecs ont puni les deux partis qui les ont gouvernés durant 38 ans et construit durant toutes ces années un système politique qui servait leurs propres intérêts. C'est, au delà des deux partis, ce système marqué par la corruption et le clientélisme qui a été condamné. Voir ici mon analyse des "vraies élections du 6 mai.
Mais alors qu'on aurait pu espérer que la page soit tournée, la croyance démocratique, déjà au plus bas, n'a pu que se détériorer, durant cette -très longue- semaine de négociations. Du 8 mai au 15 mai, l'ensemble des grecs ont pu constater le niveau extrêmement bas des membres de leur classe politique, qui ont pour la majorité agi contrairement à toutes les promesses qu'ils avaient faites durant la campagne.
Seul Alexis Tsipras, leader de SyRizA désormais deuxième parti de Grèce, a fait preuve de plus de sérieux que ses confrères qui se sont laissés aller à des agitations enfantines. Il apparait aujourd'hui potentiellement favori pour les prochaines élections mais fait malgré tout face à de nombreux défis que j'ai brièvement évoqués dans mon dernier billet.
L'incertitude Tsipras
Le scepticisme évoqué ci-dessus n'épargne pas le leader de la gauche radicale. La situation est telle que certains considèrent que quiconque participe au système électoral grec le cautionne. Même si Tsipras apparait pour de nombreux grecs comme étant potentiellement porteur d'une solution viable aux problèmes actuels, on peut noter une certaine vigilance généralisée à l'encontre du leader de la gauche radicale.
Cette vigilance s'est particulièrement faite remarquer après la réunion du 16 mai, lors de laquelle A.Tsipras avait proposé que Yerasimos Arsenis soit promu premier ministre. Proche d'Andreas Papandréou, Y.Arsenis était ministre de l'éducation nationale du PASOK de 1996 à 2000, années durant lesquelles il fit passer une loi sur les lycées qui provoqua un large mouvement de protestation lycéen en Grèce. A l’époque, Alexis Tsipras, responsable des jeunes de Synaspismos était au cœur de la contestation. Le quotidien Ta Nea a d’ailleurs ironisé là-dessus dans sa une du 17/05, remplaçant le slogan d'alors : « Reste tranquille Yerasimos » (Κάτσε καλά Γεράσιμε) par « Reste tranquille Alexis ».
Nombreux sont ceux qui, pensant voter SyRizA aux prochaines élections, ont été déstabilisés par cet acte qui n'est rien d'autre qu'une manipulation politique. PromouvoirY.Arsenis, récent démissionnaire du PASOK était une provocation adressée à Venizelos. C'était surtout une "opération séduction" envers celui qui est le mari de Louka Katseli, co-responsable du parti issu de la récente scission du PASOK, Kinoniki Symfonia (Contrat social) et qui avait fait moins d'1% aux dernières élections, parti qu’Alexis Tsipras voudrait vraisemblablement ajouter à sa coalition.
Cela n'est qu'un exemple, et n'est pas à généraliser. Pour autant, il montre bien la vigilance qu'ont les potentiels votants de gauche. Cela montre combien rien n'est encore fait, le potentiel électorat de SyRizA étant encore très volatile.
Alexis Tsipras est malgré tout déjà en campagne. Très présent dans les médias, il présente son projet et conjure tous ceux pour qui la politique du mémorandum est injuste à se rassembler derrière sa bannière. SyRizA est en pleine recomposition. Ce devrait tout d’abord ne plus être une coalition aux prochaines élections, le processus étant lancé pour en faire un parti et potentiellement récolter les 50 sièges prévus en cas de première place. C’est l’occasion pour Tsipras d’élargir sa base électorale et tenter de rassembler l’ensemble des électeurs « anti-mnimonio » (anti-mémorandum). Il a annoncé pour cela la tenue de réunions de quartiers, semblables à l’occupation des places de l’an dernier.
Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser, la droite n’est pas en reste. Il semble bien qu’en face de SyRizA se présentera une droite unie pour l’occasion.
La recomposition de la droite
Depuis quelques jours, de nombreux signes semblent montrer que les différents partis classés à droite souhaitent faire candidature commune aux prochaines élections.
Deux anciens députés et/ou ministres de Nea Demokratia qui ont récemment appelé à un rassemblement des forces « pro-européennes ». Dora Bakogianni, leader de l’« Alliance démocratique » (2.55% aux dernières élections) et Stefanos Manos, responsable du parti libéral « Drasi » (Action, 1.80%).
Tous deux, qui avaient violemment critiqué Nea Demokratia et son leader Antonis Samaras semblent avoir changé d’avis consécutivement à leur résultat du 6 mai, insuffisant pour entrer à l’assemblée.
C'est très probablement sur un registre nouveau qu'ils mèneront leur campagne. Ceux qui se présentaient comme des "anti-mémorandum" deviennent peu à peu les "pro-européens" comme ils le disent si bien. Ce sont eux qui relaient la pression des médias grecs et européens à propos d'une sortie du pays de l'Euro, s'affichant comme ceux qui assureront le maintien de la Grèce dans la zone euro. Ce sera certainement le vote "favori" des dirigeants européens, ce vote qu'ils appellent responsable.
Il ne faut donc pas sous-estimer une droite qui représente un potentiel électoral non négligeable, que la dispersion des voix avait occulté. Unis, ils tenteront de récupérer les votes qui sont allés vers le parti d'un autre ancien député de Nea Demokratia, Panos Kammenos (grecs indépendants) ou vers Chryssi Avghi.
Le phénomène Chryssi Avghi
Le parti néo-nazi Chryssi Avghi fait beaucoup parler de lui depuis son score époustouflant (7%). L’organisation qui agissait dans l’ombre jusque-là a fait une entrée fracassante dans la vie politique grecque. Dès le premier soir, l’ordre donné aux journalistes de se lever lors de l’entrée du leader, Nikolaos Michaloliakos, a beaucoup fait parler.
Cela ne s’est pas arrêté là. La chaîne de télévision MEGA a diffusé une émission consacrée au parti, qui comportait une interview de Michaloliakos qui a explicitement renié l’existence de la shoah.
Le 17 mai, dans une autre interview, il a renié les massacres perpétrés par la junte dans l’école polytechnique, en novembre 1973. Video à voir ici. Tout cela n’est finalement qu’une semi-surprise. Venant d’un adorateur d’Hitler, cela ne surprend pas. Voir mon article sur le sujet.
La conséquence du résultat des élections du 6 mai marque donc l'apparition au grand jour de « l’Aube dorée » qui s’est installée dans le paysage politique. Michaloliakos a participé, conformément à l’obligation constitutionnelle, à une négociation avec le président le 13 mai. Même s’il n’était pas invité aux réunions suivantes, il apparaissait quelque peu improbable de voir le président, figure phare de la démocratie hellénique négocier avec celui qui cautionne depuis plus de 30 ans l'idéologie nazie et exprime ouvertement sa nostalgie de la dictature des colonels.
Le vote Chryssi Avghi représente quelque chose de très particulier. Non, les 440 966 personnes qui ont voté pour ce parti ne sont pas néo-nazis. C'était avant tout un vote de protestation, de rejet du système. Cela n'est pas nouveau. Aux élections de 2009, le parti ultra-orthodoxe LAOS avait récolté 5.63% des voix. Mais la participation de ce dernier au gouvernement d'union nationale (d'octobre 2011 au 12 février 2012) leur a fait perdre toute crédibilité. Le vote de protestation s'est donc reporté sur la seule proposition politique disponible dans le même registre, c'est-à-dire Chryssi Avghi. Ce qui pourrait à priori paraitre inquiétant, c'est le haut taux de vote "Aube dorée" chez les jeunes (9%). Mais cela exprime plus l'absence de confiance envers le système politique (très forte chez les jeunes) que l'approbation des thèses révisionnistes, racistes et nationalistes du parti néo-nazi.
Il faut donc relativiser la « vague » Chryssi Avghi, exagérée à tout va par une sphère médiatique avare de telles déclarations qui attirent évidemment l’attention. En analysant la répartition du vote Chryssi Avghi, on voit que les scores les plus élevés obtenus par le parti ont été faits dans des villes périphériques où n’est jamais passé le moindre immigré. C’est le cas en Laconie (10.19%) ou encore dans la préfecture de Corinthe (11.98%). Les médias, qui ont colporté la rhétorique anti-immigré et surmédiatisé la montée du parti dans les sondages, ont donc joué un rôle déterminant dans l’importance du score de Chryssi Avghi.
Même s'ils seront présents à l'assemblée, les députés de « l’Aube orée » ne montrent aucune volonté de gouverner, et on peut s'attendre à ce qu'ils se décrédibilisent si jamais ils profitaient de la tribune qui leur est offerte.
Le parti était en effet inconnu de la majorité des grecs, et jamais présent dans les médias. La plupart des électeurs de Chryssi Avghi ne savaient même pas pour qui ils votaient.
La Grèce se rend peu à peu compte de la réelle nature du parti, et sans trop s'avancer on peut parier sur un score beaucoup plus faible du parti néo-nazi aux futures élections. La majorité des électeurs de Chryssi Avghi ont en effet donné leur vote à un parti qu’ils connaissaient à peine. La médiatisation du parti néo-nazi a cela de bon qu’elle permet à tous de se rendre compte de sa réalité.
L'incertitude autour de Chryssi Avghi ne trouve pas ses sources dans sa présence à l'assemblée, mais dans l'influence qu'ils exercent au sein de la société, en particulier au sein de l'armée et de la police. Une analyse des suffrages à Athènes montre que plus de 50% des policiers auraient voté pour le parti néo-nazi. Ce sont ces mêmes policiers, qui, présents lors des manifestations font preuve d'une violence inouïe.
Et cette violence, qui nourrit une indignation de plus en plus forte, pourrait être à l'origine d'une explosion sociale en Grèce.
Un climat social tendu
Même si l'attention est actuellement centrée sur la crise politique, le mécontentement social n'a pas reculé, bien au contraire.
Une circulaire envoyée le 17 mai informait de la prochaine réduction des pensions de l'IKA (caisse de sécurité sociale des employés). Toutes les pensions supérieures à 1300€ seront progressivement réduites de 12% à partir de juin.
Dans la Grèce actuelle, l'application d'une telle mesure est une véritable bombe. Cela pourrait causer des manifestations importantes, et de possibles débordements, tant le climat social est tendu. Cela tant du côté de la population que de la police.
Dans la nuit du 14 au 15 mai, les divers activistes du projet "Marche vers Athènes" avaient dormi sur la place Syntagma. Ils s'étaient tous fait déloger le 15 mai au matin. La violence excessive avec laquelle les policiers avaient appréhendé 25 activistes est symbolique. Elle montre toute la tension des forces de police, qui craignent de nouveaux débordements. Par ailleurs le 16/05 au soir était prévue une action dans les locaux de la chaîne Méga, pour contester la propagande (souvent sous forme de mensonges) dont elle fait preuve à chaque manifestation. Plus de détails ici. L'ensemble des manifestants s'est retrouvé face à un nombre disproportionné de policiers, mobilisés pour protéger l'entrée du canal privé.
La Grèce se trouve donc face à de nombreux défis. Et la situation a cela de particulier qu’elle n’est pas seule à avoir le destin entre ses mains. L’influence des dirigeants européens semble prendre une dimension de plus en plus importante. Ce « terrorisme » dont fait preuve l’Europe et les dirigeants grecs qui le relaient, pourrait avoir une influence non négligeable sur le vote des Grecs, qui, par peur, pourraient se laisser séduire.