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Billet de blog 23 février 2014

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taxis / VTC : Un débat de société autour des plateformes "technologiques"

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Après la grève, pendant la médiation, les chauffeurs de taxi parisiens à l'initiative de l'intersyndicale se donnent rendez-vous à la Bourse du Travail Lundi 24 Février à 14 heures pour débattre et faire des propositions au médiateur Thevenoud.
Cette initiative louable par son côté participatif, ne concerne pas que les chauffeurs de taxi parisiens.  En vérité elle concerne la société toute entière, et plus encore, la question du transport public à titre onéreux bien au delà des frontières de l'Hexagone.
Peut-être l'ignoriez vous, mais les conflits récents observés à Paris à l'initiative des chauffeurs de taxis sont monnaie courante depuis quelques temps un peu partout dans le Monde. 

Ce qui est donc en jeu actuellement sur la surface du globe, c'est la façon dont on consommera le transport public demain à la faveur du progrès technologique, de la révolution numérique mobile avec l'émergence massive dans nos poches des smartphones.

Petit retour en arrière :
En Décembre 2008 Garett Camp qui souhaitait se rendre à la conférence organisée par Loïc LE MEUR "Le web" cherche un taxi à Paris... Il n'en trouve pas (vous trouverez quelques explications ici sur la pénurie de taxis à Paris) , et décide de créer Uber.
A son retour à San Francisco en 2009, il convainc Travis Kalanick de le rejoindre et de lever des fonds pour financer son idée après avoir développé un premier "pilote" sur Iphone :

- Localiser des véhicules sur une carte, les solliciter via texto pour se faire transporter d'un point A à un point B.

Quelques années plus tard, l'entreprise est devenue une multinationale avec un système technologique hyper performant fonctionnant en GPRS et par internet, des chauffeurs par milliers ont été affiliés dans soixante sept villes du monde entier, des centaines de milliers de clients ont téléchargé l'application. Google Ventures a investi massivement 258 millions de dollars après une première levée de fonds déjà remarquable de 32 millions de dollars...

En quatre années à peine, Uber s'est doté d'une rampe de lancement qui lui confère une capacité à devenir aussi gros que des géants tels Facebook, Amazon, Google et Apple... les "big four" ou autres "FAGA"...

Ca, c'est l'aspect clinquant d'une success story à l'américaine, celui que beaucoup se complaisent à reprendre sans chercher à en comprendre les dessous. On oublie la réalité du terrain.

la dictature numérique

Car ce succès fulgurant s'est construit au mépris des lois et réglementations existantes dans tous les pays où Uber s'est implanté, sans même chercher à en questionner le caractère bien fondé, n'envisageant même pas de questionner la nécessité de leur réforme à l'ère du smartphone, encore moins l'héritage de l'histoire du transport public de chacun des pays.
A la légitimité des textes issus des parlementaires représentant les citoyens Uber oppose la seule "satisfaction" prétendue des clients. Et lorsqu'ils ne sont pas satisfaits, surpris notamment de payer une note salée du fait de l'application d'un système de "yield management " les soirs où les véhicules sont surbookés, Uber minimise les échos négatifs à grands coups d'articles élogieux rédigés par des bloggers sponsorisés, eux mêmes "achetés" par l'entreprise pour répandre la bonne parole sur la toile...

C'est une forme de dictature à laquelle nous assistons.

Une dictature numérique dont la puissance de frappe par sa capacité à se répandre à la vitesse de l'éclair par viralité sur internet et dans nos smartphones supplante le concept même de citoyenneté. En une seconde une fois l'application téléchargée, héler un taxi dans la rue serait devenu ringard... Réfléchir aussi.

Un débat de société

Au contraire justement, je vous propose justement ici de réfléchir à cinq questions qui me paraissent fondamentales au delà même du transport :

1/ Sur la sécurité publique

Le transport public à titre onéreux par taxi est placé sous la tutelle du Ministère de l'Intérieur. En montant dans un véhicule pour être transporté, vous confiez votre vie et vos biens à un chauffeur inconnu. Peut-on confier à une société privée l'organisation du contrôle  de la probité des chauffeurs ? Quelle est la responsabilité civile et pénale d'une plateforme technologique qui met en relation des clients et des chauffeurs ? Comment la définir efficacement, l'encadrer ?

2/ Sur la sous-traitance des chauffeurs 

Les plateformes technologiques mettant en relation des clients avec des chauffeurs ont massivement recours à des auto-entrepreneurs. Ce recours massif crée de fait une distorsion de concurrence avec notamment les chauffeurs de taxi taxés à 47% sur leur bénéfice, et les chauffeurs salariés d'entreprise de l'ex grande remise, voire les chauffeurs de VTC ayant créé leur entreprise. Comment harmoniser la concurrence ?

Contrôle-t-on le changement de régime fiscal des auto-entrepreneurs en cours d'activité ?
N'y-a-t-il pas un risque de "turn over" massif des chauffeurs  et d'exploitation de leur statut ? Comment éviter les dérives du covoiturage participatif aux frais de transport, tolléré par les pouvoirs publics et le fisc ?

D'autre part, ces plateformes s'exonèrent trop souvent de leurs responsabilités et n'ont cure des conditions dans lesquelles sont exploités les services de transport sur le terrain :
Racolages sauvages aux aéroports et aux gares de leurs affiliés non contrôlés, stationnement illégal sur la voie publique en station de taxi, mais aussi en attente de clientèle... Si un chauffeur VTC a un smartphone pour prendre des courses, il peut aussi le couper pour racoler à Roissy ou à Orly !


Qui contrôle ? Qui sanctionne ?


Sans parler de la politique tarifaire, qui est libre du côté des VTC, mais n'est pour autant même pas respectée : le prix forfaitaire pour aller d'un point A à un point B n'est pas toujours annoncé au client au moment de la commande (décret du 30 juillet 2013). De l'autre côté, les taxis appliquent des tarifs fixés par Bercy. 

3/ Sur la responsabilité civile et pénale de la plateforme technologique

Les plateformes technologiques créent leurs propres conditions générales d'utilisation et conditions générales de vente. Elles ne sauraient pour autant s'exonérer de leurs responsabilités civiles et pénales dès lors qu'elles mettent en relation des clients facturés et des chauffeurs affiliés à leur service.

Rappelons ici deux cas illustrant ces questions :

- Celui de la fillette de six ans renversée et mortellement blessée par un chauffeur Uber à San Francisco.

- Celui d'un chauffeur Uber inscrit à Chicago, pourtant connu des services de Police, condamné pour "vol avec effraction".

4/ Sur l'optimisation fiscale


Je l'avais dénoncé dès le 14  Février dernier sur Europe 1 . C'est à présent de notoriété publique. Uber a organisé un système d'optimisation fiscale lui permettant de ne pas payer d'impôts en France, ou quasiment pas. Dans le même temps rappelons que la plupart des chauffeurs affiliés sont auto-entrepreneurs et ne collectent pas la TVA dont ils sont éxonérés (article 293 B du code général des impôts).

A l'avenir, d'autres plateformes technologiques pourraient s'installer au Luxembourg ou ailleurs dans d'autres paradis fiscaux, et opérer leurs services de la même manière... Non sans cynisme et esprit anti-civique, on pourrait presque conseiller aux chauffeurs de taxi de se cotiser à plusieurs pour se payer les services de conseillers fiscaux, afin de domicilier leur activité dans un paradis fiscal pour rétablir les conditions d'une concurrence moins déloyale sur ce plan...

En toile de fond, c'est le débat plus général sur la fiscalité française que l'on voit ainsi surgir ici, où l'on observe une stratégie d'échappement à l'impôt systématique des sociétés technologiques pouvant opérer n'importe où sur la surface du globe... L'internet 2.0 contre l'Etat...

5/ Sur la confidentialité des données stockées par ces plateformes

Lorsqu'on monte dans un véhicule que l'on a "hèlé électroniquement" avec son smartphone, on laisse une trace sur un serveur...
Les données sont stockées, pour facturation.
Outre le fait que l'on connaisse votre numéro de carte bancaire et votre numéro de téléphone mobile, on sait également où vous vous déplacez et quand... Si vous le faites régulièrement... ou pas.


Bientôt vous serez peut-être sollicité par une publicité vous proposant d'apporter des croissants à votre maîtresse au petit matin, que vous rouliez en scooter caché sous votre casque ou que vous préfériez voyager discrètement à l'abri des fenêtres teintées d'un VTC sensé protéger votre intimité...

Pour le coup, là aussi... ce sera raté ! 

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