La Bérézina démocratique n'est pas l'expression d'une exaspération. Il n'y en plus d'exaspération. Elle s'est épuisée en vain dans la rue lors de la réforme des retraites.
La majorité des électeurs UMP sont restés chez eux ou ont voté socialiste (ils s'entraînent pour DSK). Même avec cela, le PS a fait un score très moyen en considération du taux d'abstention. Les électeurs socialistes (de gauche) sont restés chez eux ou ont voté pour le parti de gauche (en prévision de DSK).
Les Verts ont fait un mauvais score, ils manquent de crédibilité (Cohn Bendit, les OGM, ...). Ils stagnent. S'interroger même s'ils ne régressent pas (au contraire du nuage de Fukushima selon l'Institut de radioprotection et de sureté nucléaire).
Jean-Luc Mélenchon a seulement acquis une visibilité. Tout reste à faire.
Le seul parti à avoir rassemblé serait le FN.
La bonne nouvelle est de voir que, même en doublant son score, il n'aura jamais la majorité.
Le placer systématiquement au centre des commentaires montre qu'il est avant tout un épouvantail pour étouffer le débat.
La stratégie politique fondée sur le calcul plutôt que sur les idées montre que le consensus d'un discours instrumentalisant les égoïsmes n'est pas mobilisateur. La nature française est généreuse. Un discours rance le dissuade.
L'abstention témoigne de son désintérêt pour les considérations bourgeoises qui sont devenues le fond de sauce de la politique française.
Le charme de l'idéologie bourgeoise n'agit plus. Trop vieux, dépassé, ringard. Malgré la persévérance de Flaubert à la dénoncer ("J'appelle bourgeois quiconque pense basement", Bouvard et Pécuchet, ), qu'ils soient de gauche ou de droite, des bourgeois n'ont cessé de gouverner.
La France vote bourgeois depuis 1789. Le livret ouvrier montre que la révolution fut bourgeoise, les deux Empires furent bourgeois, la Restauration fut bourgeoise, le dernier roi de France fut un "roi bourgeois". La III° République s'est imposée à partir de Versailles, ... Seule, peut-être, la IV° ne le fut pas de trop. Cela ne lui a pas réussi. Quant à la VI°, sera-t-elle différente ?
Cela n'a jamais répondu à la composition de la société ni à son attente, sinon en apparence, lors du suffrage censitaire. On a continué à faire comme si le "régime des notables" était gravé dans le marbre.
L'abstention est l'indicateur du schisme entre une conception et un discours dépassés, d'une part, et les réalités sociales, d'autre part, que les partis refusent de voir au risque d'avoir à se remettre en cause, préalablement.
C'est tout l'intérêt d'un épouvantail électoral - le FN.
Faire peur.
Inquiéter pour forcer l'électorat à soutenir une illusion démocratique menaçant de s'effondrer d'elle-même, pour la pérenniser sans avoir à changer les habitudes d'une représentation assurant la prospérité de la classe aisée, puisque le débat n'aborde jamais de réformes allant dans un autre sens.
L'abstention montre que le charme désuet de la bourgeoisie n'opère plus.
C'est un effet du mode de vie "mass market" auquel est réduite l'opinion à vivre dans le fonctionnel, le bon marché, le cheap, le moche. Privé du beau et du vrai, elle agit au plus simple. A quoi bon voter ?
L'absentation témoigne aussi d'un manque d'intérêt, de la panne d'idéologie. S'il en existe, elles ne sont pas moteur, elle ne mobilisent pas. Elles sont usées ou ceux qui la portent ne sont pas, souvent, crédibles.
Cette perte de crédibilité se vérifie d'autant plus facilement avec l'accès à de nombreux canaux d'information.
L'électorat déserte les urnes comme il déserte les journaux.
Le monde des Geek ne signifie pas pour autant que l'échec du politique soit la fin de la démocratie. L'idée est excellente, c'est dans sa mise en oeuvre que la France accuse un retard certain.
La démocratie repose sur la liberté d'expression et le droit à l'information.
Les Belges vivent depuis plusieurs mois sans gouvernement, mais leur presse fonctionne (elle est mieux notée que la presse française)
Le débat démocratique dépend de la vitalité d'une presse à poser en toute liberté les questions, stimuler le débat, et non pas reproduire des affirmations péremptoires, denuées de plus-value critique.
Le temps du journalisme boîte-aux-lettres doit être dépassé. Celui des panégyristes aussi.
Le tribunal de l'Union fait progresser ce droit à l'information dans trois décisions récentes du 17 février 2011.
Trib. UE 17 févr. 2011, FIFA c. Commission européenne, aff. T-68/08
Trib. UE 17 févr. 2011, FIFA c. Commission européenne, aff. T-385/07
Trib. UE 17 févr. 2011, UEFA c. Commission européenne, aff. T-55/08
Il s'agit de sport (football) mais la solution porte sur l'accès du plus grand nombre à l'information.
En jugeant que la qualification l’ensemble des matchs de la Coupe du monde et de l’Euro « d’événement d’une importance majeure » pour la société conformément au droit de l’Union européenne excluant un monopole marchand pour leur retransmission ; le tribunal pose le principe que les « restrictions à la liberté de prestation des services et la liberté d’établissement peuvent être justifiées dès lors qu’elles visent à protéger le droit à l’information et à assurer un large accès du public aux retransmissions télévisées des événements (…) d’importance majeure pour la société ».
La solution s'applique aux campagnes électorales, qui sont "des évènements d'importance majeure pour la société".
La presse a un rôle fondamental à jouer en considération de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg et de la décision de la Cour suprême des USA consacrant un "droit de la presse à la diffamation" (NY Times v. Sullivan) :
" Le jugement historique de la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire New York Times c. Sullivan(1964) a établi le principe qu'il devrait y avoir plus de latitude dans la critique d'un fonctionnaire public, y compris des déclarations fausses ou inexactes, pourvu qu'elles n'aient pas été faites malicieusement. La Cour a souligné que les personnages publics ont plus facilement accès aux réseaux de communication pour répondre à de fausses déclarations " (Source).
Cette évolution du droit émancipe le journaliste français de l'article 9 du code civil. Celui-ci est inconventionnel en matière de campagne électorale en permettant une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression et du droit à l'information, qui sont les garanties de la démocratie.
La liberté d'expression s'apprécie en considération de l'intérêt général.
Le devoir de réserve et l'obligation de loyauté du fonctionnaire s'interprètent au regard du service de l'intérêt général, de l'égal accès de tous aux services publics.
Les ordres donnés répondent à la même exigence de validité, puisqu'il existe une obligation de désobéir à un ordre illégal, un devoir de résistance, une théorie des "baïonnettes intelligentes", de dénoncer des infractions et des sanctions à s'abstenir d'agir, (Art. 11 bis A loi N°83-634. Il n'existe pas un devoir d'obéissance stricto sensu. "Le commandement de l'autorité légitime" existe seulement si l'autorité hiérarchique répond à l'intérêt général dans le respect des individus. Ce fut un enjeu des procès Papon et Touvier. Cette même exigence sanctionne l'abus de la liberté d'expression, la responsabilité des intellectuels (Rosenberg, Brasillach, ...).
La remobilisation de l'électorat passe donc par l'affirmation de la liberté d'expression et le droit à l'information.
L'appropriation de ces libertés par la presse française, très en retard (a-t-elle été libre ?), est nécessaire.
Les restos du coeur ne sont pas les seuls à signaler la misère. Le FN prospère sur la jachère intellectuelle d'une France conformiste, consensuelle ...
Cela s'explique.
Des éditos pusillanimes ou obséquieux rédigés avec la contribution de la finance participent à l'extinction de l'originalité, d'une controverse constructive. En se reprenant les uns les autres, en s'invitant à débattre de la même idée, les médias montrent qu'il existe aussi une soupe populaire intellectuelle.
Quelques individualités - comme Jean-Luc Mélanchon, Arnaud Montebourg, Nicolas Dupont Aignan - cachent l'ancéphalogramme plat. Ce talent est insuffisant à vaincre l'inertie politique, plus proche d'une administration que d'une force de propositions.
L'ennui ou la lassitude expliquent bien mieux l'abstention, que l'exaspération.
C'était assez prévisble à la lecture des commentaires et des billets sur les sites de Médiapart, Le Point, Le Figaro, Libération, ... L'absence de prise en compte de l'expression directe montre les limites du participatif en France.
La désertion de l'électorat correspond au retour du printemps.
Les commentaires décevants s'ajoutent à la médiocrité d'une sitaution dans laquelle l'opinion a le sentiment d'être cantonnée.
Les Français sont épuisés. Ils vont écouter le parti des chants d'oiseaux, le dimanche ; tant qu'ils le peuvent encore. Puisqu'il leur est promis de devoir aller travailler aussi ce jour-là, bientôt.