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Billet de blog 12 février 2013

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Le voile en questions ou Tartuffe et Dorine (2/4)

Lors de la séquence intitulée  « Discriminations et mobilisations » sur Médiapart du vendredi 25 janvier , le voile de la participante au débat, madame Zahra Ali, était omniprésent et désigné par elle-même comme « un bout de tissu », sans signification autre que la liberté individuelle. Un tel déni, répété trois fois, de la valeur symbolique du voile islamique ne pouvait qu’alerter.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lors de la séquence intitulée  « Discriminations et mobilisations » sur Médiapart du vendredi 25 janvier , le voile de la participante au débat, madame Zahra Ali, était omniprésent et désigné par elle-même comme « un bout de tissu », sans signification autre que la liberté individuelle. Un tel déni, répété trois fois, de la valeur symbolique du voile islamique ne pouvait qu’alerter.                                  

[2/4 : Ce texte est la suite de notre billet sur l’islamophobie]

Quel sens donner au voile ?

Est-ce un bout de tissu insignifiant?

Est-ce un signe d’appartenance à la communauté musulmane ?

Est-ce le signe d’une morale de ségrégation des sexes ? Une protection vis à vis de l’éros masculin ?

Est-ce un moyen féministe d’épanouissement individuel ?

Est-ce une marque visuelle d’accord avec des courants intégristes musulmans ?

Un « bout de tissu » insignifiant ?

Nous avons irrésistiblement pensé à un autre bout de tissu célèbre, celui que brandit Tartuffe dans la pièce de Molière (acte III, scène 2) [1]:

Tartuffe      Que voulez-vous ?

Dorine                                    Vous dire...

Tartuffe (il tire un mouchoir de sa poche)

                                                                  Ah ! Mon Dieu, je vous prie.

                   Avant que de parler prenez-moi ce mouchoir.

Dorine      Comment ?

Tartuffe                      Couvrez ce sein que je ne saurais voir :

                  Par de pareils objets les âmes sont blessées,

                 Et cela fait venir de coupables pensées.

Dorine     Vous êtes donc bien tendre à la tentation,

                 Et la chair sur vos sens fait grande impression ?

                Certes je ne sais pas quelle chaleur vous monte :

                Mais à convoiter, moi, je ne suis point si prompte,

                Et je vous verrais nu du haut jusques en bas,

               Que toute votre peau ne me tenterait pas. 

La France d’aujourd’hui résonne encore des durs combats contre l’emprise religieuse sur le monde commun, contre l’asservissement des femmes. La liberté féminine s’épanouissant grâce au voile musulman ? Cela ne pouvait se raconter que dans une scène sans Dorine.

 Pour qu’elles donnent la réplique, nous sommes allés chercher des Dorine chez celles qui, à grands risques, se battent contre l’oppression universelle des femmes,  et dénoncent tout particulièrement le rôle du voile islamiste :

Chahdort Djavann « Bas les voiles ! » (Gallimard, 2003), auteur ayant fui l’Iran des Ayatollahs.

Latifa Lakhdar, « Les femmes musulmanes, au miroir de l’orthodoxie islamique », Tunisienne, historienne, professeur d’université

Wassyla Tamzali « Une femme en colère – lettre d’Alger aux Européens désabusés » (Gallimard 2009)

Djemila Benhabib « Lettre » adressée à la mission parlementaire sur le voile intégral, lue au Palais du Luxembourg, le13 novembre 2009

Naoual Saadaoui, cofondatrice et présidente de Solidarité des Femmes Arabes, une des principales organisations féministes du monde arabe

Un signe d’appartenance à la communauté musulmane ?

« Le voile islamique est souvent présenté comme faisant partie de « l'identité collective musulmane ». Or, il n'en est rien. Il est l'emblème de l'intégrisme musulman partout dans le monde. S'il a une connotation particulière, elle est plutôt politique surtout avec l'avènement de la révolution islamique en Iran en 1979. Que l'on ne s'y trompe pas, le voile islamique cache la peur des femmes, de leur corps, de leur liberté et de leur sexualité. » (Djemila Benhabib)

En cela, il poursuit une tradition mysogine bien installée dans nos civilisations, dont les exemples foisonnent dans les comportements et la littérature. Nous ne résistons pas au plaisir de citer Pierre Larousse qui, avec son Grand Dictionnaire universel rédigé de 1864 à 1890, faisait référence : « Les femmes se débraillent aujourd’hui, donnent en marchant des coups de hanche, laissent traîner leurs robes, remuent les bras, échevellent leurs coiffures, donnent de l’effronterie à leurs visages. »[2]

Le signe d’une morale de ségrégation des sexes ?

Puisqu’il s’agit de dénoncer les discriminations, comment ne pas voir que la discrimination la plus fondamentale, faite par les religions monothéistes, c’est celle qui s’exerce contre les femmes? Christianisme, judaïsme, islam ont en commun de mettre en œuvre différentes formes de mise à l’écart des femmes. Dans le monde musulman, cette discrimination prend, entre autres, la forme du voile.

« Les intentions des jeunes filles et des femmes voilées, aussi libres se croient-elles, dans leur choix de se voiler, ne peuvent gommer le fait qu’elle portent le signe d’une morale qui a ses codes, qui les dépasse totalement et qui engendre une ségrégation des sexes. » (Wassila Tamzali, p.108).

« Le voile n’est pas un simple usage, il est la partie visible d’une vision du monde basée sur la coupure en deux de l’universel, les hommes et les femmes. Le voile est le signe de l’enfermement théologique des femmes et la sanctification de l’ascendant de l’éros musulman sur l’éthos musulman ». (Latifa Lakhdar, citée par Wassila Tamzali, p. 97).

En arabe algérien une femme non voilée est appelée « nue ». Nous voyons les dérives et l’usage qui découlent de ce sens. Une femme non voilée s’apparente à une prostituée. C’est ainsi que des filles et des femmes se voilent pour ne pas subir les violences d’hommes se croyant, sinon, tout permis.

Dans un pays démocratique et laïc, chacun doit pouvoir compter sur la loi, sur la solidarité de tous et sur l’éducation pour être protégé des agressions sexuelles.  Il est certain que cet idéal n’est pas atteint, mais cela ne justifie pas d’abandonner la cause et de s’en remettre à la « protection » machiste.  Si des adultes acceptent pour elles-mêmes que les fantasmes de l’homme modèlent le comportement féminin, c’est un choix personnel qui ne nécessite aucune réglementation particulière, pas plus que d’autres affichages politiques ou religieux. 

Il n’en est pas de même lorsqu’une personne exerce une fonction régalienne dans une école, un tribunal ou un commissariat de police. Ce sont des lieux où la  neutralité est indispensable au bon exercice de la fonction.

Il n’en est pas de même lorsque des enfants mineures sont les cibles « d’un message prosélyte à destination des plus jeunes, d’un message lui-même voilé parce qu’il dissimule sa vraie nature sous le voile des mots "liberté", "identité" ou "culture". » (Chahdort Djavann, p.22)

Un signe de soumission à l’autorité religieuse ?

Aujourd’hui même, à l’université de Tunis ou dans les rues du Caire, il symbolise l’opposition entre ceux qui aspirent à un pays théocratique réglementée par la « charia » et ceux qui se battent pour une société laïque démocratique. Les récentes manifestations à Tunis affichent clairement cette opposition. Aux laïcs s’opposent des religieux dont les mots d’ordre sont : « Un seul leader : Mahomet, une seule constitution : la charia ».

Dès qu’une théocratie musulmane s’installe sur un territoire, une de ses premières mesures consiste à obliger les femmes à se voiler. La femme voilée symbolise l’acceptation de l’autorité religieuse, la supériorité de l’homme et la femme non voilée, un signe d’opposition passible de sanction. En Afghanistan, dirigé par les Talibans, l’autre forme de soumission à leur pouvoir, était l’obligation de porter la barbe pour les hommes.

« La visibilité de la femme voilée dans l’espace public », c’est ce que réclame, pendant l’émission, Samy Debah président du Collectif contre l’islamophobie. Etrange visibilité qui rend invisibles les femmes en leur substituant des bouts de tissus ambulants – ce qui rend beaucoup plus facile de repérer les rebelles !   

« Je voudrais vous parler, vous dire la peur que j'ai connue le 25 mars 1994 alors que j'habitais à Oran, en Algérie et que le Groupe islamique armé (GIA) avait ordonné aux femmes de mon pays le port du voile islamique. Ce jour-là, j'ai marché la tête nue ainsi que des millions d'autres Algériennes. Nous avons défié la mort. Nous avons joué à cache-cache avec les sanguinaires du GIA et le souvenir de Katia Bengana, une jeune lycéenne âgée de 17 ans assassinée le 28 février 1994 à la sortie de son lycée planait sur nos têtes nues. Il y a des événements fondateurs dans une vie et qui donnent une direction particulière au destin de tout un chacun. Celui-là, en est un pour moi. Depuis ce jour-là, j'ai une aversion profonde pour tout ce qui est hidjab, voile, burqa, niqab, tchador, jilbab, khimar et compagnie. » (Djemila Benhabib)

Un emblème du féminisme musulman ?

La seule représentante « féminisme musulmane » pendant la soirée est une personne qui relaie directement la propagande islamiste.

« Après la révolution islamique en Iran, certains sociologues iraniens résidant en France ont fabriqué de toute pièce la théorie du "voile comme moyen d’émancipation". Les femmes tirées par les cheveux, jetées à terre, frappées dans les rues de Téhéran parce qu’elles ne voulaient pas porter le voile, ils ne les ont pas vues. (...) Ils ont oublié que le port du voile a été imposé à toutes les femmes dans tout le pays, que c’était le voile ou la mort. Ils ont omis en outre de dire que le port du voile a été imposé dans toutes les écoles, y compris dans les écoles primaires. (...) Les petites filles de sept ans n’ont pas le droit d’enlever leur voile. Il fait partie de leur identité, en effet, et elles apprennent à vivre avec. La théorie de l’émancipation par le voile a fait ses preuves, décidément.»  (Chahdort Djavann)

Un discours de désolidarisation individualiste :

-          Une « féministe » sans une ombre de compassion pour les femmes opprimées dans les tyrannies théocratiques.

-          Un « individu » qui ne se réfère qu’à soi-même.

 Eric Vandorpe (le psychothérapeute de l’émission) soupèse à haute voix les perspectives  d’une mobilisation politique et juridique des femmes, et conclut que l'absence de solidarité arrange bien les maris machos (lesquels, en l’occurrence, ont bon dos). On comprend bien les réticences devant les solidarités féminines, en entendant l’Egyptienne Naoual Saadaoui : « Il a fallu que j’attende mon cinquantième anniversaire et mon séjour en prison pour réaliser que la solidarité entre femmes est plus dangereuse que la bombe atomique ! Seule notre solidarité a menacé l’administration pénitentiaire. A ma sortie de prison, j’ai compris que cette solidarité pouvait faire tomber le pouvoir égyptien. Est-ce pour cela que l’on interdit aux femmes de s’organiser dans les partis politiques égyptiens, qu’ils soient de gauche ou de droite, au pouvoir ou dans l’opposition ?» (Naoual Saadaoui)

-         Une « féministe musulmane » distinguée. Il n’est pas question d’être confondue avec les immigrées qui cherchent refuge sous le voile pour échapper à la misère.

 « Le voile, c’est en même temps un refuge pour dissimuler l’exclusion sociale. Les immigrées orientales, très souvent chômeuses ou employées dans des travaux subalternes, doivent pour toucher le SMIC se débattre sur un marché du travail de plus en plus difficile où la discrimination règne. Elles passent après les hommes, après les femmes non orientales, objets d’une exclusion sociale et économique impitoyable. Exclues de leur communauté musulmane quand elles se sont battues pour leur émancipation (cette émancipation qui leur vaut tout au plus le montant du RMI), exclues de la société française, du marché de l’emploi, elles ont payé cher leur indépendance. La société française n’a pas fait assez pour leur intégration. Comment s’étonner que certaines d’entre elles se réfugient sous le voile et essaient de trouver un mari qui les nourrira pour le prix de leur virginité ?Ces femmes n’échappent à l’exclusion que par l’aliénation ». (Chahdort Djavann, p.25)

Eric Vandorpe, de son côté, a pris grand soin ne pas mêler les  musulmans « au cortège des exclus, à côté du noir, à côté de l’immigré, à côté du jeune des quartiers populaires, à côté du Palestinien, à côté du Rom, à côté du SDF. »

-         Une « féministe » dont l’idéal consiste à s’épanouir professionnellement (idéal défini par Eric Vandorpe). Sa perspective n’est pas dans les luttes sociales et démocratiques, mais dans une carrière universitaire individuelle. Sous cet angle, nous aimerions bien savoir dans quels circuits universitaires londoniens elle met ses espoirs. D’un point de vue personnel, il n’y a rien à redire, mais comme porte-parole « féministe », c’est moins sûr.

Nous sommes loin d’un choix d’esthétique personnelle, d’un choix hors contexte. Ce qui se passe dans le monde surdétermine ce qui autrement ne serait qu’un choix vestimentaire. Porter une chemise brune, en France, aujourd’hui, n’a pas de connotation politique. En d’autres temps, en d’autres lieux, il en alla tout autrement. L’ignorance naïve ou calculée du contexte permet de masquer l’adhésion politique sous l’option individuelle.  Ne dépolitisons pas le débat.

Molière, en butte à une violente cabale à cause de Tartuffe, dans sa préface de 1669, brocarde les Hypocrites dévots : « Suivant leur louable coutume, ils ont couvert leurs intérêts de la cause de Dieu. ».

Il continue : « Je me soucierais fort peu de tout ce qu’ils peuvent dire, n’était l’artifice qu’ils ont de me faire des ennemis que je respecte, et de jeter dans leur parti de véritables gens de bien, dont ils préviennent la bonne foi, et qui, par la chaleur qu’ils ont pour les intérêts du Ciel, sont faciles à recevoir les impressions qu’on veut leur donner. »

Il suffit de remplacer Ciel par Liberté pour retrouver l’actualité.

Chantal et Roger Evano

P.S. Souhaitons à Wajdja, l’héroïne du film de la Saoudienne Haifaa Al-Mansour, de filer libre et loin sur sa bicyclette !


[1] Rappelons que Tartuffe est un prédateur qui, sous le couvert hypocrite de la religion, intrigue pour s’emparer des richesses du bourgeois Orgon, épouser la fille et suborner l’épouse. Dorine, servante perspicace et combattive, engage toute sa verve et  sa subtilité contre lui, par solidarité avec les femmes de la maison .

[2] Extrait relevé par Pierre Enckell in Pierre Larousse - Comment asphyxier un éléphant ?- 365 questions essentielles pour la vie de tous les jours, éditions Taillandier 2005

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