L'aide personnalisée n'a jamais été pensée, in fine, comme un dispositif pédagogique. Elle s'est plutôt imposée comme une machine à produire du désordre, au nom de l'ordre administratif, sans porter un regard sur les réalités du terrain. Cela nous le redoutions et nous l'avons dénoncé tout au long de cette année au prix de sanctions ou de pressions pour certains, même si, pour mon cas, les sanctions à mon encontre ont été levées.
Les témoignages des enseignants sur l'aide personnalisée sont une preuve (cf "bilan de l'aide personnalisée" (1)). La preuve que l'aide personnalisée n'a jamais été pensée dans son principe pour les élèves. Jamais, il n'a été question du travail que les enseignants peuvent faire avec les élèves, ni même des conditions dans lesquelles ces élèves travaillent. Jamais les incohérences et les absurdités du dispositif n'ont été prises en compte, ne serait-ce que pour faire réellement face à la difficulté des élèves.
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Ainsi, il est, réglementairement, impossible d'adapter la durée et l'heure de l'aide personnalisée selon l'âge des élèves ni même selon le contenu. A t-on la même fatigabilité à 5 ans ou à 12 ans ? A-t-on besoin d'un même temps pour travailler du calcul mental ou pour écrire un texte quand on sait que 30 minutes pour la première activité suffisent et 2 heures pour l'autre peuvent être tout indiquées?.
Ensuite, quand l'école empiète sur le temps personnel des enfants, l'on voit clairement les difficultés d'organisation. Certains ne peuvent pas, matériellement, venir à l'aide personnalisée ce qui pose un grave problème d'égalité quand on sait que ce dispositif est présenté comme le principal recours pour faire face à la difficulté scolaire. Que dire quand les parents doivent payer un service de garde pour que leurs enfants « bénéficient » du dispositif ?
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Grave problème d'égalité encore quand on sait que les difficultés scolaires sont concentrées dans les mêmes zones. Ainsi, pour une école à 5 classes dans une « banlieue chic » et une école à 5 classes dans une « banlieue qui craint » l'aide apportée par l'Etat est strictement la même, 5 fois 2 heures. Or, on peut passer facilement de 10 % à 80 % des élèves en difficulté d'une école à l'autre. Il y a bien un renforcement des inégalités. Quand on sait que l'Ecole française souffre de ce peu de mixité sociale, des classes homogénes, n'est-il pas dans le vrai l'enseignant qui propose dans son projet pédagogique une certaine mixité, une hétérogénéité scolaire ?
Je n'évoque pas, évidemment, la fatigue causée par un allongement de la durée du travail scolaire, au-delà des 6h réglementaires.
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Bien entendu, je me dois de nuancer ce propos. Il y a des fois où cela marche, quand les élèves n'ont pas de difficultés cumulées. Pour le dire autrement, un élève ne pourra tirer bénéfice de l'aide personnalisée à la condition que sa difficulté ne réclame pas l'intervention d'un spécialiste. Or, c'est tout le sens du « S » de RASED (Réseau d'aide spécialisé pour les élèves en difficulté).
Il y a des fois où cela marche vraiment. L'enseignant, bousculé par la difficulté qu'il éprouve à apporter des réponses au sein de la classe, se retrouve en situation favorable. Preuve, paradoxale pour un Ministre de l'Education à l'économie, que c'est en petit groupe, et non avec des classes surchargées, que l'on peut aider les élèves. L'élève, de son côté, retrouve de l'attention, un adulte presque que pour lui et des situations peuvent se dénouer. Mais n'aurons-nous eu pas plus intérêt à investir dans l'accompagnement des enseignants pour faire évoluer les pratiques de classes et soutenir les enseignants dans cette démarche ? Ne renforce t'on pas, avec ce dispositif, les « mauvaises » pratiques pédagogiques, en classe, pour traiter la difficulté, plus tard, hors de la classe ? N'institutionnalisons-nous pas, dans un aveu d'impuissance, que l'école ne peut traiter la difficulté scolaire au sein de la classe et qu'il faut, nécessairement, faire appel à un prestataire de service gratuit (l'Etat) ou payant (cours privés) ? D'ailleurs quel sera le mystérieux protocole qui nous permettra de savoir si la difficulté a été résolue par le travail dans la classe ou par le dispositif d'aide personnalisée ? Enfin, est-ce un aveu d'impuissance ou une volonté d'ancrer l'externalisation du travail scolaire dans les esprits ?
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A l'heure des bilans, l'aide personnalisée se résume donc uniquement a une mesure administrative pour supprimer des postes d'aide spécialisée pour les élèves en difficulté. Uniquement. Toutefois, reconnaissant les errements du système, un Ministre pragmatique pourrait prendre quelques mesures salutaires pour que ce dispositif ait des objectifs pédagogiques :
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Pour cela, le ministre doit permettre aux conseils d'école réunissant parents, élus et enseignants de choisir en toute responsabilité, sans aucune contrainte des Inspections, le rythme de l'année et de la semaine scolaires. Un grand débat sur le rythme de vie de la l'enfant aiderait à « faire bouger les lignes ».
Le ministre doit aussi permettre aux conseils des maîtres de choisir librement, en accord avec les parents d'élèves concernés, l'organisation de l'aide personnalisée. Qui mieux que les parents et l'enseignant de la classe peuvent savoir à quel moment l'enfant peut venir à l'aide personnalisée ? Est-il vraiment pertinent de tout uniformiser pour des commodités administratives alors que l'on parle d'apprentissage ? Doit-on uniformiser, même dans une seule école, le dispositif, alors même que la gestion du temps est le fondement de l'apprentissage, pour de simples raisons de commodités gestionnaires ? Ne peut-on pas introduire de la flexibilité dont des cadres, les enseignants, peuvent être responsables.
Le ministre réaffirmer la liberté pédagogique des maîtres dans leur classe et ce encore plus fortement durant l'aide personnalisée, comme le précisent les programmes 2008 qui « laissent cependant libre le choix des méthodes et des démarches, témoignant ainsi de la confiance accordée aux maîtres pour une mise en œuvre adaptée aux élèves » Ainsi, « Si un maître est d’abord maître du choix de sa méthode, il est au service des progrès de ses élèves par rapport aux objectifs des programmes. ». Ceci ne doit pas être seulement vrai pour les 24h mais aussi pour les deux heures restantes. C'est justement face à la difficulté scolaire que l'enseignant doit avoir plus de liberté pour expérimenter et c'est là que la confiance qu'on lui accorde doit être la plus grande.
Enfin, le ministre doit abandonner la suppression des postes de maîtres spécialisés dans la difficulté scolaire. C'est souvent ce regard porté hors des habitudes de la classe qui permet de débloquer de nombreuses situations. L'aide personnalisée ne s'adresse pas au même public d'élèves que ceux pris en charge par le RASED, je l'ai expérimenté cette année. Les deux dispositifs sont en fait complémentaires.
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L'ouverture d'un réel dialogue, à tous les niveaux, est une urgence.