Compte désactivé (avatar)

Compte désactivé

Abonné·e de Mediapart

0 Billets

0 Édition

Billet de blog 7 mars 2013

Compte désactivé (avatar)

Compte désactivé

Abonné·e de Mediapart

Pour Pouillart Pwète : la physiologie topolog'hic

Compte désactivé (avatar)

Compte désactivé

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Gilbert Pouillart m’a demandé dans un de ses billets comment s’organise dynamiquement la vasculature d’un être, et notamment, le fait qu’il s’agisse d’une double vasculature artérielle et veineuse. (Si j’ai bien compris la question). Donc comment la physiologie d’une double arborisation s’accommode de la géométrie, et lycée-de-Versailles.

C’est un sujet qui demanderait de longs et techniques développements, mais on peut le résumer en quelques « règles » de construction.

Tout d’abord, il convient de mesurer l’ampleur du problème : voici une vasculature typique.

Ça décoiffe. Il y a des vaisseaux sanguins partout. (C’est normal on ne peut pas faire un morceau de viande, même de cheval, de plus de 2 millimètres sans un vaisseau à côté). Longueur cumulée des vaisseaux sanguins chez un être humain : deux fois le tour de la terre, environ (par le plus grand diamètre, bande de sceptiques).  Ça peut faire peur (genre : on vous garantit que c’est très sûr, mais si vous pétez une durite, l’avion s’écrase)

Mais une particularité des vasculatures ne doit pas vous échapper : quand on regarde bien, la plupart des tuyaux sont doubles : le sang artériel circule dans un sens, et « tout près », voire même strictement collées aux artères, on trouve des veines, dans lesquelles comme il se doit, le sang circule dans l'autre sens. Ceci est particulièrement vrai des vaisseaux profonds, les artères profondes ayant toujours ou presque des « venosa concomitans » rigoureusement accollées à elles, qui ramènent le sang au cœur. (Le cas emblématique étant le cordon ombilical, qui est une corde de gros vaisseaux tressés, avec des artères et des veines torsadées entre elles et où le sang circule dans les deux sens).

Donc, c’est du délire : comment un truc aussi compliqué qu’une double arborescence peut-il se mettre en place en … en … en trois jours chez un embryon, qui en plus grandit au cours du temps.

Je vous explique ça en deux mots, dans deux lignes, mais je vous mets en garde, c’est mon point de vue (basé sur quelques publications de mon équipe). En particulier, je pense qu’il n’existe pas de vasculature d’équilibre, ni de vasculature normale idéale, celle qu’un traitement pourrait vous rendre si vous êtes malade. Par exemple, vous êtes hyper-tendu, on vous prescrit des médicaments, ça normalise votre tension, oui, mais est-ce que ça vous rétablit la vasculature d’avant, rien n’est moins sûr (surtout ne posez pas la question à votre médecin, il a mis tout ce qu’il faut en haut à gauche de son ordonnance pour ne pas avoir à répondre à ce genre de questions).

La vasculature et surtout sa morphogénèse, constituent un phénomène dynamique, qui commence dans les premiers jours de développement, n’arrête pas d’évoluer et qui à la fin vous tue, si vous n’êtes pas mort entretemps d’autre chose (asymptotiquement, y’a plus de vaisseaux). Il n’y a pas « d’état stationnaire » comme on dit en physique, ou dit pour résumer, l’état stationnaire, c’est la mort. Ben oui je sais, c’est pas gai.

Bien ! Trève de bla-bla, pour faire une vasculature, voici la recette. Prenez d’abord un organisme.

C’est une masse de cellules organisée en feuillets (les « tissus »).

Sous l’effet des forces dans les tissus, les cellules se différencient en gouttes de liquides entourées de cellules de futurs vaisseaux. Donc, pendant l'embryogénèse, et dans le mouvement même qui crée l'embryon, on voit apparaître dans la viande des sortes de petits pointillés qui forment des tracés qui anticipent l’orientation grossière des futurs vaisseaux, exemple ici une fesse de poulet (la patte n’est pas encore sortie, nonobstant), on voit des ilôts sanguins alignés formant des grands trajets arrondis. Le lendemain, ces ilôts se sont réunis pour former des capillaires:

Ces pointillés se rejoignent et forment ce qu’on appelle un réseau capillaire ou lacis, ou pire, vous allez devoir apprendre un mot vachement utile : un plexus capillaire.

Donc première station : la vasculature de base c’est un plexus, sorte de bas résille de capillaires, qui peut fonctionner comme ça, si le morceau de viande, ou bien a fortiori l’animal entier est assez petit. Les petits animaux ont souvent des capillaires et peu de gros vaisseaux, leur déplacement suffit à faire de la circulation dedans (comme dans l'intestin, où les mouvements péristaltiques des boyaux contribuent à faire circuler le sang autour). Même que dans certaines parties du corps « distales » il n’y a que des capillaires.

Maintenant, la construction de la vasculature est un phénomène de transformation du plexus capillaire en arborisation sous l’effet de la circulation dedans, et des forces embryo-morphogénétiques autour.

Alors ça se passe comme ça : la pression et le frottement visqueux du sang sur les parois vasculaires élargissent les vaisseaux. C’est un processus connu sous le nom de croissance dendritique, c’est à peu près le même qui façonne les lits des rivières (ci-dessous exemple de rigoles se formant dans le sable en quelques minutes sur la plage de Jullouville):

 à ceci près que les lits de rivières ont des berges solides, alors que les tissus embryonnaires sont très élastiques (ça joue un rôle).

Donc, de proche en proche, une arborisation artérielle se forme de l’amont vers l’aval, et une arborisation veineuse se forme en sens inverse, de l’aval vers l’amont, sous le simple effet de la circulation du sang.

Le résultat est : deux arbres se faisant face et dont les branches se connectent par les capillaires où ont lieu les « échanges » (de gaz frais O2, de gaz usagés CO2, et de tout le reste). Voici un exemple typique de vaisseaux dans cette configuration, je vous laisse deviner lesquels sont des artères et lesquels des veines:

Ces capillaires  et ces vaisseaux peuvent décorer n’importe quel organe, le mécanisme « formation de lit de rivières » s’adapte à n’importe quel relief (poumons, mains, reins, … ça fait autant de spécialités et de jolis photos pour les congrès).  

 Ah ben mince, ce n’est pas ce que je vous ai décrit au début de ce papier, ni ce que décrit Gilbert, fort justement dans son billet (c’est ici : http://blogs.mediapart.fr/blog/gilbert-pouillart/130213/lattention-de-vincent-fleury): je vous ai décrit comme lui, deux arbres parallèles superposés comme les doigts de la main. Ici des vaisseaux décorant le poumon, en blanc le moulage des bronches, en rouge et bleu les artères et les veines.

Pourtant, la configuration dans laquelle deux arbres se font face existe, transitoirement chez les jeunes embryons (on appelle ça la configuration cis-cis, encore un mot qui va vous servir votre vie durant),  je vous en ai montré un exemple ci-dessus, mais assez rapidement, vers le 5e jour de développement, tout change et brusquement tous les vaisseaux basculent vers une configuration où artères et veines sont parallèles, ce qu’on appelle la configuration cis-trans. Pour résumer : au 4e jour de développement les artères font face aux veines : comme ça :

Et c’est la configuration qui se forme par un mécanisme de « rabotage » des berges comme des lits de rivière, mais à partir du 6e jour, les artères et les veines sont comme ça (les filles remarqueront que je porte une alliance) :

et le mécanisme de basculement a été découvert par une bande organisée, je vous donne la référence en bas, comme dans les articles sérieux (cherchez bien, vous connaissez sûrement quelqu’un dans le tas).

Alors voilà le mécanisme de basculement des vasculatures vers la configuration cis-trans : c’est de la dynamique topologique, ce qui va faire plaisir à Gilber Pouillart (c’était sa question). Donc accrochez-vous parce que jusqu’ici c’était facile.

 La question maintenant est, comment je fais deux arbres parallèles, avec des courants en sens opposés, à partir d’un arbre vasculaire unique? Le mécanisme est le suivant :  au fur et à mesure que se forme le premier arbre, le grossissement des tuyaux étrangle et ferme les petits tuyaux sur les cotés (les vaisseaux deviennent des sortes de tubes de plomberie). Voici un exemple dans le cerveau, de vaisseaux qui commencent à se détacher de capillaires voisins :

On distingue le détachement ou déconnexion capillaire par le fait qu'il n'y a plus de brins visibles qui relient le vaisseau aux capillaires à côté (ne vous inquiétez pas, l'embryon n'a pas souffert, du moins je l'espère).

 Ceci laisse sur le côté des masses de petits capillaires inusités. Ces capillaires forment un pointillé de trajets favorables pour le retour veineux car ils forment autant de petits îlots surnuméraires qui font comme des pas japonais dans un jardin, pour le retour du sang. Donc une fois que les artères se sont séparées des capillaires, les capillaires latéraux servent à faire des veines exactement parallèles aux artères existantes, et les veines qui étaient au bout ne servent plus à grand-chose et sont recyclées. Un schéma du mécanisme est :

Et voilà des vaisseaux saisis in vivo en train de se former exactement parallèles aux artères existantes, en suivant les chemins laissés par la déconnexion :

Voilà, c’était un peu long, mais il nous a fallu environ 10 ans pour comprendre ça, alors vous me pardonnerez, j’espère.

Le mécanisme fonctionne sur tous les organes, et le coeur lui-même se fait ses propres vaisseaux (coronaires) comme ça :

 Merci à Gilbert Pouillart de m’avoir signalé que mes billets devenaient un peu nuls dernièrement.

Et évidemment un point bonus de quizz à qui nous dit à quoi la "physiologie topolog'hic" fait allusion, et allez! ne soyons pas chiche, un point quizz aussi à celui qui nous dit dans la photo de LeNoble ci-dessus quel arbre, artèriel ou veineux est à gauche et lequel est à droite, et comment on les distingue.

Référence :A. Al-Kilani, A. Cornelissen, T.-H. Nguyen, S. Lorthois, F. Lenoble, M. Unbekandt, V. Fleury,  During vertebrate development arteries exert a morphological control over veins through physical factors, Phys. Rev. E,  77, 051912 (2008).

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.