Vincent Truffy (avatar)

Vincent Truffy

Journaliste à Mediapart

194 Billets

10 Éditions

Billet de blog 16 octobre 2010

Vincent Truffy (avatar)

Vincent Truffy

Journaliste à Mediapart

Les limites de la collecte participative d'informations

Après 4 jours d'expérience, la carte dynamique des blocages compte 376 points, dont 62 informations remontées par vous, lecteurs (le reste ayant été mis à jour par les journalistes d'Owni et, très parcimonieusement, par ceux de Mediapart). Ce qui fait un peu plus de 16%. Pourquoi cet échec?

Vincent Truffy (avatar)

Vincent Truffy

Journaliste à Mediapart

Après 4 jours d'expérience, la carte dynamique des blocages compte 376 points, dont 62 informations remontées par vous, lecteurs (le reste ayant été mis à jour par les journalistes d'Owni et, très parcimonieusement, par ceux de Mediapart). Ce qui fait un peu plus de 16%. Pourquoi cet échec?

Le sujet n'intéresse pas? C'est assez peu probable: 78 commentaires sur le seul billet initial – plus que le nombre d'informations déposées. Qui plus est, il faut être abonné à Mediapart pour laisser un commentaire mais pas pour déposer une information.

Un désaccord avec la méthode? C'est possible: fournir de l'information en «crowdsourcing», c'est (comme on en parlait ici) «piquer le boulot des journalistes». Sauf qu'il faut vérifier cette information qui, de toute façon, ne remonterait pas sans cette méthode. Donc, soyez sans crainte, il reste bien assez de travail.

Une interface trop complexe? C'est certain.

  • Nous demandions de classer les blocages en catégories discutables (par exemple, le formulaire propose les lycées et les universités, mais pas les écoles; en revanche, il ne distingue pas l'action des enseignants de celle des élèves).
  • Nous exigions, pour valider un résultat, la latitude et la longitude du lieu, qui pis est, sous une forme décimale, alors que l'on trouve dans les résultats des mesures d'angle (°, ', ") plus rigoureuses, des codes postaux, etc.
  • De la même façon, il fallait préciser une date de début de l'action avec l'heure et sous forme anglosaxonne (mois/date/année) peu intuitive; et une date de fin sous la même forme... alors qu'a priori, il s'agissait de grève reconductibles, donc sans date de fin.
  • Il était nécessaire également de fournir une source vérifiable au moyen d'un lien Web. Ce qui suppose que le fait ait déjà été rapporté quelque part sur le Web.

Ceci étant dit, le résultat n'est pas si mauvais si l'on considère que la BBC, qui avait lancé une initiative similaire pour une grève du métro londonien les 6 et 7 septembre puis les 3 et 4 octobre a obtenu 111 réponses. Alors que, ne nous voilons pas la face ;), elle a une surface médiatique légèrement plus vaste que Mediapart et Owni réunis. Et qu'elle utilisait des moyens techniques plus simples et plus variés pour l'utilisateur.
Alerter

Il était possible de signaler des actions par SMS (il est plus facile d'utiliser son téléphone dans un métro bloqué qu'un ordinateur!), par mail, par Twitter (en utilisant le code #tubestrike, ce qui permettait à la BBC de récupérer aussi les informations de ceux qui ne participaient pas au «crowdsourcing» mais simplement à la conversation globale sur Twitter), par Audioboo (un système de répondeur – comme chez Daniel Mermet – géolocalisé) et, évidemment, un formulaire analogue à celui que nous vous avons proposé, en mieux conçu.

La BBC a utilisé Ushaidi, un système de crowdsourcing open-source et multilingue utilisé à l'origine pour surveiller le déroulement d'élections au Kenya.

  • Le sytème de localisation est intégré au formulaire (et non séparé comme chez nous).
  • La date indiquée par défaut est celle de la saisie, mais il est possible de la modifier grâce à un calendrier (ce qui évite les confusions). L'heure est proposé par menu déroulant, ce qui évite les formulations inexploitables par la machine (16h5 au lieu de 16:05:00 par exemple).
  • Le mode de validation, enfin, est plus diversifié. Le formulaire propose, certes, de laisser un lien Web pour permettre une vérification rapide, mais on peut aussi télécharger une photo, fournir une vidéo ou laisser son adresse e-mail pour être recontacté.
  • Qui plus est, le témoin peut savoir où en est son témoignage: dès qu'il est envoyé, il est visible dans une liste des événements rapportés. Mais il n'apparaît sur la carte qu'une fois qu'il a été vérifié. Ce qui permet en outre au simple lecteur d'être informé avant même la fin du travail journalistique, en sachant que le statut du témoignage n'est pas encore parfaitement établi.

Etre alerté

Le système permet également de demander à recevoir une alerte par SMS ou par mail lorsqu'un événement est validé dans une zone de 1 à 100 km entourant un point donné par l'usager. Ce qui permet, selon les cas, de trouver un moyen alternatif de transport ou de rejoindre l'action de blocage.

Vérifier

Outre les multiples offres de preuve que peut laisser le témoin, le système offre la possibilité appréciable de ne pas proposer comme seule alternative l'acceptation ou le rejet. Le vérificateur peut choisir plusieurs niveaux de crédibilité (vrai, partiel, imprécis, éléments insuffisants, faux...) , avec un seuil d'affichage.

Pour chaque rapport, les usagers peuvent voter sur la crédibilité et laisser un commentaire pour préciser ou démentir.

Représenter

Ushaidi est complété par une application cartographique (open source, elle aussi), nommé Crowdmap qui prolonge son système de récolte de données.

  • Elle permet de lancer une opération de crowdsourcing sans avoir à installer de logiciel ni a trouver d'hébergement.
  • La carte est interactive: l'utilisateur peut filtrer les points par type de contenu (témoignages, information, photos, vidéos, etc.) ou par catégorie (laissée au choix du concepteur de la carte et proposées sur le formulaire aux témoins) sur plusieurs niveaux (une catégorie générale peut être divisée en plusieurs sous-catégories).
  • Lorsque l'on clique sur un point, une bulle s'ouvre à la façon de Google map, qui donne accès au titre, texte, photos, vidéos et source du témoignage.
  • Le tout est plaçé sur un axe chronologique qui permet de constater le nombre de témoignages par jour et par heure. Donc de déterminer intuitivement des «événements» en fonction des pics d'activité. Il est ainsi possible de retrouver l'état de la carte à un moment précis.
  • Un bouton «play» sous la carte offre au public de «rejouer» l'évolution de la carte dans le temps en réaffichant successivement les différents états de la carte du début à la fin de la période qu'il a sélectionné.
Cela pourrait être le système idéal de collecte et de représentation de l'information mutualisée si Crowdmap proposait d'intégrer (embed code) la carte et le formulaire de témoignage sur son propre site (et s'il ne restait pas de nombreux bugs à corriger). Pour l'heure, il faut nécessairement faire tout cela sur Crowdmap, ce qui reste un obstacle majeur à son adoption par des organes d'information.

Merci à Olivier Blondeau qui m'a signalé cette initiative de la BBC.