
Mauvaise semaine pour Google: après avoir été condamné par la CNIL à 100.000 euros d'amende pour avoir laissé ses Google Cars enregistrer mots de passe et requêtes coquines, et à 460.000 euros de dommages et intérêts pour avoir laissé sur Google Video les documentaires L’affaire Clearstream, Le génocide arménien, Les dissimulateurs et Mondovino, le juge fédéral de New York Denny Chin vient de rejeter le règlement de Google Books après treize mois de délibérations.
«Bien que la numérisation des livres et la création d'une bibliothèque numérique universelle bénéficierait au plus grand nombre, le règlement (Amended Settle Agreement) va tout simplement trop loin, explique le juge. Il accorderait à Google le droit d'exploiter des livres entiers sans l'accord de ses ayants droit. Il lui aurait donné un avantage significatif sur ses concurrents en le récompensant de s'être lancé dans la copie à grande échelle d'œuvres couvertes par le copyright sans autorisation, tout en le protégeant de revendications qui vont bien au-delà de l'affaire jugée.»
«Le règlement n'est ni équitable, ni adéquat, ni raisonnable», a conclu le juge Chin, mettant (provisoirement) fin à des poursuites lancées en 2005. Trois ans plus tard, en octobre 2008, le moteur de recherche, la Guilde des auteurs et l'Association des éditeurs américains avaient conclu un accord autorisant Google à scanner et exploiter des livres épuisés mais pas encore tombés dans le domaine public contre une rémunération forfaitaire de 125 millions de dollars pour les auteurs spoliés et la création d'un fonds de droits du livre chargé de répartir le fruit du ticket d'accès à ces ouvrages sur Google Books (enfin, 63% du prix, les 37% restants étant répartis entre Google et l'éventuel libraire en ligne).
Pour l'instant, la société de Mountain View a numérisé quelque 15 millions d'ouvrages, mais n'en publie que de courts extraits, en attendant le jugement. Lors d'une première décision, le juge Chin avait restreint l'accord auxlivres inscrits au Bureau américain de la protection de la loi intellectuelle ou publiés au Royaume-Uni, en Australie et au Canada, où «les pratiques légales et commerciales de l'industrie américaine du livre sont partagées». Les éditeurs étrangers qui souhaitent participer à Google Books doivent passer un partenariat particulier avec Google Books.
Renvoyant la Guilde, les éditeurs et Google à la table des négociations, Denny Chin a suggéré que ces objections pourraient facilement être qu levées en transformant l'«opt-out» (l'accord s'applique à tous, sauf à ceux qui le refusent explicitement) en «opt-in» (l'accord ne s'applique qu'à ceux qui choisissent d'y adhérer). Cette option exclurait de fait de l'accord les œuvres orphelines (c'est-à-dire, celles dont les détenteurs des droits sont inconnus), ce que refuse absolument Google.
Dans un échange de février 2010, le juge Chin avait déjà évoqué cette possibilité. L'avocate de Google, Daralyn Durie, avait également objecté que l'incertitude et les frais à engager pour rechercher les ayants droit rendaient la solution de l'opt-in prohibitive: «nous le savons parce que personne ne l'a fait, assénait-elle. Le régime de l'opt-in, c'est le statu quo. Si ça pouvait fonctionner, quelqu'un l'aurait fait.»
Cité par le New York Times, John Sargent, le président de Macmillan, très impliqué dans l'accord, a assuré que «les éditeurs sont prêts à renégocier l'accord pour obtenir satifaction. Nous avons prévu de retravailler avec Google, la Guilde des auteurs et les autres éditeurs pour dépasser les objections soulevées par la cour.» L'association de défense des consommateurs Consumer Watchdog s'est félicité de la décision: «Google fonctionne entièrement sur le principe de ne jamais demander la permission, puis de demander pardon après s'être fait prendre. Le juge Chin a simplement rappelé que vous ne pouvez pas prendre ce qui appartient à un autre et l'utiliser sans rien demander. C'est un message envoyé aux ingénieurs du Googleplex: la prochaine fois qu'ils veulent utiliser la propriété intellectuelle de quelqu'un, ils devront demander la permission.»
Un constat que partage John Batelle, auteur de La révolution Google (Eyrolles): «Les dirigeant de Google ont du mal à tenir compte des aspects juridiques – notamment les droits d'auteur – et croient sincèrement être dans leur bon droit lorsqu'ils vont glaner des informations sur d'autres sites avec Google News ou qu'ils numérisent des livres avec Google Books. Ce qui intéresse Google, c'est de réaliser tout ce qui est techniquement possible. C'est typique des sociétés dirigées par des ingénieurs.»
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