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Billet de blog 17 juin 2014

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Autour du "livre de mon ami" d'anatole France / 2 : l'heure du coucher

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Suite de : Autour du "livre de mon ami" d'anatole France / 1

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…….« C'était toute une affaire de me coucher. Il y fallait des supplications, des larmes, des embrassements. Et ce n'était pas tout : je m'échappais en chemise et je sautais comme un lapin. Ma mère me rattrapait sous un meuble pour me mettre au lit. C'était très gai »…..

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J’aime beaucoup la conclusion de cette scénette du coucher que bien des parents de nos jours pourraient raconter en s’irritant de la résistance ludique de leurs enfants.

Il y a dans notre société une obligation sociale à coucher les enfants avant que le sommeil ne les emporte de lui-même qui rend ce moment conflictuel, surtout si on les y contraint sans les accompagner. Sont invoqués d’une part le besoin de sommeil des enfants et l’utilité de celui-ci et d’autre part la nécessité pour les parents de disposer de temps à eux, le travail, les transports et les obligations diverses étant chronophages.

Les seules scènes de coucher dont je me souvienne dans ma jeunesse - celles qui se passaient dans la partie paysanne de ma famille - étaient bien différentes. Les enfants restaient dans la grande pièce commune avec les adultes et s’endormaient sans même se rendre compte que le sommeil les prenait.

En hiver ils/elles étaient bercé/es par les voix des adultes lors des veillées autour de la cheminée, puis à demi réveillé/es porté/es par de solides bras dans des lits glacés, préalablement réchauffés par des bouillotes.

En été c’était de fatigue après les travaux des champs (foins et moissons) entremêlés de jeux échevelés et cela malgré la sieste bienvenue pendant les heures chaudes de l’après-midi (quel bonheur ces siestes à l’ombre des petites collines de foin délicieusement odorantes). Personne ne m’a jamais obligé à me coucher et à dormir.

Par contre je ne me souviens plus de ce qui se passait à Paris.

« C’était très gai » est une magnifique synthèse en trois mots de toute une scène où des pleurs ont été évoqués. Cela témoigne du fait que l’affection, le jeu partagé, l’indulgence parentale ont laissé dans la mémoire de l’auteur un souvenir bien plus fort que le désagrément de devoir se coucher quand on ne ressent pas le besoin impérieux de dormir et cela malgré les peurs liées à l’endormissement solitaire :

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… « Mais à peine étais-je couché, que des personnages tout à fait étrangers à ma famille se mettaient à défiler autour de moi. Ils avaient des nez en bec de cigogne, des moustaches hérissées, des ventres pointus et des jambes comme des pattes de coq. Ils se montraient de profil, avec un œil rond au milieu de la joue, et défilaient, portant balais, broches, guitares, seringues et quelques instruments inconnus. Laids comme ils étaient, ils n'auraient pas dû se montrer ; »……

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Au moment de dormir, l’enfant est confronté à un grand sentiment de solitude : on est toujours seul dans son sommeil à se confronter à ses fantasmagories et à ses rêves. C’est pourquoi le moment de l’endormissement, quand il est solitaire, est tellement dur à affronter. Mais si ce qui a précédé « était gai » et affectueux, le sentiment de sécurité affective vécue représente un soutien important.

Dans certaines cultures, en particulier celle des Mentawai ou « hommes-fleurs » d’Indonésie, les parents invitent au matin les enfants à raconter leurs rêves et les conseillent pour donner aux cauchemars une orientation positive. A l’époque où j’ai appris cette pratique je faisais toutes les nuits d’horribles cauchemars dont le sentiment de terreur éprouvé me poursuivait toute la journée et cela m’a beaucoup aidé.

Chez les Amérindiens du nord, il y a les attrapes-rêves et chez ceux du sud, les poupées tracas. En Europe, certains grands-parents invitent leurs petits-enfants à dessiner leurs rêves puis à détruire le dessin. Ces actes symboliques ont un effet puissant : nombre d’enfants qui ont fabriqué dans mes ateliers des attrapes-rêves et/ou des poupées tracas sont venus me voir par la suite pour me dire que « cela avait marché ». Mais pour que cela fonctionne, il est nécessaire d’accompagner l’objet d’une histoire qui soit convaincante pour l’enfant.  

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……. « Hier, en flânant sur les quais, je vis dans la boutique d'un marchand de gravures un de ces cahiers de grotesques dans lesquels le Lorrain Callot exerça sa pointe fine et dure et qui se sont faits rares. Au temps de mon enfance, une marchande d'estampes, la mère Mignot, notre voisine, en tapissait tout un mur, et je les regardais chaque jour, en allant à la promenade et en en revenant ; je nourrissais mes yeux de ces monstres, et, quand j'étais couché dans mon petit lit à galerie, je les revoyais sans avoir l'esprit de les reconnaître »…….

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Dans ce passage l’auteur évoque un point essentiel qui est rarement perçu par les adultes : les images que les enfants voient dans le monde qui les entoure ont un puissant impact sur leur imaginaire et peuvent remonter à la surface dans des moments de fragilité ce qui les insécurise et les rend « capricieux ».

Le mot « caprice » recouvre tout ce que les adultes ne comprennent pas dans les réactions des enfants, qui leur semble irrationnel, insensé, destructeur et les met en difficulté devant leurs pairs dont ils craignent le jugement. Cette crainte du regard des autres adultes est bien souvent plus contraignante que le désir de ménager la sensibilité de l’enfant et que la fragile conviction que même si l’on ne comprend pas pourquoi il/elle agit ainsi, il/elle a de bonnes raisons de le faire.

Ainsi est-il plus facile et moins culpabilisant de considérer que ce qui gêne l’adulte dans le comportement de l’enfant est de l’ordre du « caprice ».

Cependant, il apparaît dans ce passage que l’affection que mère de l’auteur lui portait était plus forte que la nécessité d’être obéie ce qui procurait à l’enfant qu’il était un halo protecteur de sécurité affective l’aidant à affronter, dans ce moment critique, les monstres se rappelant à sa mémoire.

http://doudou.gheerbrant.com/?p=12004

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