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Billet de blog 28 octobre 2012

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Contes pour Inah : Coyote et Rocher

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il existe de nombreux contes mettant en jeu le conflit qui opposa Coyote à Rocher, personnellement, je n’en connais que deux suffisamment bien pour les raconter et, principalement, celle que j’ai entendue quand  Plume d’Aigle Flottante la racontait aux enfants.

https://www.icem-vente-en-ligne.org/node/70

"Plume d'Aigle Flottante" est le nom d'un conteur Maya du Honduras qui a vécu aux Etats-Unis où il occupait un poste de chercheur. Il a quitté sa position d’universitaire pour faire le tour du monde (d’où le caractère « flottant » de sa plume nomade) dans le but de transmettre un message de paix et d’amitié entre les êtres humains à travers le collectage et la circulation de contes provenant des cultures traditionnelles du monde entier rencontrées au cours de ses nombreux voyages.

Il racontait principalement aux enfants auxquels il vouait le plus grand respect et la plus sensible attention et ce ne sont pas que des mots.

Par exemple, une fois où il était venu conter dans une structure avec laquelle je travaillais – il y a plus de vingt ans de cela – des adolescentes s’étaient mises à parler à voix hautes et à pouffer de rire pendant qu’il expliquait l’évènement déclencheur qui en avait fait un conteur (l’histoire de la petite fille d’Hiroshima qui avait tenté de fabriquer mille grues pour guérir de sa leucémie Connaissez-vous la légende des 1000 grues ? ).

Il s’est arrêté de parler et, en regardant les filles avec un grand sourire chaleureux, il leur a dit sur un ton très doux qu’il leur demandait de bien vouloir l’excuser de s’adresser à elles devant tout le monde et de risquer ainsi de les blesser mais qu’elles étaient trop loin dans la salle pour qu’il puisse le faire confidentiellement.

Il a continué sur le même ton respectueux leur expliquant qu’il avait été invité pour raconter des histoires et qu’il ne pouvait pas le faire parce qu’il n’arrivait pas à se concentrer. Alors, comme il pensait que leurs échanges à elles étaient si importants pour elles qu’elles ne pouvaient  attendre qu’il ait fini de conter, il leur proposa de leur laisser le temps qu’elles estimeraient elles-mêmes nécessaire pour qu’elles puissent se dire ce qu’elles avaient à se dire.

Je ne me souviens plus de ses paroles exactes, sauf qu’elles étaient plus subtiles et empreintes d’infiniment plus de tact que ce que j’en écris là ou bien est-ce le ton qu’il a utilisé qui a transmis ce non jugement de valeur de ce que l’on aurait pu percevoir comme une perturbation volontariste – (et qui, de fait, de mon point de vue, l’était : je connaissais ces ados ricanantes, qui avaient un sens aigu de la répartie qui tue et ne quittait les lieux que lorsqu’elles en avaient rendu toute activité impossible) – ainsi que le profond désir de ne pas blesser l’amour-propre des jeunes filles en préservant leur dignité et en leur proposant une solution qui prenne en compte un besoin ciblé d’office comme non provocateur ?

Quoiqu'il en soit, à ma profonde stupéfaction, ces jeunes filles qu’aucun discours logique n’avait réussi à atteindre jusqu’alors – elles avaient l’art et la manière de les tourner en ridicule -, se sont excusées de leur grossièreté et l’ont assuré de leur écoute. Et elles ont tenu parole avec un profond sérieux.

La séance terminée, Plume d’Aigle Flottante est allé à la rencontre des jeunes filles qui, elles-mêmes accouraient vers lui.  Et, après s’être assuré que personne ne pouvait les entendre (je suis arrivée dans son dos à ce moment-là et ni lui, ni les ados ne m’ont vu/es), il a renouvelé ses excuses, leur disant qu’il regrettait s’il les avait mises un tant soit peu en difficulté, et l’on sentait une grande sincérité et empathie dans son ton.

Les deux ados lui ont alors parlé sur un ton très adulte responsable que je ne leur connaissais pas, l’assurant que c’était elles qui étaient en tort et qu’elles étaient venues pour s’excuser auprès de lui, d’une part et pour lui dire qu’elles avaient beaucoup apprécié ses histoires d’autre part. Ils ont ensuite continué à deviser mais je me suis éloignée pour ne pas aggraver mon cas d’indiscrétion involontaire…

Cependant cet évènement a bouleversé bien des données dans mes pratiques et dans mes représentations !

Son respect des jeunes n’était pas une posture théorique et ces dernier/ères le sentaient qui le lui rendaient pleinement !

Avant de raconter un conte il disait non seulement le nom de la personne qui le lui avait raconté mais aussi celui de celles/ceux dont cette personne se souvenait dans la chaîne de transmission ce qui créait en moi un sentiment de lien intergénérationnel au-delà des différences culturelles.

Je ne me souviens plus de toutes les personnes qui m’ont transmis les contes que je raconte, mais Plume d’Aigle Flottante était pour moi un ami et un maître (même s’il aurait récusé ce terme, ne cherchant jamais à convaincre qui que ce soit et ne prétendant donner de leçons à personne : il était simplement lui, pleinement et sans concessions) et donc j’ai gardé en tête les contes que je lui ai entendu raconté et que je me suis appropriés pour les transmettre à mon tour comme des liens entre les cultures, des liens de paix.

A ma connaissance il parlait - au moins - quatre langues couramment : le Maya, sa langue maternelle, l’espagnol, l’anglais et le français ce qui lui permettait d’entrer en relation avec des personnes du monde entier. Dans tous les pays où il passait il prenait contact avec une association prenant soin des enfants (en France la F.O.L et l’I.C.E.M) et leur faisait verser tous les bénéfices de ses séances de contages, se faisant héberger par des personnes avec lesquelles il avait sympathisé.

Il est mort du sida à l’âge de 35 ans. Il était lui-même un personnage du conte intemporel qu’il a écrit avec sa vie si peu ordinaire….

Sur le sentier de la paix, contes du monde entier | Coop'ICEM

plume

La partie d'échecs 

Donc, Voici Coyote et Rocher, tel que je l’ai mémorisé à partir de ce qu’a raconté Plume d’Aigle Flottante.

Un jour Coyote cherchait ses amis et il criait :

     - « où sont mes amis ? »,

mais il ne les trouvait pas.Après les avoir cherché longtemps, il a fini par arriver auprès d’un rocher autour duquel tous ses amis étaient réunis.

Et ses amis étaient en train de faire des cadeaux à Rocher.De beaux cadeaux : de magnifiques robes de daim finement brodées de piquants de porcs épics colorés, des colliers d’os sculptés et de turquoises, des paniers tressés en écorce de cerisiers... Vraiment, de très beaux cadeaux !

     -      « Mais ? Pourquoi faites-vous des cadeaux à Rocher ? » demanda Coyote interloqué.

     -      « Parce que nous allons partir en voyage, que Rocher a de la famille partout dans le monde et que nous le prions d’intercéder auprès d’eux en notre faveur afin qu’ils nous viennent en aide si besoin était.»

Et les amis de Coyote sont partis.

Coyote, resté seul,  ressentit soudain  l’envie pressante de partir lui aussi en voyage.

Il se dit :

     -      « Moi aussi, je vais partir en voyage, moi aussi je vais faire des cadeaux à rocher, mais pas des beaux cadeaux, pas comme ces idiots ! »

Et Coyote s’en alla ramasser les choses les plus puantes, les plus gluantes, les plus répugnantes qu’il put trouver et voilà ce qu’il offrit Rocher.Il se mit alors en route en criant, fier de lui :

-      « Mes amis sont stupides !

Ils ont offert de beaux cadeaux à Rocher !

Mais moi, Coyote, moi je suis intelligent !

J’ai offert des ordures à Rocher !

Voilà, ce que je lui ai offert ! » 

Il continuait à marcher, de plus en plus satisfait de lui-même, se moquant de ses amis :

-      « Ah lala ! Qu’est-ce que mes amis sont stupides !

Ils ont offert de beaux cadeaux à Rocher !

Alors que moi, Coyote, je pense, moi

Et j’ai offert des ordures à Rocher !

Voilà, ce que j’ai fait ! »

 Il continuait son chemin tout en se vantant :

- « Qu’est-ce que je suis intelligent, moi !

Pas comme mes stupides amis qui ont fait de beaux cadeaux à Rocher !

Moi Coyote, j’ai offert des ordures à Rocher

Et j’ai bien fait ! » 

Il recommençait à se vanter pour la quatrième fois quand soudain il entendit : tapoum boum ! tapoum boum !

     -      « Hein ? Qu’est-ce qui fait ce bruit ? »

Coyote se retourna et vit que Rocher roulait dans sa direction.

     -      « Oh ! Non ! Rocher est fâché contre moi parce que je lui ai offert des ordures. Rocher veut m’écraser ! Qu’est-ce que je dois faire ? Je dois courir, voilà ce que je dois faire !»

Coyote se mit donc à courir. Mais en jetant un coup d’œil en arrière il vit que Rocher le rattrapait :

     -      « Oh ! Non ! Rocher est rond, Rocher roule, Rocher est plus rapide que moi, Rocher va m’écrabouiller. Aïe, aïe, aïe, je suis perdu ! Non, je dois courir plus vite encore ! »

Et Coyote courut encore plus vite, mais il entendait Rocher se rapprocher, alors au comble de la peur il s’écria :

     -      « Mes petits frères, sortez de terre et dites-moi ce que je dois faire ! »

Les petits frères de Coyote sortirent de terre, le regardèrent en hochant la tête et lui dirent :

     -      « Coyote, si l’on te dit ce que tu dois faire, tu vas dire que tu le savais déjà ! Mais ça ne fait rien, on va t’aider encore une fois ! Trouve un trou assez grand et profond pour toi mais plus petit que Rocher. Jette-toi dedans : Rocher va rouler sur le trou, le dépasser et, quand il sera parti assez loin tu seras sauvé ! »

     -      « Pfffeu !, s’est écrié Coyote, je le savais déjà ! Si c’était pour me dire ça vous auriez bien pu rester où vous étiez ! »

Et il chercha fébrilement un trou assez grand puis, en ayant trouvé un se jeta dedans… De justesse !

Rocher lui effleura les poils du dos en roulant, dépassa le trou, s’immobilisa une demi seconde et bascula en arrière bouchant hermétiquement l’ouverture du trou dans lequel Coyote avait trouvé refuge.

     -      « Oh ! non », s’écria Coyote en tentant vainement de soulever Rocher. « Rocher est trop lourd pour moi ! Et puis Rocher est patient : il peut rester au même endroit des millions d’années, et moi j’ai faim ! »

Coyote a toujours faim….

     -     « Mes petits frères, mes petits frères, vite, sortez de terre et dites-moi ce que je dois faire ! »

Les petits frères de Coyote sortirent de terre, le regardèrent en riant et lui dirent :

     -      « Coyote, si l’on te dit ce que tu dois faire, c’est plus fort que toi, tu vas nous dire à nouveau que tu le savais déjà ! Mais ça ne fait rien, on va t’aider encore une fois ! Tourne la tête dans tous les sens et hurle le plus fort que tu peux. Ainsi Rocher s’imaginera que tu n’es pas venu seul dans ce trou, que tu y es venu avec ta famille, tes amis, tes voisins, toutes tes relations, il prendra peur et il s’en ira… »

     -      « pffou !, dit Coyote, je le savais déjà, si c’était pour me dire ça, vous pouviez rester là où vous étiez, et ne pas venir me narguer ! Allez-vous-en ! »

Les petits frères de Coyotes sont rentrés sous terre en riant.

Coyote s’est immédiatement mis à hurler de toutes ses forces en tournant la tête dans tous les sens, faisant un raffut épouvantable.

     -      « Hum ! Hum !, a pensé Rocher, Coyote n’est pas venu tout seul ici ! Coyote a amené avec lui sa familles, ses amis, toutes ses connaissances, je ferais peut-être mieux de laisser tomber !»

Et il s’est ébranlé et a roulé, roulé, roulé…. Personne ne sait jusqu’où il est allé….Roule, roule, tu finiras bien par trouver la fin du chemin. 

Coyote est sorti du trou et, tout fier de lui, il a dit : « Je suis intelligent, moi, je n’ai besoin de personne pour me tirer d’affaire ! Je m’en sors toujours tout seul par la seule supériorité de ma pensée ! » 

Et Plume d’Aigle Flottante terminait toujours le conte en s’exclamant : « Coyote, tu n’apprendras donc jamais ? »     

Plume d'Aigle Flottante a dit :
"Les contes sont les fruits de la sagesse et de l'intelligence des gens de la terre.
Tels les pollens ils voyagent dans le murmure du vent." 

« Au temps des Rêves,

les choses n'étaient ni réelles ni des rêves. »

Inah ou l'enfant "dispersée" qui écoute en bougeant

Contes pour Inah : Coyote et Oiseau Bleu

watayaga@hotmail.fr

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