La politique d'Alexis Tsipras suscite pour le moins des interrogations. La signature d'un accord entre le gouvernement grec et la ci-devant Troïka, l'interprétation du texte signé, tout est sujet à caution.
N'ont-il rien compris, rien anticipé ? Ou tout au contraire, Yanis Varoufakis, économiste spécialiste de la "théorie des jeux" serait-il un exceptionnel stratège ? Faudrait-il vraiment lire le contraire de ce qui est proclamé ? Spéculer sur le nombre de plans ourdis au cas où Merkel et, pire, Schauble deviendraient trop "méchants" ? Vu de France, la "politique du flou" revendiquée par Varoufakis, selon MARIE-LAURE COULMIN KOUTSAFTIS, évoque davantage l'aventurisme en politique que le Front populaire.

Janus
Varoufakis est auréolé de panache, celui qu'on reconnaît aux faibles quand ils bravent les forts. Après une négociation pénible, le gouvernement a obtenu de prendre l'initiative des réformes : un progrès, un renforcement de la souveraineté ? Un piège : en soumettant lui-même ses "réformes" à la censure de la ci-devant Troïka, c'est Syriza qui portera désormais directement la responsabilité des politiques d'austérité.
En réalité, pour comprendre Syriza, il n'est pas nécessaire de développer une théorie du jeu. Il faut admettre que le gouvernement grec ne fait qu'appliquer le programme du Parti de la gauche européenne, présidé par Pierre Laurent (PCF). Ce programme, qui repose sur une incantation "anti-austérité", a une logique particulière, schizoïde, reliée à la foi en "l'Europe" et en l'euro ; utopie pré-mâchée, révisionniste et indépassable, comme le fut jadis le stalinisme.
Ce qui fait l'intérêt de cet épisode grec (mais où est l'intérêt des Grecs ?) est donc qu'il s'agit de l'opportunité historique de vérifier in vivo certaines impossibilités contenues dans ce programme, comme en particulier de vouloir faire une politique de gauche sans sortir de l'euro.
Le mot "capitulation" a été utilisé par ceux qui pouvaient penser que Syriza allait proposer autre chose que ce qui est déjà fait dans l'Union européenne. Et même autre chose que ce que propose le Parti de la gauche européenne. Mais nous avons vu rapidement quelles sont les limites de l'exercice Syriza : en bon européiste, Varoufakis a commencé les négociations en affirmant à ses "partenaires" qu'il n'avait pas de "Plan B".
La gauche radicale pouvait-elle dépasser ce stade, faire le contraire de ce qu'elle pense et mettre en avant l'indépendance et la souveraineté populaire, la démocratie avant tout (voire "l'humain") ? Face à cette impossibilité, nous voyons surgir avec le gouvernement SYRIZA-ANEL, certes une préoccupation humanitaire et charitable, mais aussi des revendications nationalistes anti-allemandes et populistes, sur la question de la dette allemande, sur la dénonciation des fraudeurs. Rapidement, nous assistons à un énième processus de culpabilisation des Grecs, sur leur incapacité manifeste à être de bons Allemands ayant un budget à l'équilibre et ne fraudant pas l'impôt.
En revanche, on a vite vu que les annonces de Syriza, au lendemain des élections, étaient du vent. Au sujet du salaire minimum par exemple, dont l'augmentation est renvoyée aux calendes. Comme au sujet des privatisations, maintenues.

L'Eurogroupe du 20 février.
“Quotidien des Rédacteurs” (Grèce), février 2015
Les voix à Syriza sont loin d'être unanimes, tant ce parti est radicalement divisé, depuis sa fondation. C'est ainsi que Stathis Kouvelakis, membre du bureau national, rappelait la semaine dernière qu'il n'y avait pas d'autre choix que rompre : "Pour toute force qui veut s’inscrire en faux contre les choix dominants en matière de politique économique, la rupture est une condition indispensable." Et il existe des précédents historiques. Les réussites politiques passent en effet par une subversion préalable du système, qui consiste à détruire les institutions existantes. En Amérique latine, l'acte fondateur des politiques de gauche dans les années 2000 fut la rupture unilatérale avec les traités de libre-échange et avec le FMI.
Au contraire, Yanis Varoufakis ne l'entend pas du tout de cette oreille : « Le remboursement au FMI est une priorité. Nous n’allons pas être le premier pays qui ne respecte pas ses obligations à l’égard du FMI. Nous tirerons du sang des pierres s’il le faut pour tenir nos engagements mais nous le ferons ».
Les dynamiques politiques s'essoufflent rapidement. C'est pourquoi la rupture doit toujours précéder la (vraie) réforme. Et le PGE semble ignorer le fait que la dynamique politique issue des élections (l'état de grâce) ne dure qu'un moment. C'est pourquoi l'UE a bien joué en stoppant immédiatement cette dynamique et en renvoyant les Grecs à d'autres négociations, très loin. Mais ce qu'il faut retenir, c'est avant tout que le gouvernement grec, en négociant avec la Troïka, a affirmé qu'il n'avait pas l'intention de changer la règle du jeu, quel qu'en soit le prix.
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La Grèce sur ce blog :
- Alexis Tsipras : "I am not dangerous" !
- Grèce : la honte de la France
- Explosion de la mortalité infantile en Grèce
- La fermeture des centres de consultation de la Sécurité Sociale
Edition "Que vive la Grèce" :
- Les Grecs et l'Union européenne : sortir de l'euro, mais pas de l'UE (sondage)