L'Unicef vient de sortir son rapport traditionnel sur les enfants pauvres en France : ils sont de plus en plus nombreux. Cet organisme de l'ONU, dont la mission consiste à veiller à ce que les principes de la Convention internationale des droits de l'enfants soient assurés, émet 36 recommandations à l'intention des autorités françaises. "Chaque enfant compte" dit Unicef-France, présidé par Michèle Barzach, ancienne ministre de Jacques Chirac. Mais tout individu devrait compter ...

Rapport de l'Unicef : Chaque enfant compte. Partout, tout le temps
Ils sont plus de 3 millions à vivre sous le seuil de pauvreté (c'est-à-dire 20 % des enfants), 30 000 sont sans domicile. Le rapport estime qu'avec une augmentation de 440 000 enfants pauvres entre 2008 et 2012, l'État n'a pas pris la mesure du problème et qu'il y a urgence à agir "de manière plus efficiente pour chaque enfant". 9000 enfants habitent des bidonvilles : "situation inacceptable".
Les Echos, Le Figaro citent des extraits, donnent les chiffres. Europe 1 cite la présidente : "Nous pourrions faire mieux avec les mêmes moyens" et une de ses collaboratrices dit qu'il faut cesser de n'avoir une approche du problème par les seules allocations. Pourtant, tous ces chiffres sont déjà connus : ils datent de fin 2014 et émanent de l'Insee ou d'Eurostat. Je les citais ici dans un billet intitulé Les nécessiteux nécessaires (10 novembre 2014). Le Monde du 9 juin a signalé que les chiffres sont approximatifs puisque Eurostat ne dit pas 3 millions mais 2,447.
Donc on fait le buzz, parce que l'on pense que l'opinion publique va s'émouvoir : ma pôvre dame, ce sont des enfants, ils ne sont pas coupables, ils sont même innocents. L'Unicef publie d'ailleurs une enquête annuelle sur le sujet qui s'appelle Innocenti !
Claude Bartolone, sur son site, publie sa photo avec Mme Barzach lui remettant le rapport : tous sourires. Et de citer Sartre qui disait combien c'est difficile pour un philosophe d'expliquer un nouveau concept à un enfant. Pourquoi ? "Parce que l'enfant pose les vraies questions". Un conseiller a dû se mettre en quatre pour trouver une citation qui aille bien.
Mais la question qu'il faut poser est la suivante : en quoi la pauvreté d'un enfant serait plus choquante que celle d'un vieillard, d'une femme, d'un homme ? Ou plus exactement, pourquoi la pauvreté de tous ne justifierait pas autant de révolte que la pauvreté que subissent les enfants ? Bien sûr, ces publications peuvent avoir le mérite d'alerter sur l'extension de la pauvreté. Mais elles contiennent en germe une suspicion sournoise : les adultes pauvres ont leur part de responsabilité dans la situation qu'ils vivent, pas les enfants.

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Le rapport soulève d'autres questions : il reproche au gouvernement, à juste titre, l'abandon de la réforme de la justice pénale des mineurs (trop chaud : la droite exigera plus de répression, contraire au principe d'éducation contenu dans l'ordonnance de 1945). Il s'en prend aussi au système éducatif français qui "creuse les inégalités " (le récent rapport "Grande pauvreté et réussite scolaire" le démontre amplement). Et ces inégalités sont pires encore "en France ultra-marine" : c'est Mme Le Pen qui va apprécier si elle ne s'avise pas qu'il s'agit de l'Outre-mer. Enfin, est abordée la grave question des mineurs isolés étrangers, pour lesquels le système est déréglé, État et Départements se renvoyant la balle.
Parmi ses 36 recommandations :
- quelques généralités mais des points forts comme permettre un vrai logement plutôt que recourir aux nuitées à l'hôtel (qui explosent),
- s'assurer que les enfants des bidonvilles aient le même accès que les autres à l'éducation,
- mettre "un terme aux démantèlements erratiques et successifs des campements",
- former les enseignants sur les droits des enfants,
- considérer les mineurs isolés étrangers d'abord comme des mineurs à protéger et arrêter la pratique des examens osseux pour déterminer l'âge.
Considérant que "la protection des enfants contre toute forme de violence n'est pas assurée en France", le rapport réclame l'introduction dans le Code civil d'un article indiquant que les enfants ont le droit d'être éduqués sans violence, et une campagne contre les violences sexuelles à l'encontre des mineurs. Ce reproche sur le fait que la protection de l'enfance ne serait pas assurée en France est largement excessif, même s'il fait florès dans des milieux où l'on connaît assez peu la réalité du dispositif français. Au demeurant, des améliorations sont nécessaires et les Assises nationales de la protection de l'enfance, organisées les 15 et 16 juin à Rennes par le JAS et l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS), en évoqueront certaines, comme la décentralisation du service social et de santé scolaires (voir Le JAS, Journal de l'Action Sociale de mai 2015).
- le rapport préconise que l'on mette "un terme aux placements motivés par une mesure de protection en raison de la faiblesse de revenus de leurs parents et des conditions de vie qui en découlent, au profit de lutte contre la pauvreté soutenant la parentalité". Phrase alambiquée qui cherche à dire qu'il ne faut pas que des enfants soient placés parce qu'ils sont pauvres (pour cette seule raison), tout en sachant que c'est très rarement le cas. C'est pourquoi est ajoutée cette allusion à l'aide à la parentalité, donc la nécessité d'aider les parents à être des parents. Car si la pauvreté était en France la cause directe du placement des enfants, ils y auraient bien davantage d'enfants placés.
D'ailleurs, la protestation du rapport sur le fait que 30 000 enfants sont dans la rue est ambiguë : car il faudrait dire que dans ce cas les parents eux-mêmes doivent être relogés en priorité. Sinon, cela signifierait que l'enfant doit être protégé et placé : donc retiré de sa famille, séparé d'elle, parce qu'elle est pauvre et sans domicile. S'ils sont dans la rue, ces enfants, c'est que les services de protection de l'enfance, s'ils ne s'en réjouissent pas, n'estiment pas devoir procéder à des retraits d'enfants pour cette raison, sauf cas extrêmes.
[Photo YF]
Billet n°203
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Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr
[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]