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Cinq copines (leurs valises, leurs vanity-cases) se retrouvent à l’aéroport de Gatwick. Elles ont prévu réserver le premier séjour à bas prix qui s’offre à elles: vacances en bande, à moindre coût, à Magalluf, Rome ou Vegas. Le lecteur retrouve Finn, Kay, Manda, Chell, Finn, les adolescentes écossaises des Sopranos. Elles ont grandi, leur bande aussi.
Les lycéennes sont devenues employées ou étudiantes, sont restées amies malgré des routes divergentes. Les rejoint Ava, une copine de fac de Finn, élégante, distinguée, riche, et anglaise. L’exotisme. Mais le voyage ne se déroule pas comme prévu: Manda perd son passeport, le séjour à l’aéroport se prolonge, s’enlise, entre errances, excursions, conversations et brouilles.
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Nul besoin d’avoir lu Les Sopranos pour apprécier Les Étoiles dans le ciel radieux, se laisser prendre par le ton si particulier d’Alan Warner. Sous la pseudo sitcom, une critique au vitriol, la mise en lumière vacharde et jouissive des disparités sociales d’un Royaume pas si Uni. Manda rêve de télé réalité (Ibiza Uncovered, Big Brother), Chell mise sur les études, toutes oscillent entre illusions, rêves et pertes, évasions artificielles. Tour à tour drôle et émouvant, le roman emporte, décape, interroge le rapport de la société à la morale, au sexe, à la femme, les «liens étroits en tant qu’idéologies» et langues du capitalisme et de la pornographie.
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Les silhouettes noires de petits avions en plein décollage rythment le huis clos, figuration ironique d’espoirs sans cesse repoussés, d’attentes d’un avenir qui peine à devenir présent, rappel que les six amies sont toujours clouées au sol, jusqu’au coup de massue (historique) final. L’aéroport n’est pas un lieu anodin, c’est «une ville préfabriquée du capitalisme, posée comme une crêpe sous les nuages bas et débonnaires du Sussex». Espace clos, mais aussi hors du monde («je suis à cette connerie d’aéroport de Gatwick. Nulle part, c’est bien le problème»), il exacerbe les tensions:
«Tout, dans ce territoire aéroportuaire, était vu au travers de vitres teintées ou feuilletées, qui semblaient magnifier, éloigner ou distordre le monde entier».
Six amies, retenues au sol. Comme une manière plus générale d’être au monde, une condamnation sans appel. «Finn était impuissante à y changer quoi que ce soit, clouée par son propre passé». Manda: «Tout ce que j’ai connu, c’est la bagarre et je sais aussi que dans la vie, les autres te mettent toujours le pied sur la tête pour te clouer à terre». Et ce n’est pas le minibus Hoppa – au nom si ironiquement porteur d’espoir (hope) pourtant – qui peut y changer quelque chose. Il parcourt l’aéroport, ses terminaux, sans en sortir, «comme maintenu au sol par un aimant». Même les bouchons de champagne ne parviennent pas à décoller. «Le bouchon sauta et partit dans le rideau, tomba pile à la verticale, mort».
Hilarant, caustique, décapant, si terriblement juste, le roman se donne comme une parodie d’Odyssée: «Nous voilà de retour à Ithaque?», demande ironiquement Ava, lorsque la bande se retrouve, une nouvelle fois, dans sa chambre d’hôtel, après un énième départ impossible. D’un vendredi soir à un mardi resté dans la mémoire collective, le récit se déploie, s’égare, nous entraîne sans répit. Alan Warner a un talent sans égal pour mêler les registres, les tons, les langues: les jurons crus de Manda, son rapport contrarié aux mots compliqués (attaquivité, philossophie, généreusité, persicution, asécurité), ses «c’est l’éclate», les fêlures de Finn, le malaise d’Ava. Le récit, extrêmement léger en apparence, sonde les fractures sociales, les conflits, jusque dans les accents (écossais, anglais) des amies. Tout se dit dans et par la langue. Une merveille.
Alan Warner, Les Étoiles dans le ciel radieux, traduit de l’anglais par Catherine Richard, Bourgois, 540 p., 25 € (le roman est également disponible en édition numérique)
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Les Sopranos, traduit de l’anglais par Catherine Richard, éditions Jacqueline Chambon, 2000, 303 p., 19 €