Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Journaliste à Mediapart

Billet publié dans

Édition

Bookclub

Suivi par 634 abonnés

Billet de blog 8 novembre 2010

Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Télescopages

« Que deviennent les objets qu’on laisse à leur sort ? » (25 mai)

Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

« Que deviennent les objets qu’on laisse à leur sort ? » (25 mai)

De 1997 à 2002, Fabienne Yvert a collecté, collé, brassé, assemblé des fiches envoyées tous les mois à quelques abonnés. 4 ans, 262 fiches :

« sans arrêt je prends des notes, observe et consigne ce que je "vois" ».

Illustration 1

Ce drôle de travail d’écriture, de retranscription du monde dans ses instants cocasses, farfelus, intimes ou plus collectifs a rempli « une boîte de 20 cm de profondeur de fiches recto-verso ». Un projet de mesure du temps, achevé lorsque la boîte a été remplie.

« Aujourd’hui cela devient un livre "normal" », relié, numéroté, en couleurs, « entre la boîte à malices, la boîte à merveille, la boîte à trésors, la boîte à outils, la boîte de vitesse, la boîte aux lettres, la boîte de nuit, la boîte de conserves (…) : mise en œuvre d’une mise en boîte comme on dit mise en plis ».

Les fiches sont chronologiques, d’un 1er octobre à un 28 décembre, en une drôle d’éphéméride, journal quotidien, flâneur, curieux, mêlant textes, photographies, dessins, brassant désirs, bilans, recettes, lettres, pensées, digressions, redéfinissant la question du loisir et de l’oisiveté, comme le rappelle la malicieuse citation finale des Caractères de La Bruyère : il faut en effet « une grande étendue d’esprit » pour ainsi « demeurer chez soi » et « ne rien faire », « remplir le vide du temps ».

Illustration 2

« Je rêvais la veille de nuages gris et moutonneux & qu’il pleuve enfin, j’ai été servie (mal) dans l’après-midi : un torrent d’eau qui traverse la maison, de la porte d’entrée à la porte (de sortie) du balcon, la piscine (petit bain) dans le salon avec tapis coloré au fond de l’eau.

On n’avait pas prévu les bottes. Seule la douche est restée sèche ».

Poétiques, spirituelles et souvent surréalistes, ces notations saisissent le temps, le quotidien. Dans ses hasards les plus comiques, ses instants tragiques (la mort du voisin). Fabienne Yvert traque les inventions langagières (la boulangère voit dans les gens du nord des « pingouins », le néologisme poétique de Tobias « canapêcher »), s’interroge sur « la nécessité » de son « grain de sel », met du piquant dans la moindre de ses remarques, mène des inventaires à la Prévert (son atelier), dresse des listes qui se métamorphoses en poèmes.

Elle râle : « Réclamation. Dans les recettes, il y a le temps de préparation le temps de cuisson rarement le temps des courses jamais le temps de vaisselle… ».

Note : « ils ont trouvé ce chien marron alors ils l’ont appelé Marron. Ça lui va bien. Surtout en automne ».

Ne s’appesantit jamais.

Laisse filer.

Le temps, les mots, le tissu des songes et des hasards.

Illustration 3

Elle surligne et brode, jusque dans la mise en page, la typographie et les dessins. Un livre comme un cabinet de curiosités. Un boîte de Pandore. Singulière, branque, géniale.

Illustration 4

Recettes (confiture de framboises, thé au gingembre, tomates vertes), énumérations et écritures, extraits de lettres, coups durs (la vie n’est pas toujours une gourmandise) et émerveillements (« quand il y a du brouillard sur la mer, on se tient au bord du monde sur la falaise »), le lecteur picore, goûte, découvre comme on défriche et demeure pensif.

CM

Fabienne Yvert, Télescopages, Attila, 320 p., 22 €.

Vous pouvez cliquer sur les illustrations pour les agrandir.

Illustration 5
Illustration 6