Billet de blog 24 août 2009

Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Les grands discours

Les mots peuvent changer le monde, infléchir le cours des choses, l'analyser, le penser. Ils s'inscrivent dans l'Histoire, collective comme individuelle, sociale comme politique. Ils sont l'Histoire. Ainsi ces grands discours dont nous ne sommes souvent capables que de citer la date, l'incipit ou une phrase slogan :I have a dream, Yes we can, « Demain vous voterez pour l'abolition de la peine de mort ».

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Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Les mots peuvent changer le monde, infléchir le cours des choses, l'analyser, le penser. Ils s'inscrivent dans l'Histoire, collective comme individuelle, sociale comme politique. Ils sont l'Histoire. Ainsi ces grands discours dont nous ne sommes souvent capables que de citer la date, l'incipit ou une phrase slogan :

I have a dream, Yes we can, « Demain vous voterez pour l'abolition de la peine de mort ».

A compter du 27 août 2009, Points Seuil dédie une collection à ces leçons de politiques, ces utopies devenues réalités pour certaines (Badinter, Obama, Simone Veil luttant pour le droit des femmes à l’avortement en 1974), ces discours qui modelèrent durablement la société, le regard que nous portons sur elle, les lois qui la cadrent.Ce faisant, l’éditeur s’adresse certes à des lecteurs mais surtout à des citoyens.

Huit textes ouvrent la collection « Les Grands Discours », tous au prix de 3 €. Et l’on comprend, à les lire, qu’il ne s’agit pas seulement pour l’éditeur de reproduire mais bien plus de mettre en perspective, de donner à penser, sans didactisme, au sens le plus noble du terme « politique ». Ainsi ce volume « Lançons la liberté dans les colonies » qui regroupe le discours éponyme de Danton et Dufay le 4 février 1794 mais aussi « La France est un arbre vivant », discours de Léopold Sédar Senghor, le 29 janvier 1957 et « La traite et l’esclavage sont un crime contre l’humanité », de Christiane Taubira, en février 1999. Devoir de mémoire (la France n’abolira définitivement l’esclavage qu’en… 1848), envolées des mots, histoire revue et commentée, ces discours portent le sens, la fraternité, une certaine idée de la France, terre de liberté et d’égalité, termes si souvent bafoués.

Chaque volume nous ramène dans une décennie, un pan de notre histoire : « Elles sont 300 000 chaque année », c’est le discours de Simone Veil du 26 novembre 1974, intervenant à la tribune de l’Assemblée nationale en tant que « ministre de la Santé, femme et non-parlementaire ». Son discours, sublime, est suivi de « Accéder à la maternité volontaire », par Lucien Neuwirth, juillet 1967, manière de montrer que l’accès à la contraception a été une première étape vers l’IVG. Là encore, le volume, dans sa construction, porte un sens, donne à lire et à penser.

Les discours choisis pour cette première livraison s’inscrivent dans deux siècles de débats démocratiques, de Danton et Dufay à Obama (« Yes we can », le 8 janvier 2008), en passant par Churchill « Du sang, de la sueur et des larmes ». On lira et relira Martin Luther King (« I have a dream »), Gandhi (« Le mal ne se maintient que par la violence »), on goûtera les mises en perspective : Gandhi et le Dalaï Lama, Martin Luther King et Renan (« La Nation et la race, en 1882), Obama et Franklin D. Roosevelt, Mitterrand et Rocard assénant un « Vous frappez à tort et à travers », le 29 avril 1970 suivi du « L’Insécurité est la première des inégalités », allocution de Sarkozy en mars 2009. L’Histoire et ses grands discours comme moyen de lire le contemporain…

Un monde sépare le « Je crois qu’il y a lieu de recourir à la peine exemplaire » de Barrès en juillet 1908 au « Demain, vous voterez l’abolition de la peine de mort », discours de Robert Badinter devant l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981. Discours qui porta une génération à la politique, qui lui donna lieu de croire à l’incarnation des utopies, à la fin des clivages politiques stériles quand une cause immense et juste est en jeu, puisque Jacques Chirac, Raymond Barre ou Philippe Seguin furent des soutiens de Badinter. Lire ce volume, c’est retrouver la passion de cette époque, l’immense orateur qu’est Badinter, la force de ses mots, leur humanité essentielle. C’est lire, à la suite de ce discours, une chronologie qui rappelle que si le 18 septembre 1981, l’abolition de la peine de mort en France fut votée, par 363 voix contre 113 et 117 abstentions, en 2004, on projeta de la rétablir pour les auteurs d’actes terroristes. Que ce n’est qu’en 1982 que Robert Badinter obtint l’abrogation de l’article du Code pénal réprimant les rapports homosexuels. La date fait frémir. Et que l’interdiction de la peine de mort dans la Constitution ne date que de février 2007.

De « I have a dream » à « Yes we can », c’est toute la portée du discours politique qui s’inscrit, de l’utopie au réel. Plongée dans l’histoire « ancienne » ou plus contemporaine, cette collection est actuelle, nécessaire, profondément nécessaire. A lire, relire, faire lire. Parce que le politique est au cœur de nos vies, de la cité, parce que les mots peuvent et doivent changer le monde. Parce que lire est un acte politique. Parce que les mots sont des engagements. Parce que demain est fait d’hier.

A noter : les volumes consacrés à des discours étrangers sont en édition bilingue.

Collection « Les Grands Discours », Points Seuil, sortie le 27 août 2009. Prix unique : 3 €.