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Les Assises internationales du roman 2012 auront lieu à Lyon du 28 mai au 3 juin. Comme chaque année, on ne compte plus les écrivains présents, venus du monde entier pour échanger autour d’un thème d’ensemble — cette année « Penser pour rêver mieux » — et de notions, par demi-journées : la vérité, corruption et violence politique, la peur, le crime, le pouvoir (le programme complet est à retrouver ici).
Les écrivains invités ont publié un livre récemment — Jonathan Dee, Francisco Goldman, Péter Nádas, Morgan Sportès — et ils ont accepté d’écrire pour l’occasion la définition d’un mot qui leur tient particulièrement à cœur, un terme clé, un sésame. Les éditions Christian Bourgois publient ce Lexique nomade, comme chaque année depuis 2008 (2009, 2010, 2011). Un lexique saisonnier, qui annonce l’été des mots, les plages de lecture, un bijou, qu'on lit intégralement ou par bribes, auquel on revient, qui ne vous quitte plus. Du bureau à la bibliothèque, de la bibliothèque à une table basse, de là à ailleurs, jamais loin. Proprement « nomade », pour les mots qu’il rassemble, les langues en bouquet, le voyage qu’il propose au lecteur. Chacun est libre de son parcours, pourquoi pas le "clé à molette" de Nathalie Kuperman ou le "Unruhe" d’Helen Oyeyemi pour commencer ?

La langue est aux commandes, les auteurs s’effacent derrière leurs mots choisis, ce sont eux qui sont classés par ordre alphabétique dans le Lexique nomade. Pas d'ego, des mots. De "Aura" par Francisco Goldman à "Valeur d’échange" par Morgan Sportès.
Certains mots apparaissent comme des évidences : "Aura" justement pour Goldman, Aura qui de prénom d’une femme est devenu le nom de l’amour, du deuil, de la littérature pour l’écrivain, ce nom qui se déploie une nouvelle fois, faisant de l’ouverture du Lexique une autre manière de Dire son nom. Aura, la forme cruellement future de l’auxiliaire « avoir », "aura" un nom commun qui existe déjà, cette « émanation invisible ». C’est cette définition que renouvelle et s'approprie Francisco Goldman, "aura", désormais, sera cet « état expectatif, ce quelque chose d’invisible qui donne pourtant l’impression d’être aussi mûr qu’un fruit prêt à tomber de la branche », ce souvenir d’elle qui affleure, « qui n’est pas encore visuel ni sonore ni même olfactif. C’est le fait de l’oublier alors qu’il est tout au bord de la mémoire, et quand on ne sait pas encore quel côté va l’emporter ». "Aura", cette volonté du souvenir, cette résistance de la mémoire avant d’enfin verbaliser l’écho d’une journée ou d’un moment, d’une sensation, de trouver les mots pour le dire et la fixer à jamais. La littérature, en somme.
Le Lexique nomade remotive des mots pourtant déjà polysémiques ("aura") mais aussi se moque des expressions toutes faites, vous fait regarder de travers les clichés, révélant leur puissance, en refusant le sens commun, l’habitude : les topoï du roman policier par François Place, le mot "langue" choisi par Camille Laurens « parce qu’il ne tient pas dans la poche », ces termes enfantins — croit-on — comme le "cachette" ou "cache-cache" de Christophe Boltanski qui mènent tout droit à un lourd passé familial. D’un mot à l’autre, des fils se trament, de la "cachette" à la "clé à molette" qui le suit pour se télescoper dans le "croisement" de Bernard Comment. Ou s’illustrer dans les "shoji" japonais évoqués par Emmanuel Dongala, né en Afrique. Le vocabulaire est un monde dont les frontières sont des ponts.
Ces mots disent des fascinations, des douleurs, ils sont pleins, denses et offerts. Lorsqu’ils résistent — comme le mot "Dichtung" pour Céline Minard — ils n’en sont que plus attractifs, « aleph borgésien ». On apprend que le "doute" est comme « la natation » (Tomi Ungerer), certains mots sont définis de manière abrupte et dans une brièveté déconcertante ("embrasser" par Nicholson Baker) d’autres font naître des vraies nouvelles ("aura" par F. Goldman), tous arrêtent, font réfléchir et rêver. « Ça fait quatre-vingt ans que je suis éphémère », nous dit Tomi Ungerer. Ces mots nous parlent de nos quotidiens, de littérature, de ces sensations invisibles, indicibles que pourtant des mots viennent dire ("évanouissantes" par Alexis Jenny).

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« Car dans l’ordinaire on peut trouver le plus extraordinaire » écrit Zoyâ Pirzâd, comme une définition, à travers le mot "Histoire" de ce Lexique nomade. En écho, cette phrase de Jean-Claude Miler : « Faire que la langue parle à ceux qui la parlent, j’aime à croire que les écrivains et les poètes s’y emploient » ("Langue"). Aucun doute pour ce Lexique nomade. Depuis 2008, le livre était blanc, seule la couleur du lettrage changeait. En 2012, il est gris. Vivement la collection 2013.
Lexique nomade 2012, Villa Gillet/Le Monde, éd. Christian Bourgois, "Titres", 110 p., 7 €
Livre disponible également en version numérique.
Auteurs : Paul Andreu, Nicholson Baker, Christophe Boltanski, Giancarlo de Cataldo, Javier Cercas, Kate Colquhoun, Bernard Comment, Boris Cyrulnik, Jonathan Dee, Marie Depussé, Ananda Devi, Emmanuel Dongala, Caroline Eliacheff, Roger J. Ellory, Lydia Flem, Nick Flynn, Francisco Goldman, Jean Hatzfeld, Alexis Jenni, Douglas Kennedy, Hubert Klimko, Nathalie Kuperman, Camille Laurens, Jean-Paul Mari, Éric Marty, Catherine Millet, Jean-Claude Milner, Céline Minard, Jean-Claude Mourlevat, Péter Nádas, Helen Oyeyemi, Pierre Pachet, Thierry Pech, Zoyâ Pirzâd, François Place, Charles Robinson, Luis Sepúlveda, Mansour El Souwaim, Morgan Sportès, Tomi Ungerer, Juan Gabriel Vásquez, William T. Vollmann, Frederick Wiseman.
Pour retrouver les précédents articles du Bookclub sur les Lexiques nomades, cliquez sur les dates : 2009, 2010, 2011