Résumé de l’épisode précédent : Largo Winch a été rattrapé par son passé. Son présent n’est pas des plus heureux. Son futur incertain. Contraint de se rendre à Hong Kong pour honorer une dette contractée auprès d’une triade chinoise, il est finalement emprisonné à Lhassa où il croupit en attendant son jugement. Le dernier ?
La Chine pour théâtre des opérations. En ouverture de La Voie et la vertu, second volet du diptyque concocté par Jean Van Hamme et Philippe Francq qui paraît aujourd’hui, Largo a (comme dans le tome précédent) disparu. Son entourage s’inquiète, ses amis pour sa vie, les cadres du groupe W pour le succès de leurs entreprises asiatiques. Venu pour conclure une joint venture aventureuse dans la vitrine capitaliste de l’empire du milieu, le milliardaire bourlingueur est tombé dans le piège retors tendu par des hommes d’affaires tout sauf scrupuleux, mais très au fait de son passé dense.
Les ingrédients qui font le succès et constituent la marque de fabrique de Largo Winch sont toujours présents. Glamour, aventure, meurtres, suspens, coups de théâtre… le tout à 100 à l’heure. C’est toujours aussi efficace et ne souffre aucun commentaire désobligeant. Les protagonistes récurrents ou éphémères, comparses, compagnons, amis, rencontres, sont toujours aussi bien construits. Les renvois autoréférentiels à la série fonctionnent, la chronologie est respectée… Pas de surprise ?

Dans La voie et la vertu, Largo Winch n’est plus le play-boy lisse, sans peur et parfois sujet à des reproches. Contrairement à ce qui se passait dans les autres volets de la saga, l’évolution est réelle. Quasiment relégué au rang de personnage secondaire, Largo n’a aucune prise sur son sort. Le scénariste prolifique a écrit une intrigue à rebondissements, dans la lignée des albums précédents, avec une qualité de narration sans faille, presque trop parfaite. La nouveauté réside essentiellement dans l’incapacité du personnage en titre à avoir une quelconque emprise sur son destin. Auparavant, on guettait le moment où le jeune PDG allait rebondir, trouver son élan pour mieux prendre sa revanche sur ses adversaires et retourner les situations désespérées à son avantage. A tout prix et au détriment de tout réalisme, mais dans le plus pur style Jason Bourne. Pour notre plus grand bonheur ceci dit. On connaissait par ailleurs les états d’âme de Largo, esprit idéaliste coincé dans un tuxedo hors de prix avec pilote privé assorti, on n’entrevoyait pas en revanche la mutation du personnage dont le regard même a changé. Moins décidé, moins froid, moins sûr de lui en somme. Des failles ont vu le jour et le doute s’est installé.
En faisant de Largo Winch un homme floué, trahi, abusé, Jean Van Hamme s’est amusé avec son personnage. Pour casser le mythe du surhomme, pour se jouer des lecteurs qui croyaient relire une énième (la seizième) histoire du milliardaire par accident, forcé de se battre contre des prédateurs de toutes sortes : meurtriers, pseudo-terroristes, trafiquants de drogue, mégalos vindicatifs, figures de vilains dignes des James Bond.
La seconde force de La Voie et la vertu est à chercher dans le dessin magnifique de Philippe Francq. Nul besoin d’ailleurs de chercher très longtemps. Philippe Francq semble avoir atteint une pleine maturité et maîtrise de son personnage comme de l’univers entier de la série. Les paysages sont quasi photographiques. Dans ce tome, les crayons et les pinceaux du dessinateur et du coloriste Fred Besson confèrent à la BD des qualités graphiques d’une acuité et d’une finesse exceptionnelles.
Philippe Francq a également su, par des prises de vue, par l’utilisation de perspectives audacieuses, trouver des angles qui se mettent, comme il le souligne souvent, « au service de l’histoire ». Dans les scènes d’action, de poursuites, ou lors de « simples » vues d’ensemble, le dessinateur a su trouver ces lignes de force qui guident le regard du lecteur vers l’action, vers les dialogues indispensables, vers les détails importants du récit. En jouant avec les masses et les espaces, les décors ne sont plus de simples lieux traversés par les personnages mais un acteur à part entière de l’aventure.
Les dialogues sont peut-être plus denses que dans les épisodes précédents, les phylactères ont-ils restreints l’expression du dessinateur ? Peut-être. Mais à mon sens, Francq a su se ménager des cases et des strips quasi muets qui laissent parler l’action ou l’ellipse, de sorte que le rythme semble judicieusement ralenti, dans des passages où le lecteur se laisse simplement guider par le silence d’une scène nocturne ou devant une bagarre exempte d’onomatopées malvenues.
Au final, car final il doit y avoir, La Voie et la vertu clôt l’aventure chinoise de Largo Winch sur un clin d’œil, par un ressort scénaristique que je ne dévoilerai pas ici. Mais qui, seuls Jean Van Hamme et Philippe Francq pourraient nous le dire, n’est selon moi pas exempt d’ironie à l’heure de la crise financière mondiale.
La voie de Largo a été tracée il y a maintenant seize albums par la collaboration de Jean Van Hamme et Philippe Francq. Quant à sa vertu, elle est en question désormais, tout entière contenue au bas de la quatrième de couverture. Dans ces deux mots : A suivre.
DB La voie et la vertu “Largo Winch”, tome 16Scénario de Jean Van Hamme / Dessin de Philippe Francq / Couleurs de Fred Besson, Éditions Dupuis / Collection “Repérages”, 10,40 €