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Billet de blog 10 janvier 2009

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Tintin, quatre-vingtième

« Hergé a eu sur mon œuvre la même influence que Disney. Pour moi, Hergé est plus qu’un dessinateur de bandes dessinées. Chez lui, il existe une dimension politique et satirique. » [Andy Warhol]

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« Hergé a eu sur mon œuvre la même influence que Disney. Pour moi, Hergé est plus qu’un dessinateur de bandes dessinées. Chez lui, il existe une dimension politique et satirique. » [Andy Warhol]

Né le 10 janvier 1929 dans le numéro 11 du Petit Vingtième, le supplément hebdo du journal belge Le Vingtième siècle, Tintin fête aujourd’hui ses 80 ans.Eternel baroudeur à l’âge indéterminé, aux légendaires culottes de golf, redresseur de torts, globe-trotter, il reste au travers des 24 albums écrits et dessinés par son créateur Hergé l’archétype du héros sans faille, intègre et quasi invincible.

Tintin est non seulement un héros, c’est désormais un mythe. On ne compte pas moins de 300 ouvrages liés à Tintin lui-même, à Hergé (devenant même au passage héros de bédé), aux personnages de la série, aux interprétations les plus diverses de tel ou tel album, aux polémiques vaines – l'homosexualité de Tintin, très récemment –, aux intentions et opinions politiques prêtées à Hergé (racisme, antisémitisme, misogynie, ses accointances coupables durant la Seconde Guerre Mondiale avec Léon Degrelle, fondateur du Mouvement Rex,…). Et comme tout mythe, celui-ci n’échappe pas à l’analyse (a priori et a posteriori) des contemporains et des historiens ou spécialistes, tintinophiles ou non.

Tintin a traversé le XXème siècle, parcourant le monde, défenseur de l’orphelin, ami fidèle, paré de nombre de qualités humaines. Voire humanistes. Ses aventures ont été traduites dans plus de 80 langues, et vendues à plus de 230 millions d’exemplaires. Un sommet en matière d’édition et de succès public international jamais démenti. Car l’œuvre d’Hergé est une somme, une œuvre monde, dans laquelle l’auteur a bien évidemment insufflé une part de lui-même, tout en mettant en scène son personnage, en créant un univers qui se suffit à lui-même, univers à la fois clos et ouvert sur le monde. A propos d’œuvre monde, en référence à Balzac auquel on a pu comparer Hergé, on se demande toujours aujourd’hui si l’auteur de laComédie humaine était communiste ou capitaliste, féministe ou misogyne… Les albums de Tintin se sont succédé au fil de cinq décennies, en parallèle et en marge de l’Histoire, proposant aux lecteurs une vision d’un monde fictif mais si étonnamment réel – Hergé était obsédé par le réalisme – qu’ils ne pouvaient que susciter questions, doutes, tentations et tentatives de destruction de l’Œuvre. Mais Tintin est-il Hergé ? Et au fond, est-ce vraiment important de savoir qui est Hergé pour lire Tintin ?

Reporter et justicier, Tintin a été de tous les combats, souvent en prise avec son époque, en avance sur son temps parfois. Grâce à l’inventivité et la méticulosité de son créateur, qui était dans une constante recherche de documentation, prenant des notes, rassemblant des informations qui serviraient sa création. Sa créature.

Qu’il se nomme Kuifje, Tim, Ding-Ding, Tantan, Tintim, Tenten, Tintin est également et définitivement indissociable de la « ligne claire » de la BDfranco-belge – même s’il est inexact de penser que celle-ci est née avec le personnage d’Hergé. Il faut en revanche souligner que ce dernier a eu une énorme influence sur nombre de dessinateurs contemporains, ou d’autres qui se réclameront, plus tard, de son héritage.

Ce qui fait la force de Tintin encore aujourd’hui, c’est ce cocktail graphique, scénaristique et narratif, la méthode Hergé en quelque sorte. Témoin et parfois acteur de son époque, Hergé a non seulement fait évoluer son héros dans des contextes aux références historiques évidentes (Afrique coloniale dans Tintin au Congo, guerre sino-japonaise avec Le Lotus Bleu, Chicago de la pègre dans Tintin en Amérique, esclavagisme moderne dans Coke en Stock…), mais il l’a également projeté dans un futur pas si éloigné (quinze ans quand même…) dans On a marché sur la Lune, allant même jusqu’à toucher au genre fantastique, comme dans Vol 714 pour Sydney. Hergé a aussi usé de paraboles, en inventant des pays de toute pièce, allant jusqu’à écrire leur histoire et leurs mythologies, pour évoquer le nazisme, la guerre froide, la neutralité de certains États face aux belligérants, dans Le Sceptre d’Ottokar et L’Affaire Tournesol, par exemple.

Par ailleurs, le rapport à l’Art d’Hergé n’a jamais été absent des albums de Tintin, il a rencontré Warhol qui l’admirait. Et Roy Lichtenstein s’est emparé de l’image du héros pour son Tintin Reading. Grand amateur d’art, Hergé souhaitait pour Tintin et l’Alph-Art (album inachevé et posthume) une aventure ayant pour cadre le milieu de l’art contemporain. Quoi de plus naturel pour un dessinateur dont chaque réalisation, case, strip, album est une composition artistique en soi ?

Hergé a construit un univers à part entière pour et autour de Tintin. Un univers lié à Moulinsart et à la galerie des personnages de premier et second plan, qui gravitent autour du héros à la houppette, hors du temps parfois (comme dans Les Bijoux de la Castafiore). Le capitaine Haddock, Tournesol, les Dupond et Dupont, Tchang, Bianca Castafiore, Séraphin Lampion… mais aussi Rastapopoulos, Alcazar, Allan, qu’ils soient amis ou ennemis, les protagonistes des aventures de Tintin sont nés d’une réelle construction dramaturgique, comme l’attestent les premières rencontres entre Haddock et Tintin dans Le Crabe aux pinces d’Or, ou avec Rastapopoulos dans Les Cigares du Pharaon. Et pour preuve, une fois encore, de cette édification d’un monde de Tintin : préférant l’ellipse à la narration directe, Hergé a fait réapparaître ses personnages, comme le Docteur Müller de L’Île Noire retrouvé dans Tintin au Pays de l'Or Noir, sous d’autres traits, sous d’autres cieux… Hergé, historiographe de sa propre création.

C’est ce sens de la narration, de la construction extrêmement rigoureuse des aventures, de la précision des décors, des détails visuels, de la documentation jusqu’à l’ultra-réalisme, qui confèrent aujourd’hui encore à Tintin et à ses aventures ce caractère intemporel et même atemporel. Car quand bien même un album comme Tintin au Pays des Soviets est aujourd’hui affreusement daté, Tintin, à 80 ans, reste et restera au panthéon des héros qui ne vieillissent jamais. Comme l’œuvre d’Hergé.

DB

Post Scriptum : Un musée consacré à Hergé sera ouvert à Louvain-la-Neuve au parc de la Source courant 2009. La première pierre a été posée le 22 mai 2007, jour du centenaire de la naissance de Georges Remi.

Illustrations :

Tintin Reading, Roy Lichtenstein, 1992

Hergé par Andy Warhol.

Pour prolonger :

www.tintin.com

Tintin et Cie, Michael Farr, éditionsmoulinsart 2008

Les aventures de Tintin et Milou, éditions Casterman, 24 albums

© Casterman