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Billet de blog 10 mars 2009

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Misanthrope sociable. Diacritik.com

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Animal'z, western aquatique

Avec Animal'z, l’auteur de La Trilogie Nikopol, de La Tétralogie du monstre, signe un western futuriste, post apocalyptique, rauque et aquatique. 

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Avec Animal'z, l’auteur de La Trilogie Nikopol, de La Tétralogie du monstre, signe un western futuriste, post apocalyptique, rauque et aquatique.

Un nouvel ordre règne désormais – le chaos, en fait – sur la terre et les eaux du globe, dévastés par un « coup de sang ». La planète s’est vengée, l’élément liquide semble l’avoir emporté sur tout le reste. Le feu, l’air. La terre. L’homme a perdu, il a mené le monde à sa perte, en ayant usé et abusé de sa prééminence.

Le coup de sang est le nom du dérèglement climatique brutal et généralisé qui s’est abattu sur la Terre. La planète est totalement désorientée, dévastée, morcelée par des catastrophes hors normes. En quelques semaines, la Monde a perdu tout semblant de cohérence. La nature a craché sa colère.

Pour Bilal, la nature a ouvert la jarre de Pandore. Elle a puni l’humanité pour sa fatuité et sa vanité à vouloir se prendre sinon pour un Dieu, du moins pour ce qu’elle n’est pas : quelqu’un de responsable. Si le secret du génome humain a été percé, Owles (scientifique de génie ?) a réussi l’hybridation parfaite entre l’homme et l’animal. A défaut de l’osmose. On peut désormais vivre, mourir et ressusciter grâce à un pack d’hybridation.


Différentes versions ont vu le jour, perfectibles, perfectionnées. Jusqu’à la symbiose ultime. Mais, à force de voir l’homme jouer aux apprentis sorciers sans réagir, la nature s’est rebellée. Elle a repris le contrôle de ce monde qui lui appartenait. Désormais, les survivants dérivent. Sur les flots, ils fuient les zones polluées, irradiées. Cherchant de rares Eldorados, où « les hommes seraient en train de se réorganiser ». Seraient.

Un dauphin pensant, une énigmatique jeune veuve, le scientifique et sa fille hybride dont les capacités sans cesse croissantes inquiètent, un aventurier hâbleur. Deux cavaliers se poursuivent à bonne distance, jusqu’au duel parfait qui tend au nihilisme le plus absolu. Bilal brouille les pistes. La piste. Comme dans un western. Les bateaux sont appelés «monture», les hommes ont de larges chapeaux, la traque s’organise. Chasseur et gibier entament leur quête, cherchant une issue, un chemin vers l’espérance et, peut-être, la rédemption.

Enki Bilal a délaissé la couleur pour mieux travailler au crayon gras, dans des teintes grises et des bleus pastel. Avec quelques rares touches (tâches ?) rouges qui irradient ça et là. L’atmosphère de brouillard continu est prenante, tant dans le graphisme magnifique que dans le propos. Animal’z est une fable cyber-punk, nihiliste et désabusée. Les regards sont captés en plans serrés, à la Sergio Leone. Les duellistes parlent peu et par références littéraires. Au panthéon de leurs phrases lapidaires : Gautier, Camus, Cioran, Nietzsche… Seules les lettres semblent avoir résisté face au déclin de l’humanité. Les lettres, les mots s’envolent dans ces déserts balayés par les vents apocalyptiques. Les écrits restent. A jamais.

Dans ce monde fini, l’hybridation semble alors seule porteuse d’espoir, seule à avoir réchappé du chaos, seule voie vers une reconquête de l’humanité. Une humanité différente, qui sera à jamais contrainte de composer avec ses nouveaux maîtres : la nature et le règne animal.

Animal’z est ambigu et abrupt. Magistral. - D.B.

ANIMAL'Z, d'Enki Bilal, Casterman, 100 pages, 18 €, sortie le 11 mars 2009

© Bilal / Casterman