L'Ile aux cent mille morts

Récompensé en 2009 par un Eisner Award pour Le Dernier Mousquetaire, dans la catégorie "Meilleure édition US d'une oeuvre internationale", Jason (auteur de Low Moon, J'ai tué Adolf Hitler, Chhht !...) est un dessinateur hors normes. Habitué à l’écriture en solo, le Norvégien fait pour la première fois équipe avec un scénariste, Fabien Vehlmann (Green Manor, Seuls, Spirou et les Zorkons, Les derniers jours d’un immortel…). L’inventivité et l’ironie du scénariste alliées au trait épuré du dessinateur ont donné naissance à un petit bijou d’humour noir : un récit de pirates mordant et désabusé.

Le père de Gweny est parti il y a cinq ans à la recherche d’un trésor après avoir trouvé une carte dans une bouteille échouée sur la plage. Il n’est jamais revenu. Sa fille (au physique ingrat) désespère depuis de revoir jamais l’auteur de ses jours et doit endurer cette absence aux côtés d’une mère qui n’a plus toute sa tête. Un beau jour, elle trouve une bouteille. Avec une carte à l'intérieur. Elle décide de partir sur ses traces.

Pétri de nonsense sous des atours de récit populaire, L’Ile aux cent mille morts est une aventure picaresque mâtinée de drame pour rire. Vehlmann a écrit pour Jason une histoire où son humour moderne et décalé fait mouche, avec des dialogues et des reparties bien sentis, tout en se coulant dans le style qu’affectionne le dessinateur. Original et mélancolique, le trait de Jason, avec ces personnages aux yeux sans prunelles et au physique anthropomorphe, réussit le tour de force d’être à la fois dépouillé et expressif.

Running gags, situations burlesques et dérision sont au rendez-vous dans cette fable absurde et cruelle. Vehlmann s’est amusé avec les codes du genre : le père disparu, sa fille part à sa recherche. Un épais mystère et des morts en pagaille plus tard, on découvrira le terrible secret de l’île. Autant d’ingrédients qui peuvent (dès le titre déjà) faire penser à L’Ile aux trente cercueils de Maurice Leblanc, pour mieux nous dérouter et nous offrir un livre rempli d’humour teinté de mélancolie muette. – D. B.

L’Ile aux cent mille morts, Jason & Fabien Vehlmann, collection 1000 feuilles, 56 pages couleur, Glénat, 15€

Il faut souligner que L’Ile aux cent mille morts est publié sur le site 8comix.com, né de l’initiative de huit auteurs qui ont décidé de mettre gratuitement en ligne depuis le 17 janvier dernier leurs créations en marge de leur production traditionnelle. Par ailleurs, le dessin de Jason fait merveille sur le support numérique, avec un confort de lecture certain et presque déroutant.

Crédits images © Glénat 2010