Sans sombrer immédiatement dans l’emphase, force est de le reconnaître, il arrive rarement que la bande dessinée porte aussi bien le surnom de 9ème art.Canoë Bay. Un album. Une œuvre d’art.
Traitée comme elle se doit, dans une édition superbe, dans un grand format – 25 x 32, loin des canons habituels dévolus au genre – qui souligne la beauté du travail d’orfèvre de Patrick Prugne et Tiburce Oger.
Grâce au travail des éditions Daniel Maghen, c’est une aventure graphique magnifique qui prend forme et vie avec cet album des auteurs de L’Auberge du bout du Monde.

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Canoë Bay, c’est un peu l’Eldorado d’une poignée de fuyards, de forbans, frères de la côte dont la soif d’or et de liberté est intimement liée à la naissance, à la filiation, à la fraternité forcée qui les lie, à la mort qui les talonne. A l’Histoire surtout, qui est en marche, et qui les rattrape malgré eux.
Nous sommes en 1756, alors que la guerre de Sept ans va ravager l’Europe, l’Amérique du Nord est déjà en proie à des affrontements opposants Anglais, Français et nations indiennes. Le « Grand dérangement » a déjà eu lieu, les Acadiens ont été massivement expropriés et déportés par les Anglais. Jack, un petit garçon de 10 ans, orphelin de père et de mère, se retrouve enrôlé de force comme mousse dans la marine marchande britannique.

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Tiburce Oger prend pour prétexte et pour contexte « The French and Indian War » – les Canadiens parlent de « Guerre de la conquête » – et, prenant le parti de faire de la réalité historique un fil rouge, un champ d’investigation, en marge des champs de batailles, il met en scène une aventure humaine, une action au souffle épique, où les pirates viennent jouer le rôle des candides, héros pourchassés, premiers parias, nés sur des terres dont ils ont été dépossédé. Pour mieux revenir. Et reconquérir, leur honneur en premier.
Les pirates de Tiburce Oger et Patrick Prugne trouvent leur origine dans la littérature, l’Histoire, et l’imaginaire fertile de l’auteur de La Piste des Ombres et de Gorn. Le récit, superbement illustré, est peint en couleurs directes : une composition d’aquarelles lumineuses, de paysages et de portraits sensibles, tout au long des 76 planches. Du côté des inspirations graphiques, le dessinateur a planché – littéralement comme en attestent les croquis, crayonnés et essais rassemblés en fin d’album dans un magnifique cahier de 24 pages –, ses personnages se détachent et se fondent à la fois, grâce à un trait fin et sûr, dans l’environnement, dans les lieux.
Mais réduire Canoë Bay à une simple épopée de pirates ne saurait rendre justice à cet album qui va bien au-delà du genre. L’époque et le contexte historique, tout d’abord, ont rarement été traités en bande dessinée, et l’aventure maritime est vite dépassée par l’aventure humaine. On pense à Benjamin Franklin, contemporain de l’histoire, Fenimore Cooper, à Robert Louis Stevenson. Les figures des bandits célèbres sont présentes ou simplement évoquées, mais sous un jour nouveau : Anne Bonny, Jack Rackham – dont le petit Jack de Prugne et Oger pense être l’héritier –, Lucky Roberts, alias John Place, trouverait son origine graphique dans le personnage de Long John Silver de L’Île au Trésor.
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Et Canoë Bay est surtout une fresque humaniste qui fait se croiser des destinées disparates : un orphelin dont la naissance est déjà un grand dérangement – un père Français et une mère Irlandaise, pirates de surcroît, peut-être –, un flibustier haut en couleur, aussi généreux qu’il peut être sanguinaire, une fillette anglaise enlevée, un esclave africain qui recouvre sa liberté grâce aux frères de la côte. Canoë Bay, par sa mise en images originale et puissante, se distingue indéniablement. Notamment de ses pairs : Bruce J. Hawker de Vance, L’Epervier de Pellerin, ou Long John Silver, justement, de Dorison et Lauffray, Le Diable des Sept mers d’Hermann…
Canoë Bay est une histoire de découverte. Dans des temps tourmentés, trois jeunes enfants qui n’étaient pas destinés à se rencontrer vont vivre cette aventure hors du commun : l’apprentissage de la vie, sur les terres de ce nouveau monde, déjà déchiré par les guerres, convoité par les grandes puissances du vieux continent. Ils vont fuir, chercher ce trésor inestimable caché aux confins des territoires indiens, et trouver des biens mille fois plus précieux : la liberté et l’espoir.
« Il fera beau demain ! ».
DB

CANOË BAY, one shot de Patrick Prugne et Tiburce Oger, Daniel Maghen éditions, mars 2009, 16 € 50
Pour l’achat de cet album, 0,40 € sont reversés à ACF, Action Contre la Faim.
Les planches, illustrations et crayonnés sont exposés à la galerie Maghen à Paris, ou consultables sur le site internet de la galerie à l’adresse www.danielmaghen.com


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