En juin 1942, au dessus du canal de Mozambique, un Lysander amorce une descente forcée vers une petite île. A son bord, trois soldats : Zborowski le pilote, Maurice Rivière et Antoine Robillard, agents du BCRA (le Bureau central de renseignements et d'action, service d'espionnage et d'action de la France libre durant la seconde Guerre Mondiale). En plein océan Indien, ils débarquent sur l’île d’Europa.
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Commando Colonial fait partie de ces bédés qui surprennent. Par le propos d’abord : en pleine seconde guerre mondiale, un premier maître des Forces Navales Françaises Libres désabusé et ronchon, et un major du BCRA hautain et réfléchi se voient confier des missions d’importance, dans les parties les plus reculées du monde. Par le dessin ensuite : à mi-chemin entre le réalisme de la ligne claire et les rondeurs et le minimalisme d’un Lewis Trondheim. Appollo et Brüno, déjà auteurs de Biotope, nous livrent le second opus de Commando Colonial intitulé Le Loup gris de la désolation.
Très prometteur, le premier album (Opération Ironclad – Dargaud 2008) avait déjà de quoi étonner. Une bande dessinée dont l’action se situe en plein conflit mondial, avec un Franco-Mauricien et un Réunionnais pour héros, réunis et livrés dans les tourments de la guerre, porte-drapeaux de la France Libre, la liberté en étendard et livrant leur combat à des miles de la métropole. Au temps béni des colonies.
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Avec un humour faussement naïf et des références historiques pointues et attestées, Commando Colonial se lit comme on regarderait Un taxi pour Tobrouk de Denys de La Patellière pour les dialogues ou La poudre d’escampette de De Broca pour le rythme et le dépaysement. Ce qui n’empêche pas l’ironie et la gravité, ainsi qu’une certaine violence et une réelle acuité quand il s’agit dans le premier tome de pourfendre la collaboration ou l’attentisme coupable des propriétaires et affairistes d’outremer.
Pour ce second tome, l’aventure semble tourner court d’emblée. L'avion de Robillard et Rivière s’écrase plus qu’il n’atterrit, ils sont accueillis par un énigmatique Portugais, sorte de potentat local façon Monsieur Brun de Pagnol, avec petite moustache bien dessinée, en paréo et canotier. Les soldats échoués vont découvrir que cette île mystérieuse renferme bien des secrets, dans ce cadre idyllique qui ferait presque oublier que le monde est en guerre.
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Puis, et c’est la force de ce Loup gris de la désolation, le récit s’emballe, le major Robillard évoque un peu plus Pierre Fresnay (au-delà de la ressemblance physique, parti pris du dessin de Brüno) dans La Grande illusion de Jean Renoir. Ce que ne manquera pas de faire remarquer de manière savoureuse et abrupte le premier maître Rivière à son supérieur.
Avec Le loup gris de la désolation, on navigue dans des eaux troubles : celles des choix en temps de guerre, de Madagascar aux îles Kerguelen. On pensera bien sûr au Das Boot de Wolfgang Petersen pour l’atmosphère confinée. Au cours de ce périple, Appollo et Brüno nous livrent une galerie de personnages tour à tour truculents, simplement humains, déchirés ou idéalistes, assumant ou affrontant leurs certitudes. Pour l’un, « un boche reste un boche », pour l’autre, « la guerre continue ».
Avec humour et un sens du décalage inédits, Commando Colonial nous offre ce voyage dans le temps, celui de la coloniale, d’une guerre lointaine, sous d’autres cieux, le temps d’une aventure pleine de rebondissements et aux qualités graphiques indéniables.
DB
Commando Colonial, Tome 2, Le Loup gris de la désolation, Appollo et Brüno, Dargaud, juin 2009, 10 € 40

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Commando Colonial, Tome 1, Opération Ironclad, Appollo et Brüno, Dargaud, 2008, 10 € 40