Quand deux éditeurs proposent de « donner un prolongement graphique » à leur catalogue, le passage des lignes dactylographiées aux courbes et lignes dessinées nous offre ce que le cinéma réussit parfois, avec plus ou moins de bonheur : la restitution instantanée de l’imaginaire ayant pu habiter l’écrivain au moment de l’écriture.
Casterman s’est associé à Rivages/Noir. Gallimard a sa « Collection Fétiche ». Avec respectivement cinq et sept titres parus, les deux éditeurs ont ainsi adapté leurs auteurs avec l’ambition de « célébrer », de faire se rencontrer les deux genres.
Déjà dans la collection Futuropolis, Gallimard proposait de faire lire, relire, voire découvrir, des classiques de la littérature française ou étrangère, avec des illustrations en marge des textes. L’idée n’est donc pas neuve, toutefois la mise en cases et en phylactères semble prendre un essor particulier depuis quelques années.
On pourrait gloser sur l’intérêt de dessiner des chefs d’œuvre là où l’auteur initial réussissait à nous faire voyager, rire, pleurer, toucher avec la seule force de ses mots. On pourrait parler de facilité. Pas si simple.
Le Petit Prince
Comment reprendre Saint-Exupéry ? Comment peindre l’univers féérique et onirique de l’aviateur disparu ? Comment restituer la poésie et la mélancolie qui s’échappaient des pages, au fil des rencontres du Petit Prince, au fil du temps qui passait et qui emportait l’innocence du pilote loin de son monde rassurant, loin de son désir d’enfance, loin de ses rêves ? Surtout, comment dessiner un mouton mieux que lui ?
La tâche n’est pas aisée pour Yoann Sfar. Celui-ci truste quelque peu le monde de la BD par son talent et sa boulimie. Qu’importe. Marcher dans les bottes d’aviateur de Saint-Ex’ ne lui fait pas peur, alors même que Le Petit Prince avait été illustré par son auteur. Et le résultat est plutôt surprenant. Le conte du départ est une réflexion métaphorique sur l’enfance, l’album de Sfar se découvre comme un livre à lire à nos chères têtes blondes, le trait épuré et moderne, la foison de couleurs se mariant parfaitement avec la fraîcheur évocatrice des mots du poète.
Et puis, quel paradoxe ! Le point de départ du Petit Prince est que l’auteur ne sait pas dessiner. Ou alors si mal que les adultes ne savent pas distinguer les boas qui digèrent un éléphant d’un chapeau. Yoann Sfar semble parvenir à une osmose. Il (re)créé un Petit Prince et le lecteur d’aujourd’hui se dit que Saint-Exupéry avait la même précise idée de l’apparence du personnage universel. Intemporel. A nouveau.
Pauvres Zhéros
Pourquoi illustrer un roman noir ? Pour montrer la rage, la fureur, la laideur des personnages ? Pour ensanglanter à l’envi ? Même pas, la plupart des « reprises » sont en noir et blanc. Pauvres Zhéros est un roman de Pierre Pelot. Dur, âpre, à l’atmosphère pesante, celle des cités populaires oubliées par le destin et transformées en décharges pour vies sales et mornes. Baru illustre – au sens strict du terme – la noirceur ambiante. Une histoire d’affreux, une histoire de méchants. Une histoire simple. Une institution forcément en proie à la corruption et à l’avidité de ses dirigeants. Des destins malheureux, des malheurs au grand jour, dans le déni de tous. Et surtout des concitoyens. Quelques lueurs d’espoir percent ça et là. Mais la veulerie stagne et règne en maître. Et le glauque surnage.
Baru dessine à l’économie. Mais avec force. Avec ce mouvement perpétuel dans les postures, dans les paysages les plus sombres, en forçant le trait jusqu’à la caricature, ou au contraire en utilisant l’ellipse avec art et à propos.
Les deux adaptations n’ont rien en commun. Si ce n’est leur point de départ. Un texte. Un auteur. Et la mise en abyme de ce dernier. Car en lisant ces pages dessinées, on ne peut s’empêcher de se poser certaines questions : si Saint-Exupéry et Pelot avaient utilisé des crayons et de la couleur au lieu d’un stylo ou d’une machine à écrire, le résultat aurait-il été le même ? Et, ce que nous voyons au fil des pages est-il vraiment ce que visualisaient les écrivains ?
Mais est-ce si important ?
DB
Le Petit Prince – Sfar (d’après l’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry) – Collection Fétiche / Gallimard – 2008 – 19€
Pauvres Zhéros – Baru / Pierre Pelot – Rivages/Casterman/Noir – 2008 – 17€