Billet de blog 11 décembre 2008

Vincent Truffy (avatar)

Vincent Truffy

Journaliste à Mediapart

Presse: label du seigneur?

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Journaliste à Mediapart

Le pôle «presse et Internet» (celui auquel était convié Mediapart) a présenté ses premières propositions. Il y est notamment question d'attribuer aux sites de presse un label de qualité «pour les distinguer des blogs ou sites de services.» Reste à savoir qui le délivrerait: l'idée d'un Conseil supérieur de la presse, garant de la déontologie, a été abandonné par ce pôle, même s'il est présent dans les discussions de la sous-commission «confiance»: la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels «pourrait se voir adjoindre un conseil de médiation dans lequel seraient représentés les journalistes, les éditeurs et le public», qui pourrait se saisir de cas de non respect des principes déontologiques de base de la profession et prononcerait des sanctions «allant de la publication des avis jusqu’à une recommandation de ne pas renouveler la carte de presse» (donc l'interdiction individuelle d'exercer la profession).

Les collaborateurs du pôle Internet envisagent eux de proposer un nouveau statut d'éditeur en ligne, distinct de celui d'hébergeur, qui ouvrirait le droit aux aides de l'Etat — «aides directes, mais aides indirectes avec une TVA revue à la baisse, et en tout cas assez proche de celle du papier [2,1% pour un coup de 210 millions d'euros en 2009], des crédits d'impôt, des crédits pour la recherche, une adaptation de l'article 39 bis [du code des impôts concernant les provisions pour investissement des éditeurs de presse] pour permettre aux grands éditeurs d'investir pas seulement dans l'imprimerie mais aussi dans l'Internet...» (Philippe Jeannet, Le Monde interactif).

>>> Les aides à la presse dans le budget 2009.

Le critère quasi-consensuel retenu pour valider ce statut est le fait d'employer des journalistes professionnels. «C'est trop facile de dire: j'ai droit au statut parce que j'ai embauché un journaliste, note néanmoins Philippe Jeannet. Le statut doit être déterminé par la CCPAP [commission de la carte de presse] élargie.»

Laurent Joffrin (Libération) plaide pour une reprise de «la définition de la loi de 1881» (en fait, c'est une loi de 1986 qui définit l'entreprise éditrice: «toute personne ou groupement éditant une publication de presse», celle-ci étant comprise comme «un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposition du public en général ou de catégories de publics et paraissant à intervalles réguliers», ce qui incluerait a priori les blogs publiant régulièrement des billets).

Pierre Haski (Rue89) précise: «On ne publie pas de contenu sans validation par un journaliste professionnel.» Si cette condition faisait partie des critères, cela exclurait les blogs et les sites d'information participatifs modérant a posteriori les billets et les commentaires (Rue89 modère d'ailleurs a posteriori les commentaires).

Cette idée de labélisation de la presse en ligne avait été notamment avancée par le rapport Tessier de février 2007 (Marc Tessier est membre de la commission), qui faisait état du désir du Syndicat de la presse magazine d'information (SPMI) de « maintenir un statut presse pour éviter que la presse en ligne ne se trouve diluée dans la multiplicité des sites existants » et proposait la création d'un label tel que défini dans le code de la consommation (certification des produits alimentaires). Il y notait que «la réaction des internautes, difficile à anticiper, pourrait bien être négative face à un label officiel, géré par les pouvoirs publics et les organisations professionnelles, et qui apparaître comme une tentative de contrôle ou d’encadrement d’un réseau dont les aspirations libertaires sont très fortes. Il faut éviter à tout prix que cette démarche ne soit ressentie comme la mise en place d’un label “Presse française d’origine contrôlée”, qui constitue un moyen de protection d’un “vieux” média face au succès du numérique.» Reporters sans frontières s'était inquiété à l'époque que la création d'une commission de déontologie ne conduise à «censurer abusivement leurs contenus pour préserver leur label» et les aides publiques qui les accompagnent.

  • On annonçait ici la défection des syndicats de journalistes invités aux états généraux de la presse écrite. Ce n'est plus tout à fait vrai. Le SNJ, majoritaire dans la profession, qui avait fait connaître sa mauvaise humeur, a été invité à rencontrer Nicolas Sarkozy la semaine prochaine, et annonce qu'il «se rendra à cette invitation qui se situe dans le cadre des Etats généraux de la presse écrite auxquels il participe».
  • Bruno Frappat (Bayard Presse) estime que l'on a tort de limiter la question du pluralisme aux seules questions politiques: «Il y a un pluralisme à développer dans la presse religieuse, de service, la presse people.»
  • Les responsables de plusieurs journaux de pays arabes et africains s'inquiètent dans un texte de la liberté d'informer en France: «La diversité d’expression et, surtout, la liberté de ton disparaissent peu à peu. Poursuites abusives, perquisitions, gardes à vue musclées, les journalistes sont dans le collimateur du pouvoir. Des médias tenus par quelques barons de l’industrie, une réforme de la télévision publique qui ressemble à une reprise en mains, une législation qui ne garantit pas suffisamment la protection du secret des sources – pourtant «pierre angulaire» de la liberté d’informer si l’on en croit la Cour européenne des droits de l’homme : la France n’est pas, ou n’est plus, un exemple en matière de liberté de la presse, une liberté pourtant essentielle à l’exercice des autres libertés.»
  • L'Elysée (Emmanuelle Mignon, ex-directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy) et le ministère de la communication (Vincent Peyrègne, conseiller presse écrite et numérique, ancien du groupe suisse Edipresse) réunissent les présidents de pôles des états généraux de la presse pendant deux week-end à Rambouillet afin de piloter la rédaction du Livre vert qui sera remis à Nicolas Sarkozy, mi-décembre, en conclusion des débats.
  • Journalisme et citoyenneté, l'association de Jérôme Bouvier (membre du pôle Presse et société), envisage d'organiser entre la remise de ce Livre vert et l'annonce des mesures tranchées par Nicolas Sarkozy, annoncées à la mi-janvier, une édition spéciale des Assises du journalisme, repartant des propositions formulées en évacuant les questions jugées «techniques» (portage à domicile, kiosquiers...), pour réinvestir les questions de l'indépendance et de la responsabilité des journalistes, de la qualité de l'information, de la relation au public et des conditions de travail.