Billet de blog 28 novembre 2008

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Vincent Truffy

Journaliste à Mediapart

Etats généraux de la presse: voilà pour le pluralisme

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«Constatant que tout est écrit d'avance, le SNj-CGT se refuse à cautionner par sa présence ce simulacre de débat et de concertation.» Ce n’est pas une surprise, le syndicat national des journalistes CGT annonçait déjà depuis quelques jours qu’il allait quitter les états généraux de la presse écrite organisés par l’Elysée. Plus intéressantes sont les raisons avancées, parce qu’elles témoignent d’une connaissance de l’intérieurs des débats qui s’y sont tenus: «Ces états généraux n’ont qu’un seul but: organiser le marché et la rentabilité d'un nouveau modèle économique au seul profit des actionnaires des grands groupes nationaux et multinationaux, notamment, face aux progrès du Web et d'Internet.» Le communiqué déplore que, dans les débats, il ne soit question que de «verrous» à faire sauter «pour rentabiliser au maximum le secteur. (...) L'Etat régulateur n'a plus qu'un objectif: faciliter les concentrations et garantir la meilleure profitabilité aux actionnaires des grands groupes, dont la plupart sont dirigés par des amis du président.»

On l’a déjà écrit ici, deux des groupes de travail («industrie» et «Internet») ont déjà rendu leurs conclusions préliminaires lors du congrès de la Fédération nationale de la presse française (les deux autres devraient présenter les leurs le 1er décembre à la Maison de la Radio). A Lyon, les éditeurs avaient posé leurs propres conditions: déductibilité fiscale des dons des lecteurs aux entreprises de presse, réforme des droits d'auteurs afin de pouvoir exploiter la production des journalistes sur plusieurs supports, restriction de la clause de cession, qui permet aux journalistes d'être licenciés (et de bénéficier d'indemnités de licenciement) en cas de changement d'actionnaires ou de «ligne» du média, et généralisation du taux de TVA réduit (2,1 %) à tous les produits de presse.

De nouvelles revendications ont été dévoilées depuis lors: le pôle «société» s’apprête à recommander de lever l'interdiction faite aux Européens non communautaires de contrôler plus de 20 % du capital d'une entreprise de presse française (loi de 1986). Clairement, cette recommandation présentée après l’audition de Pierre Lamunière et de Michael Ringier, présidents de deux groupes de presse suisse (Edipresse et Ringier) devrait permettre aux groupes de presse extra-communautaires (principalement suisses et canadiens) de monter dans le capital de titre français (la minorité de blocage est fixée à 34%). Edipresse possède des participations minoritaires dans les groupes Le Monde (1995) et Midi Libre (2000, aujourd’hui revendu au groupe Sud-Ouest) et Ringier dans Le Point (1988 et 1992). Pierre Lamunière a néanmoins annoncé qu’Edipresse «hésiterait à faire un investissement massif en France», estimant qu’il «faut pouvoir libérer des moyens pour les réinvestir», visant clairement les effectifs et le niveau de salaire des journalistes. «Pour protéger le moindre petit canard boiteux, on monte une machine qui au final affaiblit l'ensemble.»

Le pôle «métiers du journalisme» a, elle, reçu les propositions du groupe Lagardère (premier éditeur de magazines et opérateur du principal diffuseur de presse, les NMPP, propriétaire du réseau de magasin Relay présent dans la plupart des gares) avec une mesure-phare: l’abrogation de la loi Bichet. Ce texte qui régit la distribution de la presse en France depuis l’après-guerre, garantit l’égalité de tous les éditeurs au sein d’un système de distribution coopératif. Sa suppression permettrait aux distributeurs de choisir les journaux qu’ils ne veulent pas vendre. En cas de refus de distribution, l’éditeur redeviendrait libre de diffuser son journal par ses propres moyens. Aux Etats-Unis, le principal marchand de magazine — les hypermarchés Wall-Mart — ont retirés plus de 1.000 titres de ses points de vente et a plusieurs fois mis en avant cette menace auprès des éditeurs pour infléchir leur ligne éditoriale.

Ernesto Mauri, président de Mondadori France, a abondé dans ce sens, plaidant pour «davantage de concurrence dans le système de distribution et davantage de liberté laissée aux points de vente dans le choix des titres qu'ils proposent.» Claude Perdriel, président du groupe Nouvel Observateur, a rappelé que «si nous supprimons la loi Bichet, un journal comme Témoignage Chrétien, qui est utile parce qu'il représente un certain point de vue mais forcément faible parce qu'il représente une tendance minoritaire, disparaîtra.»
La contribution du groupe Lagardère propose également que les marchands de journaux puissent moduler le prix de vente dans une fourchette de plus ou moins 5% autour du prix fixé par l’éditeur et l’instauration d’une «écotaxe» sur la presse gratuite pour financer le développement du réseau des diffuseurs de presse.

Voilà pour le pluralisme.

PS. A signaler aussi:

  • Les syndicats de l’Agence France-Presse ont lancé une pétition en ligne pour l’indépendance et la survie de l’AFP.
    «Depuis près d'un an, les velléités de mettre fin au statut particulier de l'AFP, à l'extérieur comme à l'intérieur de l'entreprise, sont de plus en plus nombreuses. En témoignent les attaques sans précédent dont l'agence a récemment fait l'objet de la part de certains hommes politiques proches du pouvoir en France. Tantôt on l'a traitée d'"agence d'Etat" en souhaitant ouvertement sa privatisation, tantôt on lui a reproché de ne pas être assez prompte à répercuter les communiqués de presse du parti au pouvoir. Aujourd'hui, des projets bien avancés menacent le statut et l'indépendance d'une entreprise qui est unique en son genre, à savoir ni publique, ni privée. Il serait notamment question de transformer, voire d'abolir, le statut garanti par le parlement afin de permettre la transformation en société anonyme et l'entrée d'actionnaires»,
    s’inquiètent la CGT, le SNJ, FO, CFDT et Sud.
  • La société des journalistes du Journal du dimanche (groupe Lagardère) se sont inquiété auprès du propriétaire d’«une certaine dérive éditoriale du journal»: «le JDD se contente, trop souvent, d'accompagner le président de la République dans ses déplacements sans prendre de recul. (...) de très nombreux lecteurs, notamment via le site Internet, reprochent au JDD sa partialité et menacent, quand ils ne l'ont pas déjà décidé, de ne plus l'acheter.»