Billet de blog 2 juillet 2012

Les invités de Mediapart (avatar)

Les invités de Mediapart

Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.

Abonné·e de Mediapart

Pour un bouclier judiciaire anti-délocalisation

Elargir la notion d'intérêt social de l'entreprise au-delà du seul intérêt des actionnaires, l'autoriser à s'émanciper de ses propriétaires, et permmettre aux collectivités locales d'agir: les propositions de Sandrine Floureusses, vice-présidente (PS) du Conseil général de Haute-Garonne et Christophe Léguevaques, avocat, pour lutter contre les délocalisations comme celle qu'on subie les salariés de Molex.

Les invités de Mediapart (avatar)

Les invités de Mediapart

Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Elargir la notion d'intérêt social de l'entreprise au-delà du seul intérêt des actionnaires, l'autoriser à s'émanciper de ses propriétaires, et permmettre aux collectivités locales d'agir: les propositions de Sandrine Floureusses, vice-présidente (PS) du Conseil général de Haute-Garonne et Christophe Léguevaques, avocat, pour lutter contre les délocalisations comme celle qu'on subie les salariés de Molex.


En 2008, l’opinion publique s’est émue du cynisme de la direction du groupe Molex, propriétaire d’une usine dans le nord de Toulouse, spécialisée dans les équipements électriques à destination principalement de l’industrie automobile. En effet, sous le prétexte de faire face à la crise financière, la direction américaine annonçait, coup sur coup, la fermeture du site, sa délocalisation en Slovaquie, la suppression d’environ 350 emplois et l’octroi d’un revenu exceptionnel de 20 millions d’euros aux dirigeants du groupe. La décision paraissait d’autant plus surprenante que la société Molex France était rentable et dégagée des bénéfices.

Pierre Izard, président du Conseil général de la Haute-Garonne et Jean-Claude Boudet, maire de la commune de Villemur, eurent l’audace de saisir la justice commerciale en parallèle des procédures diligentées par les salariés contre le plan social.

A l’époque, cette solution innovante tentait de rétablir le rapport de force entre les propriétaires d’une société et les parties prenantes de l’entreprise (salariés, fournisseurs, collectivités publiques…). Il est vrai que, dans la conception anglo-saxonne, alors dominante, « les propriétaires ont toujours raison ».

Pour apporter un peu de rationalité économique face à l’irrationalité financière, nous avions prévu un plan en trois étapes :

1/ les collectivités locales demandaient au président du tribunal de commerce de désigner un administrateur ad hoc afin qu’il fasse prévaloir l’intérêt social de l’entreprise sur celui, égoïste, des actionnaires.

2/ Si nous obtenions cette désignation, l’administrateur ad hoc pouvait placer l’entreprise sous la protection du tribunal de commerce en demandant l’ouverture d’une procédure de sauvegarde.

3/ Dans ce cadre protecteur, le tribunal pouvait décider du maintien de l’activité et de l’emploi en cédant tout ou partie de l’outil de production à un repreneur ou à une société créée par les salariés.

Les embûches juridiques étaient  d’autant plus nombreuses que nous étions en avance d’une loi et que nous nous opposions à la doxa libérale.

Lors de l’audience, ce furent deux conceptions de l’intérêt social qui s’opposèrent : pour les dirigeants de Molex, l’intérêt social se confondait avec l’intérêt des actionnaires majoritaires ; pour nous, rejoints par les salariés, cela supposait de trouver un équilibre entre les parties prenantes en présence afin d’assurer la pérennité d’une entreprise qui était tout sauf un canard boiteux.

Le gouvernement de l’époque, par la bouche pleine de miel de Luc Chatel, ministre de l’industrie, recommandait aux collectivités de ne rien faire. Cette attitude ambiguë s’est concrétisée lors de l’audience : sur ordre du gouvernement, le substitut du procureur demanda au président du tribunal de commerce de déclarer irrecevable les collectivités qui osaient interférer dans la « bonne gestion » d’une société.

Devant le risque de créer un précédent judiciaire, pouvant être dupliqué d’Amora à Fralib, le président du tribunal botta en touche au prétexte que la délocalisation n’avait pas encore commencé…

Aujourd’hui, le groupe industriel est parti, pillant les actifs de l’entreprise et laissant le tissu économique exsangue. Les promesses prises la main sur le cœur n’ont pas été respectées.

Il est temps de tirer les enseignements de cette affaire topique.

De première part, la loi doit reconnaître aux collectivités le droit d’agir dès lors qu’elles sont créancières d’une personne morale de droit privé, installée sur leur territoire et qui envisage une mesure de délocalisation se traduisant par un fort impact négatif sur l’emploi.

De deuxième part, il appartient à la représentation nationale de définir l’intérêt social qui ne saurait se résumer à la seule défense des intérêts des actionnaires.

Enfin et de troisième part, il faut reconnaître aux entreprises victimes d’une délocalisation la possibilité de s’émanciper de leur propriétaire en permettant le maintien de l’outil industriel, des savoir-faire et de l’emploi.

On le voit, les propositions législatives que nous présentons offrent une grande souplesse et une grande liberté d’appréciation. Il ne s’agit pas de légiférer par décret mais de rappeler aux acteurs économiques qu’ils ont des comptes à rendre et pas seulement aux marchés financiers.

La reconquête industrielle de la France passe aussi par le champ des idées : la rentabilité financière, déraisonnable dans l’économie réelle, ne doit pas dicter des comportements aberrants à court terme. Ce « bouclier judiciaire anti-délocalisation » constitue l’un des éléments d’une armada de mesures permettant à la France de retrouver sa grandeur, si l’on accepte l’idée de privilégier l’entrepreneur plutôt que le rentier.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.