«En condamnant Eric Zemmour, le tribunal n'a fait qu'appliquer une loi dont les motifs et les dispositions n'ont rien perdu de leur raison d'être», rappelle Roland Rappaport, avocat, qui souligne le revirement de la droite depuis l'adoption, en 1972, de la loi de «lutte contre le racisme».
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«La discrimination, le mépris ou l'injure raciale sont particulièrement insupportables lorsqu'ils visent ces travailleurs étrangers qui constituent pour notre économie un apport irremplaçable contribuant au bien-être de tous. Le racisme et la xénophobie, lorsqu'ils touchent les plus faibles et souvent les plus désarmés des habitants de notre pays, sont aussi vils que lâches.» Qui le déclare? Monsieur René Pleven, ministre de la justice le 7 juin 1972. Où? A l'Assemblée nationale, pour soutenir l'adoption de la loi inscrite à l'ordre du jour à la demande du gouvernement sous le titre «la lutte contre le racisme». Cette loi, comme l'on sait, est devenue la loi du 1er juillet 1972 qui réforme et complète la loi du 29 juillet 1881 concernant la liberté de la presse. Et le Garde des Sceaux se félicite de ce que, sur un tel thème, «l'Assemblée Nationale, le Gouvernement, les élus de la Nation, quelle que soit leur appartenance politique se soient trouvés unanimes. Ce ne peut être un débat partisan parce qu'en luttant contre le racisme, la France reste tout simplement fidèle à elle-même.»
Le rapporteur de la loi, Alain Terrenoire, avait exposé aux députés que «la répression des discriminations raciales, particulièrement dans le domaine économique et social, allait être complétée dans le Code Pénal par deux articles, l'un sanctionnant les dépositaires de l'autorité publique se rendant coupable de telles discriminations, l'autre visant des particuliers, soit qu'ils refusent de fournir un bien ou un service, soit qu'ils licencient ou refusent d'embaucher.» Le député Aymar Achille-Fould avait insisté sur une disposition particulière également adoptée à l'unanimité, celle d'autoriser des associations opposées au racisme à intervenir en justice pour «permettre à des hommes d'être défendus même lorsqu'ils ne connaissent pas l'étendue de leurs droits dans notre pays de liberté et d'égalité». Ces associations, expliquait-il, «partagent ces responsabilités, avec nous, avec le Gouvernement, avec le Parlement». Et René Pleven concluait ainsi: «C'est à tous ceux qui contribuent, chacun dans sa sphère d'influence, à façonner l'opinion - parents, éducateurs, journalistes, écrivains et aussi hommes politiques - qu'il appartient de lutter sans relâche par la parole et l'exemple contre le virus du racisme. N'être pas raciste ce n'est pas simplement respecter un texte de loi ou même un code de conduite; c'est un état d'esprit que nous dicte le cœur mais aussi la raison. L'intolérance est le poison dont meurt une société; le racisme est la forme la plus pernicieuse de cette intolérance». Le gouvernement avait alors comme premier ministre Jacques Chaban-Delmas et comptait notamment parmi ses membres, Miche Debré, Maurice Schuman, Valéry Giscard d'Estaing, Albin Chalandon, Jacques Chirac.
Or, que nous apprend aujourd'hui la presse? A l'initiative de Monsieur Hervé Novelli, secrétaire général adjoint de l'UMP, a été organisée une convention ayant pour titre «Les normes vont-elles tuer les libertés des Français?» A cette réunion (lire le compte-rendu de la rencontre par Mathilde Mathieu) ont été conviés le patron de la FNSEA, le président des experts comptables, celui des médecins libéraux. Et Eric Zemmour, récemment condamné pour avoir légitimé des discriminations en matière d'emploi tenant à l'origine.
Répondant sur France Ô à un intervenant qui dénonçait les employeurs demandant aux agences d'intérim de ne pas leur envoyer des personnes noires ou d'origine maghrébine, la réaction de Monsieur Zemmour avait été nette et sans ambages: «C'est leur droit». Eh bien non. La loi, ont décidé les députés, les sénateurs, le gouvernement unanimement en 1972, tient pour coupables ceux qui professent de telles opinions. Et le tribunal, en le condamnant, n'a fait qu'appliquer une loi dont les motifs et les dispositions n'ont rien perdu de leur raison d'être.
Et pourtant aujourd'hui, 58 députés UMP s'en prennent à cette loi et aux juges qui la respectent en déclarant notamment: «Cette dérive judiciaire qui précède la dérive totalitaire impose désormais la révision des lois qui la permettent». Ce 7 juin 1972, lorsqu'ils débattaient ensemble, gouvernement et parlementaires n'étaient pas «prisonniers de la pensée unique» comme il plait à Messieurs Novelli, Zemmour et d'autres émules de le proclamer, mais inspirés par des principes qui aujourd'hui font se lever des peuples dont nous saluons les aspirations et le courage.