Pierre Orsatelli, cofondateur de RenouveauPS13, et Michel Peraldi, sociologue, lancent un plaidoyer pour une réforme territoriale audacieuse qui donne à Marseille et aux Bouches-du-Rhône les moyens de redonner vie à la démocratie et de sortir du clientélisme.
Si les aires urbaines de France ont fait leur «révolution» métropolitaine en 1969, fortement poussées à l'époque par l'Etat technocratique gaulliste, Gaston Defferre, au nom de la menace communiste, aura tout fait pour que Marseille reste à l’écart.
Près d’un demi-siècle plus tard, lancé par Jean-Marc Ayrault, le chantier de la métropolisation est venu se prendre dans les filets des conservatismes. Ses objectifs paraissaient clairs: organiser, politiquement, la solidarité, seule à même de rétablir des équilibres économiques et sociaux dans cet espace très inégalitaire, pour cela simplifier le millefeuille administratif par la remise à plat des compétences des collectivités.
Car c’est au nom d'un territoire partagé, pratiqué par les «métropolitains» qu'il faut justifier des solidarités, et pas comme si chacun vivait et travaillait dans son petit univers domestique local! N'importe quel citadin métropolitain aujourd'hui peut comprendre que s’il vote à Marseille, à Aix, ou à Aubagne parce qu'il y habite, ce même citadin, sa femme et ses enfants, travaillent, apprennent, consomment, s'aèrent, se soignent et pour cela circulent dans un espace qui est de fait celui d'une métropole comprise dans un périmètre constitué de Pertuis au nord, Arles à l'ouest, La Ciotat à l'est, et la mer au sud. Ce même Aixois et fier de l'être, qui ne veut pas payer pour les quartiers nord de Marseille, sera probablement très heureux d'aller faire traiter son cancer à l'Hôpital nord, visiter des expos au MUCEM ou marcher dans les Calanques. Cette réalité est désormais bien appréhendée jusqu’à l’Insee même si encore incomplète.
En regard de ces évidences, les cinq mois écoulés assombrissent les perspectives. Le bon sens sociologique au nom duquel il importe de faire la métropole n’apparaît nulle part dans les discours, dominés par des logiques de tactiques politiques et technocratiques.
Pire, la période écoulée a même permis au président du Conseil général en délicatesse avec la justice de revenir sur le devant de la scène, en constituant un front commun des élus hors Marseille, droite et gauche agencées. La simplification du millefeuille est oubliée; il est proposé de substituer des niveaux de gouvernance, sans en réduire le nombre. La remise à plat des compétences est enterrée au profit de nouveaux chevauchements, sans une méthode de partage claire, opposable aux arguments d'opportunité. Les débats sont sous tutelle; une partie des élus reste en incapacité d'émancipation d'un conseil général pourvoyeur de l'aide aux communes, habilement distribuée à des grands électeurs choyés et opposés au traitement des inégalités territoriales existantes.
Avec seulement 119 communes, le département des Bouches-du-Rhône, héritier de la pax romana, a été préservé du morcellement, ce qui le distingue du reste de la France.
Ses deux millions d'habitants se répartissent à parité entre l'arrondissement marseillais et les trois autres du département. Neuf intercommunalités ont émergé; une seule pèse la moitié de la population; les huit autres, l'autre moitié. Au lieu d’en tirer parti, l’opposition actuelle se joue en trompe l’œil à huit contre un.
Avant qu'il ne soit trop tard, redonnons les clés qui permettraient d'atteindre les objectifs initiaux. Il faut faire la métropole pour que la puissance publique organise par la fluidité les besoins de tous les jours d’une société moderne en réseaux.
Certes, le gouvernement peut choisir une évolution à minima, noyée dans la réforme territoriale. Qui viendra se soucier des irréductibles sudistes, incapables de s'entendre? Faute de grands élus considérés, respectables et imaginatifs, rien ne nous sera accordé qui ne déroge à la règle d'un compromis réducteur, là où il faudrait conjuguer audace et autorité.
Pour apporter les réponses aux défis de notre territoire, ces deux vertus de gouvernement commandent autre chose pour apporter des réponses fluides et efficaces aux besoins des habitants.
Nous avons su innover pour construire notre candidature d’année capitale européenne de la culture autour, non pas d’une seule ville comme c’est l’usage, mais de 97 communes, presque tout le département. Ici réussir la réforme territoriale doit être simple et lisible: supprimer l'échelon de toutes les intercommunalités, réaménager les compétences du département, s'appuyer sur la forte identité pour la renouveler. Le gouvernement qui entend le premier point doit savoir aller plus loin. L’administration départementale existe et peut redevenir efficace. Le droit à l'expérimentation s'appliquerait pour piloter ses compétences réévaluées et se conjuguerait à un scrutin de liste aux règles identiques à l'élection régionale, où les collèges électoraux seraient ceux des arrondissements de population (Aix-en-Provence, Arles, Istres et Marseille). Nul besoin d'inventer un scrutin trop compliqué pour redonner vie à la démocratie et inscrire la parité, mais donner au passage un coup de pied de l'âne au clientélisme, quand certains s’accommodent de croire cette tare sudiste indépassable.
Alors nous pourrons éviter chaque fois qu'il est question de créer un équipement de multiplier les dépenses et le «chacun dans son chez soi urbain». Nous pourrons mobiliser les moyens nécessaires pour nous attacher à fluidifier et faciliter les circulations, l'accessibilité, tout en organisant la solidarité. Nous pourrons faire vivre un territoire tourné vers l'avenir. C’est le souhait de l’immense majorité des habitants des Bouches-du-Rhône.
Pierre Orsatelli est chef d'entreprise et cofondateur de Renouveau PS13.
Michel Peraldi est sociologue (CADIS/EHESS), co-auteur avec Michel Samson de Gouverner Marseille (La Découverte, Paris, 2006).