Membres du Réseau éducation sans frontières (RESF), Odile Jouanne, Bernard Hazard et Richard Moyon reviennent sur l'affaire dite des «Neuf d'Amiens», dans laquelle huit mineurs avaient été injustement envoyés en centre de rétention administrative. Ils fustigent la «suspicion systématique sur les mineurs isolés, les rafles et les recours à des tests contestés» induits par la chasse aux immigrés menée par le gouvernement.
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Samedi 5 mars, l'affaire dite des Neuf d'Amiens connaissait une étape importante avec la libération du Centre de rétention administratif (CRA) de Plaisir (78) de Christian Kiniangi du dernier des neufs mineurs isolés arrêtés le 15 février. Ce jour-là, en effet, huit lycéens et un collégien, mineurs isolés pris en charge et scolarisés par l'Aide sociale à l'Enfance (ASE) étaient arrêtés dans trois foyers de la Somme, cueillis le matin au sortir de la douche et conduits à l'hôpital pour y subir un test d'âge osseux. L'examen semblant «démontrer» qu'ils étaient majeurs, contrairement à ce qu'ils disaient et aux documents produits par certains d'entre eux, ils étaient sur le champ placés en garde à vue puis dispersés dans quatre centres de rétention à des dizaines de kilomètres de leur lieu de résidence habituel: cinq à Oissel (76), deux au Mesnil-Amelot près de Roissy, un à Paris-Vincennes, le dernier à Plaisir (78). Suspicion systématique sur les mineurs isolés, rafle, recours à des tests contestés, placement en garde à vue puis en rétention de mineurs, pour scandaleuse qu'elle soit, l'affaire ne doit rien au hasard.
S'inscrivant dans la politique de traque systématique des «immigrés clandestins» et répondant très probablement à des instructions gouvernementales, l'affaire est hautement symbolique. Elle n'est pas non plus isolée. Des faits similaires se sont produits à Metz où cinq mineurs soumis aux mêmes tests ont fini par avouer avoir recouru à des documents falsifiés. Condamnés à quatre mois de prison, ils sont en train de purger leur peine. A Amiens, l'initiative de la suspicion a été prise par des cadres trop zélés, sans en référer au président du Conseil général sous la tutelle duquel l'ASE est pourtant placée. Curieuse conception de l'Aide sociale à l'enfance que de faire rafler les adolescents qu'on est censés protéger. Car c'est bien de rafle qu'il s'agit: débarqués en force de nombreux véhicules, les policiers ont procédé à une «arrestation massive opérée à l'improviste dans un quartier ou établissement suspect», conformément à la définition du Petit Robert. Des adolescents, pas Français, raflés en masse au petit matin...
Tout à son désir de remplir son quota d'expulsions (qui, selon eux, n'entre pas, mais alors pas du tout, dans les critères d'attribution de la prime annuelle de 60 000 deniers allouée aux préfets méritants) le préfet de la Somme, Monsieur Michel Delpuech, s'appuie sur les résultats de tests d’âge osseux dont il est de notoriété publique qu’ils ne sont pas fiables . Utilisés à des fins thérapeutiques pour mesurer la différence entre l'âge osseux et l'âge réel, ils ne peuvent en aucune façon déterminer l'âge civil d'un individu. D'autant que les tables de références sur lesquelles ils sont fondés ont été établies sur une population européenne des années 1930-1940... La marge d'erreur moyenne est de plus ou moins 18 mois, ce qui signifie qu'elle est bien plus importante encore sur un individu. Nombre de pays étrangers récusent ces tests. Le préfet des Pyrénées atlantiques a récemment été condamné en première instance à verser 10 000 € de dommages et intérêts pour avoir tenté en 2005 d'expulser un jeune ghanéen, Samuel Johnson, arrêté dans son collège à Pau sur la base de ce test alors qu'il était réellement mineur comme cela a été prouvé. Dans ces conditions, le recours à ces pratiques est une caution pseudo «scientifique» a une décision d'expulser que, soit dit en passant, il est consternant de voir des médecins cautionner en acceptant de dévoyer leur mission.
Bien que la date de l'opération ait probablement été délibérément fixée quelques jours à peine avant le début des vacances de février dans l'académie d'Amiens, l'arrestation des jeunes provoquait de vives réactions. Des enseignants du lycée Romain Rolland (où sont scolarisés la majorité des jeunes arrêtés) protestaient. Une pétition recueillait rapidement des centaines de signatures. Malgré les congés scolaires, le RESF de la Somme organisait plusieurs réunions publiques ainsi que, les 21 et 22 février, des marches de soutien. Le Conseil général de la Somme condamnait l'initiative des cadres de l'ASE, prenait en charge la défense des jeunes et annonçait qu'ils seraient réintégrés dans leurs foyers dès leur sortie.
Huit d'entre eux étaient libérés dans les jours suivant. Les cinq enfermés à Oissel, le 21 février, sur décision du Tribunal administratif de Rouen qui invalidait les Arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière (APRF) du préfet de la Somme en présence de quarante-cinq personnes, dont leurs éducateurs, venues exprimer leur solidarité. Le lendemain, 22 février, le TA de Paris annulait l'APRF d'Alain Nsimba-Ngimbi retenu à Vincennes. Ceux qui étaient au Mesnil-Amelot étaient, eux, libérés par le Juge des libertés et de la détention (JLD). En définitive, seul Christian Kiniangi, le seul collégien et le plus jeune du groupe restait en rétention, à Plaisir, le Tribunal administratif comme le JLD de Versailles ayant estimé conforme à leur bonne conscience de le maintenir enfermé et promis à l'expulsion vers un pays (la République démocratique du Congo) où il n'a plus d'attaches, ses parents ayant été assassinés par les hommes de Kabila.
La mobilisation s'organisait dans les Yvelines. Des militants du RESF local se succédaient pour lui rendre visite, bientôt relayés par des élus, conseillers régionaux, conseillers généraux, élus municipaux. Des parlementaires interpelaient préfets et ministres tandis que la défenseure des enfants se saisissait de l'affaire. Au bout du compte, le 5 mars, jour de son seizième anniversaire, le juge des libertés et de la détention de Versailles décidait sa remise en liberté, après 17 jours de prison. Escorté des personnes venues le soutenir au tribunal dont des Conseillers régionaux et généraux, il se rendait au Centre de rétention administrative (CRA) de Plaisir pour y récupérer ses affaires. Un goûter d'anniversaire était improvisé devant le commissariat-prison avec banderoles, gâteaux et cadeaux au grand dam du commissaire.
Cette affaire, qui n'est naturellement pas finie, témoigne des graves dérives auxquelles conduit l'application des ordres du gouvernement. Non respect, pour commencer, de ce qui devrait être le fondement de toute décision concernant des jeunes gens qui, avant d'être des «étrangers», sont des jeunes et des élèves. Ces deux qualités devraient prévaloir sur toute autre et guider l'action à leur égard. Quand bien même certains n'auraient pas dit toute la vérité sur leur âge, ils resteraient de toute façon de très jeunes gens. S'agissant en outre de mineurs isolés, ils ont, presque par définition, traversé des épreuves qu'on ne souhaite à personne. Les circonstances de l'arrestation des neuf d'Amiens sont indignes. Il est inadmissible qu'un préfet confie aux policiers des missions dont ils ne peuvent qu'avoir honte. Les dégâts occasionnés par les circonstances de leur arrestation puis celles de leur rétention (6 jours dans un univers carcéral d'adultes pour ceux qui sont sortis les premiers, 17 jours pour le plus jeune) sont de véritables atteintes à l'intégrité psychologique de ces jeunes. Il faut en tirer les conclusions, à commencer par l'abandon définitif du recours aux tests d'âge osseux pour déterminer l'âge d'un mineur. Enfin et surtout, il faut changer fondamentalement d'orientation. La volonté de sauver électoralement un président en perdition n'autorise pas n'importe quelles pratiques et n'importe quelles dérives.