Billet de blog 12 mars 2015

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La vieille école s’en prend à sa postérité

Daniel Buren, artiste mondialement connu, attaque en justice le nouvel IHEAP qui risque de remettre en question l’idéologie artistique dominante qu’il a contribué à installer. Les personnels de cet établissement supérieur de recherche et d’expérimentation en art ne comprennent pas.

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Daniel Buren, artiste mondialement connu, attaque en justice le nouvel IHEAP qui risque de remettre en question l’idéologie artistique dominante qu’il a contribué à installer. Les personnels de cet établissement supérieur de recherche et d’expérimentation en art ne comprennent pas.


L’artiste Daniel Buren attaque en justice l’Institut des hautes études en arts plastiques (Iheap). L’Iheap reprend le nom et l’intention d’un célèbre institut des années 80, avec l’ambition d’aider les jeunes artistes à remettre en question les valeurs établies et les conventions contemporaines. On ne comprend pas bien les intentions de Monsieur Buren, qui tente de détruire un projet pédagogique et critique proche de ce que lui-même enseignait en son temps en tant que professeur de l’IHEAP.
L’attaque illégitime de Monsieur Buren
Daniel Buren, né à Boulogne-Billancourt en 1938 et célèbre pour ses colonnes dans la cour du ministère de la Culture, est friand de procès. On se souvient de ceux qui ont entouré la commande publique du Palais-Royal, ou les procès intentés vainement contre les photographes de la place des Terreaux à Lyon, qu’il a décorée de ses fameuses bandes blanches et noires. L’artiste, au travail réputé incisif et engagé, fut l’une des figures importante de la critique institutionnelle, et pourtant il participe aujourd’hui à une institutionnalisation de la critique. Par l’intermédiaire de son avocat, il vient de déposer une plainte au tribunal de grande instance de Paris, accusant l’Iheap de concurrence déloyale et parasitaire (sic) et d’atteinte à la propriété intellectuelle. Il prétend que cet institut, fondé par la Biennale de Paris en 2012 en reprenant le nom et le projet de l’ancien IHEAP, porte ombrage à son modèle disparu. Il cherche aussi à faire valoir qu’il y a une atteinte à la propriété intellectuelle, considérant certainement son ancien employeur comme une œuvre d’art dont il serait l’auteur.
L’IHEAP, une école exemplaire de la fin du XXème siècle
C’était un beau projet de la Ville de Paris, conduit par Pontus Hulten, co-créateur du Centre Pompidou, qui proposait aux jeunes artistes une alternative à l’École nationale supérieure des beaux-arts, en créant un espace de rencontres et d’échanges avec des acteurs importants de la culture contemporaine. Des intervenants de renom lui ont apporté leur expérience et leurs points de vue, Pierre Bourdieu, Renzo Piano, Jean-François Lyotard, Niki de Saint Phalle, Jean Nouvel, Lawrence Wiener, Daniel Templon, Harald Szeeman, ou encore Giuseppe Panza di Biumo, tandis que des artistes pointus, comme Sarkis ou Daniel Buren, assuraient l’encadrement pédagogique. Peu connue du grand public, cette institution favorisant l’interdisciplinarité et l’oralité est devenue un modèle, à qui on doit la notion aujourd’hui très répandue de post-diplôme. En 1995, après sept années de fonctionnement, l’IHEAP fut contraint, par manque de soutiens financiers, de fermer ses portes, malgré l’intérêt croissant que lui portaient des jeunes artistes du monde entier.
Le nouvel Iheap, un projet novateur pour le XXIème siècle
En 2012, forte de son histoire, de ses expériences et de ses spécificités, la Biennale de Paris a choisi d’ouvrir un nouvel institut, selon un mode opératoire déjà expérimenté, qui consiste à réactiver des institutions abandonnées, dans un geste qui procède à la fois de l’hommage et du détournement, créant ainsi des structures de contre-pouvoir. Des caractéristiques d’origine, le nouvel Iheap a conservé le nom resté vacant, l’intention de départ, l’idée d’une structure simple, la nécessité de la transversalité et de l’oralité, la dimension internationale. Cependant, avec une nouvelle équipe, un nouveau projet pédagogique et un nouveau programme, l’Iheap d’aujourd’hui marque une rupture nette non seulement avec celui d’origine, mais aussi avec les conventions et les autorités qui régissent l’art actuel et son enseignement. Fondé sur l’expérimentation et le développement de pratiques artistiques « latérales », l’Iheap est un établissement qui tient compte des formes à la fois les plus avancées et les plus accessibles de la pratique de l’art.
Des accusations injustes et infondées
Que cherche Monsieur Buren en s’en prenant judiciairement à l’Iheap ? On aurait pu penser que celui qui professait dans les années 60 d’infiltrer l’institution pour mieux la critiquer, reconnaisse et défende aujourd’hui un projet qui dérobe des institutions en déshérence pour inventer des organisations nouvelles. Mais Monsieur Buren a choisi la défense d’un territoire qu’il considère comme son pré carré. Pourquoi devant un tribunal ? Il aurait pu utiliser une tribune publique, par exemple, pour regretter que l’Institut ait emprunté le nom de l’IHEAP sans lui demander son avis d’artiste consacré et d’ex-professeur. C’eut été un échange d’idées et d’arguments dans le respect de la liberté d’expression. Au lieu de cela il fait rédiger par ses avocats un dossier de 27 pages alimentant une plainte en vue de pratiquer la censure. Ce dossier s’en prend à une rigueur administrative soi-disant maltraitée, et l’Iheap répondra point par point qu’il n’en est rien. Il considère que des réputations sont bafouées, ce qui ne relève que du sentiment personnel et ombrageux de Monsieur Buren. Enfin, il prétend l’Iheap malhonnête, ce qui est une accusation mensongère et diffamatoire. Monsieur Buren voit une escroquerie dans le fait que son ancienne école rémunérait les artistes alors que l’Iheap d’aujourd’hui leur demande un droit de cursus (page 20 du dossier)  : c’est faire peu de cas du fait que l’une était une émanation directe des pouvoirs publics alors que l’autre est une organisation indépendante. Et cela revient à dire que les universités françaises, par exemple, sont des associations de malfaiteurs…
On le voit, ce procès risque d’être un énième épisode de la vielle et ennuyeuse querelle des Anciens contre les Modernes, ce qui est définitivement du temps perdu pour les tribunaux de justice, pour les critiques d’art comme pour les artistes. Monsieur Buren sera sûrement un peu seul dans cette affaire.

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