Billet de blog 12 octobre 2011

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Une femme de gauche à l'Elysée

«Nous avons besoin de différence et de changement, nous avons besoin d'une société de justice et de partage: les femmes ne remplissent pas par essence ce programme, mais Martine Aubry, comme femme singulière, peut incarner ce changement.» Par Marie Darrieussecq, romancière.

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«Nous avons besoin de différence et de changement, nous avons besoin d'une société de justice et de partage: les femmes ne remplissent pas par essence ce programme, mais Martine Aubry, comme femme singulière, peut incarner ce changement.» Par Marie Darrieussecq, romancière.

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Les arguments restent les mêmes, les mêmes qu'il y a cinq ans. Une femme de gauche à l'Elysée. Les deux femmes, Aubry et Royal, sont très différentes, et nous n'en sommes qu'au stade des primaires. Mais le PS a tout à gagner à proposer une candidate.

Les candidats ne manquent certes pas d'arguments. Quand je dis les candidats, je n'inclus pas la candidate dans ce neutre masculin que nous impose la langue française dès qu'il y a de l'homme (ici Hollande et Montebourg). Le fait d'être une femme n'est pas non plus un argument en soi (cf Marine le Pen, au secours). Il n'y a pas d'essence féminine qui serait plus douce, plus sage, plus pacifique, plus maternelle ou je ne sais quoi.

Martine Aubry a des qualités qui ne sont ni féminines ni masculines: une intelligence et une puissance qui ne tiennent qu'à elle, comme Hollande ou Montebourg. Je trouve que son programme est le plus convaincant des trois en termes de justice sociale, et de sauvegarde (ou sauvetage) du service public. Mais être une femme la distingue plus sûrement que les différences de programme au sein de la gauche. Je ne suis pas ravie de le constater; je préférerais que les catégories de genre se déploient sur un plan de parfaite égalité, voire d'indifférence. Mais ce n'est pas le cas. Nous vivons dans un monde où le seul fait d'être femme vous différencie. Le seul fait d'être femme vous rend autre, l'autre de cet universel qu'est l'homme (l'homme blanc).

Je vois bien ce qui se passe: la peur. Ça a déjà raté une fois, le coup de la femme de gauche face à l'homme de droite. On se dit: un homme, ce coup-ci, c'est plus sûr. On ne va pas reprendre ce risque, ce risque de la femme. Mais Aubry n'est pas Royal. Il n'y a pas LA femme, il y a des femmes, de même qu'il y a des hommes. En général, être une femme est un moins. On est moins, quand on est une femme. Les femmes sont une minorité visible, comme les noirs. En ce sens l'élection américaine était une tragédie: deux «moins» s'affrontaient à arguments quasi égaux. Hillary Clinton et Barack Obama, chacun avec leur visibilité de «moins». L'homme l'a emporté. Nous vivons dans un monde où un homme noir, vaut, malgré tout, plus qu'une femme blanche. (Pour savoir ce que vaut une femme noire, il suffit de regarder du côté de la suite 2806 du Sofitel de New York).

Face à un homme blanc de droite, une femme blanche de gauche vaut moins, c'est sociologique, mathématique, et bien français. Mais quelque chose est en train de changer, souterrainement et obstinément. Les femmes qui ne se laissent pas amoindrir sont, comme dans les textes de Kafka, les souris qui rongent inlassablement le système. Dans le contexte très particulier de 2012 en France, Martine Aubry vaut plus qu'un homme. Vaut plus que Hollande. Elle vaut plus, historiquement. Ce serait la première fois. On regarderait la France autrement, de l'étranger, et aussi de l'Europe. Les petits Français regarderaient leur avenir différemment: filles et garçons sauraient qu'une femme peut être présidente. Pour l'instant ils savent surtout qu'elle peut être institutrice ou infirmière. Ou top model. Je ne fais pas dans l'utopie: je fais dans la politique réaliste. Martine Aubry ne veut pas faire valoir le fait qu'elle est une femme. Elle veut se battre à armes égales, mais les armes ne sont pas égales. Alors je m'y colle. On a essayé les hommes pendant 150 ans de République, sans parler de l'Ancien Régime; on a essayé la droite beaucoup trop longtemps sur ces 150 ans. Essayons une femme de gauche. Nous avons besoin de différence et de changement, nous avons besoin d'une société de justice et de partage : les femmes ne remplissent pas par essence ce programme, mais Martine Aubry, comme femme singulière, peut incarner ce changement.

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