Billet de blog 14 juillet 2010

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Des tribulations de deux climatologues sous la canicule

Echange épistolaire entre Alain Gioda, historien du climat à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et ancien chercheur invité du Climatic Research Unit (CRU), et Jean-Louis Fellous, directeur du Comité mondial de la recherche spatiale (COSPAR), après la réhabilitation des chercheurs impliqués dans le climategate.

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Echange épistolaire entre Alain Gioda, historien du climat à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et ancien chercheur invité du Climatic Research Unit (CRU), et Jean-Louis Fellous, directeur du Comité mondial de la recherche spatiale (COSPAR), après la réhabilitation des chercheurs impliqués dans le climategate.


Mon cher Huron[1],

Daigne recevoir, dans ta lointaine Amérique, ma satisfaction à la lecture de l'éditorial du «Monde» publié dans la Belle France le samedi 10 juillet. Cette honorable gazette se félicite de la réhabilitation par l'académie et les autorités britanniques des chercheurs du CRU (Climatic Research Unit) de l'Université publique d'East Anglia et particulièrement de son ancien directeur, le professeur Phil Jones. Le CRU est une unité d'une cinquantaine de savants et étudiants fort impliqués dans les avancées du GIEC dont toute la correspondance et les fichiers de travail avec les autres climatologues dans le monde furent piratés fin novembre dernier. Cette forfaiture fut saluée par un tintamarre et quelques fragments de discussion entre savants mis en exergue afin d'essayer de démontrer la mauvaise foi de ces ‘'gens-là'', le truandage des données et l'interprétation spécieuse des résultats. Toutefois le 7 juillet le complot ourdi par les chevaliers de la Terre plate ou les climato-sceptiques contre cet éminent savant Phil Jones à la veille du Sommet de Copenhague a fait long feu, crevant cette baudruche.

Toutefois ne crions pas victoire trop tôt et espérons avec le docte éditorialiste du Monde «que les médias accorderont autant de place à ces conclusions qu'ils en avaient accordée aux accusations ». Toutefois une gazette du même nom n'avait-elle point vu sa direction, aux derniers frimas et au printemps, se faire un devoir d'accorder à ces chevaliers toutes les pages et droits de réponse qu'ils voulaient ? Et cela n'est-il point advenu en dépit de l'avis de certains scribes de cette bonne feuille ? Mais baste, ne boudons pas notre plaisir, cher Huron.

Prends soin de toi puisque s'avance en majesté un été caniculaire. Ton vieil ami d'outre-mer[2]

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Cher vieil ami de la lointaine France2,

Merci de ces nouvelles réconfortantes. Toutefois tu sauras qu'au Maradagal, dans mon pays chéri par l'ingénieur-écrivain C. E. Gadda, où subsistent quelques Indiens comme moi, ne me parvient que «Le Figaro», journal concurrent du «Monde» et proche des idées de M. de Beaumarchais. Et là que lis-je dans son édition du 9 juillet ? Un article du fameux duo de climato-sceptiques M. d'Allègre et M. de Ferry faisant fi de la grande nouvelle du jour précédent puisqu'il débute ainsi : «La bulle du "réchauffement climatique" serait-elle en train d'éclater?» Ce n'est évidemment que prétexte à un plaidoyer destiné à asseoir leur «fondation pour une écologie d'avenir» auprès de parrains richement dotés.

À sa lecture, l'esprit enfiévré par une attaque de paludisme fréquent dans les marais du Maradagal, je me suis interrogé. Verrais-je double ? Radoterais-je ? Pas encore, heureusement : figure-toi que c'est quasiment le même article que celui du même duo dans ce même Figaro du mercredi 28 avril ! Attention cependant il y a au moins trois différences ! Les titres ne sont pas identiques: «Pour une écologie de la raison» le 28 avril, «Le pari de l'innovation écologique» le 9 juillet. Les portraits de ces deux personnalités ont été légèrement retouchés d'une parution à l'autre, ce qui permettra à ma fille de s'exercer à la plage au jeu des sept erreurs. Le texte d'avril se présente sous la forme d'un entretien tandis que celui de juillet est une tribune. Quant au fond, ils ne se distinguent guère des lieux communs que colportent, dans vos territoires de l'Occident, les thuriféraires de la fuite en avant technologique. Du «déjà vu» comme l'on dit par ici, en Amérique, avec un délicieux accent.

Coïncidence admirable, le professeur Phil Jones m'écrivait prophétiquement le 8 juillet, juste après avoir été lavé des accusations portées contre lui, par trois commissions, indépendantes de son université de tutelle, dont une parlementaire : «La route est encore longue. Le harcèlement ne cessera pas mais nous devons apprendre à vivre avec.» Nous autres, les Hurons, sommes endurants, tu le sais, mais si la bulle climato-sceptique a piteusement éclaté, les démagogues ont encore du souffle dans ton pays de France. Permets-moi, cher ami, de bénir la Divine Providence, car au Maradagal pareille mésaventure, celle d'être contrôlé par ses députés, ne pourrait advenir aux climatologues : les parlementaires y seraient capables de se ranger du côté des chevaliers de la Terre plate. Aussi vaut-il mieux que science et politique soient séparées pour la paix de tous et la quiétude de notre bon roi du Maradagal.

Bien à toi, et un agréable repos estival sous ta tonnelle. Ton vieil Huron1


[1] alias Alain Gioda, historien du climat à l'IRD et ancien chercheur invité du CRU

[2] alias Jean-Louis Fellous, directeur du Comité mondial de la recherche spatiale (COSPAR)

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