Plutôt que de poursuivre une dérégulation néfaste du marché du travail, Benoît Hamon, député socialiste des Yvelines, « propose de défendre une vraie réforme du marché du travail qui postule que l’amélioration des conditions de travail et des droits des salariés tout au long de leur vie professionnelle sont deux conditions sine qua non du retour de la prospérité et donc du recul du chômage, des inégalités et de la pauvreté. »
Refondre l’architecture du droit du travail en distinguant ce qui relève de la loi et ce qui relève de l’accord d’entreprise : voilà la ligne directrice choisie par le gouvernement pour réformer le marché du travail. Déjà certains médias, ministres et responsables patronaux annoncent un nouvel épisode de la bataille entre réformateurs et conservateurs dont le plus récent opus concernait le plafonnement des indemnités payées par les employeurs jugés coupables de licenciements en infraction avec la loi.
Rappelons pour commencer que toutes les parties souhaitent la réforme du marché du travail. Le débat ne consiste pas à départager les partisans et les opposants à la réforme du marché du travail. Il distingue des visions différentes de l’économie et de l’ordre public social. Ce débat est d’abord un débat politique sur la finalité du travail et la place de l’Homme dans l’économie.
Certains veulent banalement un assouplissement du droit du travail, qui serait source de compétitivité, à l’instar du MEDEF qui réclame une plus grande flexibilité de l’emploi, c’est-à-dire la possibilité de licencier plus facilement, de réduire les obligations liées à la rupture du contrat de travail, d’introduire une plus grande liberté dans la fixation de la durée du travail ou de supprimer le plancher légal du SMIC.
Pour d’autres, la réforme du marché du travail s’avère indispensable pour équiper les salariés de droits nouveaux que l’instabilité des carrières rend nécessaire d’attacher aux personnes et non plus aux emplois. Le marché du travail serait dit-on, sclérosé, comme vitrifié par le conservatisme syndical ou par les juges « rouges » de la Cour de cassation comme l’affirmait récemment sans rire un chroniqueur du journal Le Monde ? Qui peut affirmer sérieusement cela quand on constate que les carrières sont de plus en plus hachées, le nombre des contrats précaires a explosé (en 2013, 14 millions de contrats de travail de moins d’un mois ont été signés), que les premières embauches se font très rarement en CDI y compris au sein de grandes entreprises prospères, que les ruptures conventionnelles battent tous les records, et les licenciements pour motif économique se sont multipliés ?
Le statu quo n’a en effet aucun sens puisqu’il n’empêche pas le développement de la précarité.
Le débat porte donc sur la nature de la réforme pas son principe. L’honnêteté commande donc de dire qu’il faudra juger le gouvernement et la majorité, non pas au fait d’avoir réformé le marché du travail mais à ce qu’ils veulent changer et à la direction qu’ils auront retenue.
A chaque entreprise, son propre code du travail. Voilà bien le danger. Qui imaginerait faire au code de commerce, au code électoral ou au code pénal ce qui se trame sur le code du travail ? A chacun ses règles selon l’issue d’une négociation où faut-il encore le rappeler les parties prenantes ne sont pas à armes égales.
Hélas, un rapide aperçu du taux de syndicalisation des salariés français démontre l’immaturité de la France et singulièrement des responsables patronaux vis à vis d’une négociation sociale qui, pour être reconnue légitime et se hisser au-dessus de la loi, doit impérativement garantir un dialogue équilibré.
17,9 des salariés allemands du secteur privé sont syndiqués. Leurs voisins autrichiens sont 27,4%. 25,8 % des salariés britanniques adhèrent à un syndicat. Quand on scrute le modèle scandinave qui sert de totem à ceux qui veulent renverser la hiérarchie des normes et privilégier l’accord négocié, on constate que la majorité des salariés scandinaves sont syndiqués : 67,2% au Danemark, 53,3% en Norvège, 67,5% en Suède et 82,6% en Islande (1).
En France, seuls 7.7% des salariés sont syndiqués. Pourquoi sont-ils si peu nombreux ? Une étude réalisée en 2013 nous apprend que pour 48% des salariés du privé, le fait d’être syndiqué constitue un frein pour leurs carrières (2). La « peur des représailles » constitue une des raisons majeures du refus de se syndicaliser. Nous avons un siècle de retard dans certains secteurs de notre économie en matière de relations sociales.
Cynisme, conviction, intérêt ou naïveté, peu importe l’inspiration de ceux qui veulent substituer l’accord d’entreprise à la loi, la réalité de ce rapport de force inégal devrait alerter chaque décideur public au moment de réformer le marché du travail. Si l’objectif ne consiste pas seulement à habiller une dérégulation du marché du travail, engageons la négociation sur quelques-unes des pistes suivantes.
La première c’est bien sur la création d’une authentique sécurité sociale professionnelle. Il faut garantir aux salariés « des droits de tirage sociaux » lors des périodes de transition parfois longues entre deux emplois. Se former, créer une entreprise, changer radicalement d’orientation professionnelle, se consacrer à des activités non lucratives doit être rendu possible par la création d’un droit à rémunération entre deux emplois. La création du compte personnel d’activité doit permettre un progrès en termes de simplification en regroupant le compte personnel de formation, le compte personnel de prévention de la pénibilité et les droits rechargeables à l’assurance chômage. Il lui reste maintenant à devenir réalité, en permettant un déroulement maitrisé et une progression des carrières professionnelles là où transition entre deux emplois aujourd’hui est la plupart du temps synonyme de chômage et de déclassement.
La seconde consiste à mieux protéger les nouvelles formes de travail hors salariat. On pense bien sûr aux autoentrepreneurs dont il faut clarifier et renforcer les droits notamment vis à vis de l’assurance chômage. Il faut aussi conjuguer le dynamisme de l’économie du partage, l’appétence de la jeunesse pour la révolution digitale avec le développement des formes solidaires d’autoentrepreneuriat que sont les coopératives d’activité et d’emploi.
La troisième doit permettre une généralisation la prise en compte dans la validation des acquis professionnels des expériences individuelles de millions de Français dans des activités bénévoles et non lucratives.
La quatrième passe par la reconnaissance des maladies professionnelles apparues avec la transformation des entreprises, de leur organisation du travail, des politiques de management encouragées par la révolution des nouvelles technologies et la financiarisation de l’économie. De nouvelles menaces dont le syndrome d’épuisement professionnel (burn out) sont apparues. « Dans le monde d’aujourd’hui ce ne sont plus les machines qui tombent en panne ce sont les hommes eux-mêmes », « le burn out est la nouvelle maladie du siècle » écrit Daniel Cohen dans son dernier livre « le monde est clos et le désir infini ». 3,2 millions de Français y seraient exposés selon une étude récente du cabinet Technologia. La reconnaissance du « burn out » comme maladie professionnelle est devenue urgente. La voie la plus simple consiste à réformer les conditions d’éligibilité des dossiers présentés par les salariés aux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles en supprimant le taux de 25% d’incapacité obligatoire qui élimine automatiquement 99% des pathologies psychiques.
Il fallait nous disait-on hier urgemment et massivement baisser les cotisations patronales et les impôts payés par les entreprises pour faire reculer le chômage. Le gouvernement y a consenti pour plus de 40 milliards d’euros. Le chômage a continué pourtant sans fléchir sa progression au rythme moyen de 16 000 chômeurs supplémentaires par mois.
Aujourd’hui les mêmes, soutenus par l’essentiel des élites qui fabriquent, quel que soit le pouvoir en place, la doctrine macroéconomique et micro économique de l’appareil d’Etat et du gouvernement, qui promettaient 1 million d’emplois supplémentaires contre la baisse des « charges », exigent la dérégulation du marché du travail pour commencer à embaucher. Plutôt que de poursuivre dans cette direction néfaste, je propose de défendre une vraie réforme du marché du travail qui postule que l’amélioration des conditions de travail et des droits des salariés tout au long de leur vie professionnelle sont deux conditions sine qua non du retour de la prospérité et donc du recul du chômage, des inégalités et de la pauvreté.
(1) Source OECD stat
(2) Baromètre de l’Observatoire de la répression et de la discrimination syndicale